Orgueil et préjugés

Joe Wright

Avec Keira Knightley (Elizabeth Bennet), Matthew Macfadyen (Darcy), Simon Woods (Mr Bingley), Rosamund Pike (Jane Bennet), Donald Sutherland (Mr Bennet père), Brenda Blethyn (Mrs Bennet mère), Rupert Friend (Wickham), Tom Hollander (Mr Collins), Judi Dench (Lady Catherine de Bourgh), Claudie Blakley (Charlotte, l'amie de Lizzie), Tom Hollander (Mr Collins, le cousin)

Couleurs - 2005 - DVD

L'intrigue

Dans un village d’Angleterre à la fin du 18e la famille Benett compte cinq filles. Madame Bennet veut les marier à tout prix pour sauver la famille de la faillite et ses filles du déclassement. Elizabeth repousse les prétendants et se prend d’aversion pour Darcy, un aristocrate riche et arrogant qui s’oppose au mariage d’amour entre sa soeur (Jane) et son meilleur ami (Mr Bingley) pour des questions de rang et de réputation, mais le désir (ou l’amour) s’en mêle.

  • Keira Knightley (Elizabeth Bennet)

  • Keira Knightley (Elizabeth Bennet) et Keira Knightley (Elizabeth Bennet),

  • Keira Knightley (Elizabeth Bennet)

  • Brenda Blethyn (Mrs Bennet mère), Keira Knightley (Elizabeth Bennet) et Matthew Macfadyen (Darcy),

  • Matthew Macfadyen (Darcy)

  • Claudie Blakley (Charlotte, l'amie de Lizzie) et Keira Knightley (Elizabeth Bennet)

  • Simon Woods (Mr Bingley)

  • Claudie Blakley (Charlotte, l'amie de Lizzie)

  • Keira Knightley (Elizabeth Bennet)

  • Simon Woods (Mr Bingley)

  • Judi Dench (Lady Catherine de Bourgh)

  • Les filles Bennet

  • Keira Knightley (Elizabeth Bennet)

  • Keira Knightley (Elizabeth Bennet)

  • Tom Hollander (Mr Collins, le cousin)

  • Keira Knightley (Elizabeth Bennet) et Rupert Friend (Wickham)

  • Keira Kghtley (Elizabeth Bennet)

  • Matthew Macfadyen (Darcy) et Keira Knightley (Elizabeth Bennet)

  • Rosamund Pike (Jane Bennet)

  • Les filles Bennet

    Les filles Bennet

  • Matthew Macfadyen (Darcy) et Keira Knightley (Elizabeth Bennet)

  • La famille Bennet

  • Matthew Macfadyen (Darcy)

    Matthew Macfadyen (Darcy)

  • Rupert Friend (Wickