Un revenant
Christian Jaque
Avec Avec Louis Jouvet (Martin Sauvage), Gaby Molrlay (Geneviève), François Perrier (François Nizard), Jean Brochard (Jérôme Nizard), Louis Seigner (Edmond Gonin), Marguerite Moreno (Jeanne, la tante), Ludmila Tchernia (Karina)
L'intrigue
Jean-Jacques Sauvage revient à Lyon après vingt ans d’absence. Il présente au théâtre des Célestins, le spectacle de danse dont il est le directeur de ballet. Vingt ans plus tôt, à la demande de Jérôme, le fils d’une famille de riches soyeux, Edmond avait tiré sur Jean-Jacques alors qu’il se rendait dans la chambre de la sœur de Jérôme. Le temps a passé, Jean-Jacques a dû quitter la ville, Edmond a épousé Geneviève et Jérôme a repris l’entreprise familiale. Jean-Jacques n’a rien oublié et revient pour régler ses comptes.
Photos et vidéos extraites du film
La haine de l’esprit petit-bourgeois
Publié le par Pascal Laëthier
Christian Jaque, réalisateur français, auteur de comédies à succès dans les années trente, « d’adaptations littéraires ambitieuses dans les années quarante »1 et de comédies populaires par la suite, est tombé doucement dans l’oubli. Comme pour Chenal, Clément, Decoin et Duvivier, la critique voyait en lui un metteur en scène plus qu’un auteur. Eclectique, brillant, touche à tout, prolixe, (59 longs métrages), il a travaillé à tous les genres trouvant le plus souvent la reconnaissance du public2
En 1945, Jouvet revient d’une longue tournée théâtrale en Amérique du Sud. Il s’est expatrié pour des raisons professionnelles, sa vie étant d’abord consacrée au théâtre. Il ne souhaite pas revenir au cinéma avec un projet qu’il n’a pas choisi et refuse les rôles qu’on lui propose. Henri Jeanson3 travaille pour lui et écrit le scénario de « Un revenant » qui s’inspire du roman écrit en 1933 par Henri Béraud intitulé « Ciel de suie ».4 Le roman de Béraud et le scénario de Jeanson s’inspirent d’un fait divers des années vingt : L’affaire Gillet. « C’est une sordide affaire lyonnaise (…) en 1922, dans la villa des Gillet, une très riche famille de soyeux (Def : fabriquant et négociant de soieries). Un garçon s’est nuitamment introduit et s’est retrouvé nez à nez avec le jardinier de la maison qui lui a proprement défoncé le crâne et arraché un œil à coups de canne de golf, le laissant, à tort, pour mort. (…) Le jardinier a été ensuite expédié à l’armée (…) et on ne l’en a plus jamais fait ressortir. Enfermé pour qu’il n’y ait pas de témoin gênant. Car le fond de l’histoire, c’est que la maîtresse de maison partageait son amant avec sa fille. Ressentant soudainement les douleurs de Phèdre, elle avait posté ce tueur à gages pour massacrer la tête de l’amant. »5. L’affaire a été étouffée par la famille Gillet qui a fait pression sur la presse lyonnaise, mais s’est transmise de bouche à oreille jusqu’à ce que Béraud lui consacre son roman. Jeanson s’est inspiré de l’affaire et du roman et en a écrit un scénario acerbe, glacé et cynique que Christian Jaque a mis en scène, dans son style, c’est à dire avec légèreté et vivacité : « Un adjectif vient à l’esprit lorsqu’on voit ce film : « Jouissif ! ». « Jouissif » car les dialogues, tantôt plein d’amertume, tantôt chargés de vitriol, font mouche à chaque scène et à chaque situation. »6. Le film de Christian Jaque et de Jeanson est une charge violente contre l’esprit petit bourgeois et un inestimable document sur les moeurs et les manières de la bourgeoisie française de l’après-guerre. Il rappelle à quel point les vies y étaient étroites, poussiéreuses et rétrécies, la jeunesse étouffée et les femmes méprisées. On peut trouver François Perrier un peu « nunuche » dans son rôle de jeune artiste et bouder la caricature de femme facile qu’incarne Ludmilla Tchernia dans son rôle de danseuse, mais « Un revenant » brocarde avec un telle justesse et une telle férocité les conventions bourgeoises qu’il serait surprenant que le spectateur d’aujourd’hui n’y retrouve pas un zeste d’actualité. Un revenant n’a pas pris une ride, c’est l’époque qui a changé.
- LOURCELLES Jacques, « Dictionnaire du cinéma », Robert Laffont, Coll. Bouquins, p 523 [↩]
- Il a réalisé pour la Continental , deux des plus grand succès du cinéma français pendant l’occupation : « L’assassinat du père Noël » (1941) et « La symphonie fantastique » (1942). Il finira la guerre dans les rangs des FFI. [↩]
- Henri Jeanson est un polémiste redouté à la plume acérée. Il travaille comme journaliste, puis devient l’un des plus brillants scénaristes dialoguiste du cinéma de 1930 à 1960. Emprisonné avant la guerre pour ses écrits pacifistes, il est libéré et devient rédacteur en chef du journal « Aujourdhui » en septembre 1940. Il en démissionne en novembre 1940 « quand les autorités allemandes le somment de prendre position pour contre les juifs et en faveur de la collaboration » (Source wikipédia). Il est interdit de presse et de cinéma. Il reste à Paris et écrit pendant l’occupation, mais refuse de signer ses travaux. En 1949, Jeanson réalise : « Lady Paname » un film avec Louis Jouvet [↩]
- Henri Béraud (Goncourt 1922), collaborateur notoire, est arrêté et condamné à mort à la Libération puis gracié par de Gaulle. C’est sans doute pour cette raison que son nom est absent du générique du film. [↩]
- CHIRAT Raymond et BARROT Olivier, « Christian Jaque », Travelling 47, Document de la cinémathèque Suisse, n°8, 1976, extrait de l’article de, cité dans 1895, n°28 [↩]
- TULARD Jean, « Guide des films », Robert Laffont, Coll. Bouquin, 1990, Volume 2, page 997 [↩]