Ouragan sur le Caine
Edward Dmyrtyk
Avec Humphrey Bogart (Queeg, le capitaine), Van Johnson (Maryk, le commandant en second), Fred Mac Murray (Keffer, l’officier radio écrivain), José Ferrer (Greenwald, l’avocat des mutins)
L'intrigue
Convaincu que le capitaine du dragueur de mine présente tous les symptômes de la paranoïa, le commandant en second prend le commandement du navire. De retour à terre, il est traduit devant le conseil de guerre et accusé de mutinerie. Comme faire la preuve de la folie du capitaine Queeg ?
Photos et vidéos extraites du film
Le paranoïaque vu du côté du parano
Publié le par Pascal Laëthier
Dmytryk, fils d’émigrés Ukrainiens, devient réalisateur en 1935. Il adhère brièvement au parti communiste américain en 1944. Il est poursuivi trois ans plus tard et doit comparaître devant commission d’activités anti-américaines pendant le maccarthisme.1 Il est condamné à six mois de prison et s’exile en Angleterre où il tourne plusieurs films. Il revient au Etats-Unis en 1951 pour purger sa peine et abjurer le communisme. Il fait allégeance et dénonce ses anciens collaborateurs. Cette « dénonciation qui fut plus symbolique que réelle »2 lui vaut de retrouver sa place à Hollywood et de nourrir la haine tenace de ses anciens camarades. « Ouragan sur le Caine » est le plus connu de ses films. C’est un film de sa deuxième période, celle qui commence après sa sortie de prison et qui marque son adhésion au système. « Ouragan sur le Caine » est l’adaptation d’un roman d’Herman Wouk, qui a obtenu le prix Pulitzer de la fiction en 1952. L’adaptation de Dmyrtyk est efficace, sans surprise et témoigne de son savoir faire. La marine américaine, dont la participation était indispensable à la réalisation du film, a obtenu d’importantes modifications sur le scénario. Le film a été nominé à plusieurs reprises aux Oscars ainsi qu’Humphrey Bogart pour son interprétation à contre emploi.
Le film dresse le portrait d’un paranoïaque. Queeg est clairement montré comme fou et les symptômes qui définissent sa maladie sont clairement dentifiés par l’officier radio Keffer. Une fois convaincu de la folie du capitaine, le film nous fait partager le conflit moral éprouvé par l’équipage dans des circonstances à la fois dramatiques et exceptionnelles. L’ouragan qui menace d’anéantir le navire peut être lu comme la métaphore de la période trouble que vient de traverser l’Amérique avec le maccarthysme et si l’on accepte cette hypothèse, il est cocasse que ce soit justement à Dmytryk que l’on ait confié la réalisation de ce film.
La scène de l’ouragan qui sert d’ultime révélateur à la « maladie » de Queeg est particulièrement bien observée. Le dragueur de mines affronte un ouragan. Le capitaine Queeg est replié dans sa cabine avec les officiers. Il ordonne de garder le cap. La tempête redouble, le bateau subit des avaries et menace de sombrer. L’officier en second, Keffer, désemparé, demande à Queeg de changer de direction pour éviter le naufrage. Mais Queeg, comme tout paranoïaque, est de plus en plus perplexe face la réalité et il hésite. Keffer insiste. Queeg hésite encore plus, mais reste rivé sur son seul repère, qui n’est pas la réalité, mais la certitude d’être persécuté par les autres et surtout son second. Plus Keffer demande à Queeg de changer de cap, plus Queeg à la certitude de ne pas le faire, quitte à faire sombrer le navire… Jusqu’à ce que Keffer décide de démettre le commandant et de prendre sa place.
Documents
Le troisième séminaire officiel de Lacan est consacré aux psychoses et plus particulièrement au cas de paranoïa du Président Schreber3, qui se caractérise par un délire, une grande souffrance psychique et l’absence de détérioration intellectuelle. Pour Lacan, le paranoïaque souffre d’un défaut de symbolisation qui occasion un morcellement du moi, une prolifération imaginaire et une érotisation du symbolique.
A propos du paranoïaque :
« Ce n’est pas de cette réalité qu’il s’agit chez lui, mais de certitude. Même quand il s’exprime dans le sens de dire que ce qu’il éprouve n’est pas de l’ordre de la réalité, cela ne touche pas sa certitude qu’il est concerné. Cette certitude est radicale. Le naturel même de ce dont il est certain, peut rester parfaitement ambigu dans toute la gamme qui va de la malveillance à la bienveillance. Mais cela signifie quelque chose d’inébranlable pour lui. C’est cela qui constitue le phénomène plus développé de la croyance délirante ».4
« Le doute le porte au départ, et à tel moment, sur à quoi renvoie la signification, mais qu’elle renvoie à quelque chose, cela ne fait pour lui aucun doute. Chez un sujet comme Schreber, les choses vont si loin que le monde entier est pris dans ce délire de signification, de telle sorte que l’on peut dire que loin qu’il soit seul, il n’est à peu près rien de ce qui l’entoure que d’une façon certaine, il ne soit. Par contre tout ce qu’il fait être dans ses significations, est en quelque sorte, vide de lui-même ».5
Salvador Dali donne sa définition du paranoïaque:
- Pour plus d’informations sur cette période trouble regarder le film « La liste noire » d’Irwin Winkler (1991), avec Robert De Niro, Annette Bening, et Martin Scorsese, qui décrit l’atmosphère délétère qui régnait à Hollywood pendant ces années sombres. Lire aussi les articles sur « Mr Klein » de Losey ainsi que celui sur Aldrich à propos de « Deux filles au tapis » sur Cinepsy [↩]
- D’après Jean-Pierre Coursodon et bertrand Tavernier, dans 50 ans de cinéma Américain, Paris, Editions Nathan, 1995, p. 434 [↩]
- Schreber est un des cas analysés par Freud dans son ouvrage clinique : « Cinq psychanalyses ». Schreber était président du tribunal de Dresde. A plus de cinquante ans, il est envahi par des idées qui l’empêchent de dormir et provoquent un effondrement psychique dans d’atroce souffrance. Son état nécessite plusieurs fois son internement. Schreber parviendra a restaurer un équilibre en développant un système de pensée complexe et ingénieux (son délire) qu’il publiera en 1904 et que Freud analysera en 1907 sans jamais rencontrer son auteur. Freud se démarque des thèse de la psychiatrie de son époque et affirme que la maladie de Schreber a des origines strictement psychologique et non biologique, physiologique ou neurologique [↩]
- JACQUES LACAN, le séminaire, livre 3, les psychoses, Paris, Editions du Seuil, Col. le champ freudien, 1981, p 88 [↩]
- JACQUES LACAN, le séminaire, livre 3, les psychoses, Paris, Editions du Seuil, Col. le champ freudien, 1981, p 91 [↩]