Nous étions un seul homme

Philippe Valois

Avec Serge Avédikian (Guy), Piotr Stanislas (Rolf), Catherine Albin (Janine)

Couleurs - 1979 - DVD

L'intrigue

En 1943, dans le Sud Ouest de la France, Guy, un garçon sauvage, un peu étrange et « à part », habite une ferme isolée et vit de la récolte de la résine de pin. Il recueille et soigne un soldat allemand blessé. Entre les deux hommes une étrange amitié se noue. Ils ne vont plus pouvoir se quitter.

  • Piotr Stanislas (Rolf) et Serge Avédikian (Guy)

  • Serge Avédikian (Guy) et Piotr Stanislas (Rolf)

  • Piotr Stanislas (Rolf) et Serge Avédikian (Guy)

  • Piotr Stanislas (Rolf) et Serge Avédikian (Guy)

  • Phlippe Valois

  • couverture du DVD

L’amour avec petit « a »

Anne Delabre a présenté Nous étions un seul homme (( Le film de Philippe Valois, Nous étions un seul homme a été réédité en DVD par les éditions ErosOnyx sous le titre : Différent ! )) au cinéclub le 7eme genre cinéma le Brady le 25 avril 2016.

Dans les années soixante-dix, dans la mouvance des premiers groupes militants homosexuels et du MLF (Mouvement de libération des femmes), du relâchement de la censure cinématographique et de l’apparition légale du cinéma porno (gay y compris), se développe « en marge de la production classique, un cinéma en rupture de ban : féministe parfois, révolutionnaire souvent, identitaire toujours, forcément marginal, « queer », baroque, inclassable, qui circule loin des circuits traditionnels, dans des festivals, des réunions publiques, des associations, des groupes, des ciné-clubs. » (( Anne DELABRE et Didier ROTH-BETTONI, Le cinéma français et l’homosexualité, Editions Danger Public, 20018, page 222 )). C’est dans ce contexte particulier et foisonnant, « underground, politique, foutraque, insolent et fécond où se mêlent toutes les sexualités, toutes les identités et tous les genres » (( Anne DELABRE et Didier ROTH-BETTONI, Le cinéma français et l’homosexualité, Editions Danger Public, 20018, page 223 )) que Philippe Valois commence à réaliser des films.
En 1975, il met en scène Johan, un documentaire sur la vie d’un homosexuel à Paris. Son film est sélectionné à Cannes et attire l’attention. Un producteur lui propose de réaliser un film pornographique homosexuel. Valois accepte la commande, se pique au jeu et écrit un véritable scenario avec une intrigue, des personnages et des dialogues. Le producteur surpris, constate qu’il y a peu de scènes de sexe, mais accepte de financer le film à condition que son budget ne dépasse pas celui d’un film porno.
Le tournage du film se déroule joyeusement dans une ferme isolée des Landes. Valois n’est pas payé, le chef opérateur François About, les techniciens et les trois acteurs principaux sont en participation. Serge Avédikian qui vient du théâtre et dont c‘est le premier rôle au cinéma, accepte le chalenge, Piotr Stanislas, acteur de films porno apprend à faire avec les dialogues et Catherine Albin, jeune comédienne curieuse, n’est pas effrayée par l’entreprise. Pour Didier-Roth Bettani nous étions un seul homme est un « film quasi unique par sa volonté manifeste, non seulement d’éviter, mais surtout de dépasser à la fois la culpabilisation des gays et leur victimisation. » (( Didier ROTH-BETTONI, L’homosexualité au cinéma, La Musardine, 2007, Page 253 )).
Valois, créateur génial fait preuve d’une audace et d’une invention rarement vues au cinéma. Il filme le « corps à corps », le « peau à peau » entre les deux hommes et fait l’éloge d’une sexualité (au sens freudien) débridée, ludique, infantile, polymorphe et hors norme. Nous étions un seul homme est un vibrant hommage à la pulsion partielle et à l’objet « a » de Lacan (( Pour Lacan, les objets « a » sont antérieurs à la constitution du statut de l‘objet commun, de l‘objet communicable, de l’objet socialisé. Il ajoute : « Quand ces objets entrent en liberté où ils n’ont que faire, dans ce champ du partage, ils y sont reconnaissables. Ce ne sont pas des objet que l’on partage sans risque. L’angoisse nous signale la particularité de leur statut », séance du 9 janvier 1963 du séminaire « L’angoisse ». )) Cette histoire d’amour, brute, frémissante, lumineuse et forcément tragique, bouscule la critique qui ne sait où regarder, les projections sont trop peu nombreuses et le public ne suit pas, seuls certains spectateurs avertis s’échangent les adresses de la projection et gardent le souvenir ému d’une expérience bouleversante. Aujourd’hui, grâce à la ténacité de quelques inconditionnels et à l’initiative des éditions ErosOnyx, le film de Valois est enfin disponible en dvd.
Certains reprochent au film de Valois de ne pas donner une bonne image de l’homosexualité et ils critiquent le jeu des personnages avec la pisse, le caca, le sexe, les animaux, les cadavres et la mort. Le film de Valois est d’abord l’oeuvre d’un cinéaste qui dépasse et transcende les genres et les catégories. Valois ne fait pas un film communautaire, il s‘agit pourtant bien d’un film homosexuel, mais ce n’est pas pour autant un film homo-normé. Son œuvre authentique, dérangeante, transgresse toutes les formes, toutes les normes. C’est un film sur l’érotologie au sens de Georges Bataille, mais un Bataille qui se présenterait à nous sous un jour joyeux, gai, truculent et avec le sourire et la vitalité de Valois.

Hélène Molière (( Hélène Molière est psychanalyste et travaille au CMPP de Chelles (77). Elle est l’auteure de: Harcelé, haceleur, une histoire de souffrance et de violence, aux éditions Lattès.)) est intervenue à cinepsy le 10 octobre 2016 à propos de Nous étions un seul homme, voici le compte rendu de son intervention:

« Zone libre »

Ce film est remarquable parce que libre, décomplexé, authentique et jouissif. Il échappe aux catégories classiques : victime/bourreau, bien/mal, hétéro/homo. Il se situe d’emblée du côté de l’inconscient. Il n’y a pas d’interdit, il n’y a pas de dégoût, il n’y a pas de « non » et donc pas de contradictions.
Les dialogues et les personnages sont dépouillés de toute psychologie, ce film nous transporte directement sur « l’autre scène » au sens freudien du terme. D’abord en créant un hors-temps, l’action se déroule pendant la seconde guerre mondiale, mais à quel moment de la guerre sommes nous ? On n’en sait rien et cela n’est pas le propos. Comme dans l’inconscient ou le rêve, le temps du récit n’est pas celui de la réalité. Les personnages évoluent dans un temps suspendu, une parenthèse, on dirait presque un moment d’éternité. On est en guerre, mais on ne sait pas quand ça va finir et le présent ne se met pas en perspective par rapport au futur, donc est-ce vraiment un présent ? La vie se fait au jour le jour, le soldat allemand a perdu son corps d’armés et se retrouve loin de son pays, de sa famille, exilé, pris dans une langue étrangère. Il va être détourné et dévoyé insensiblement par Guy, qui lui, est « égaré », dérangé de naissance puisqu’il a été abandonné, il est orphelin et il s’est échappé de l’asile psychiatrique. Un temps suspendu pour les deux personnages qui sont, le temps du film, débarrassés de tout barda culturel et social, à partir de là, on peut rejoindre l’infantile et l’inconscient.
Le film est atypique au sens étymologique de « topos » : il crée un « hors lieu », un espace qui n’est pas géographique, mais psychique. C’est une petite maison à l’écart du village, située dans la forêt, dans une clairière, aux marges de tout lieu habité. Cette forêt est celle du conte, de la magie, des sortilèges, celle du « Petit Poucet » ou du « Petit chaperon rouge ». Ce lieu relève donc d’une géographie psychique même si tout reste plausible, le décor est naturel, il n’y a pas l’artifice habituel du conte, on rejoint immédiatement l’infantile. C’est un terrain de jeux où ils peuvent donner libre cours à leurs pulsions, leurs sensations, leur curiosité. La question de la réalité ne se pose pas, on passe directement de l’autre coté du miroir.
Les deux personnages sont beaux comme des enfants et forts comme des hommes, comme dans la chanson de Dalida : une sexualité infantile dans un corps d’homme.
Le récit campe donc une autre scène où se déploie tout l’éventail des pulsions partielles, orales, anales, sadiques… jusqu’à l’acte d’amour. Au début du film, le bruit des mitrailleuses vient briser le silence qui isolait Guy, le brun, dans son coin de forêt. La rencontre a lieu sur fond de guerre et l’amour s’arrête avec la guerre. Entre les deux, le plaisir, le jeu, l’amitié, l’amour. Ils vont mourir tous les deux. Eros/thanatos, dès que l’on revient à la société on est rappelé à l’ordre de la condition humaine, tragique. Au sein de ce tragique, la possibilité d’une parenthèse enchantée, une zone libre.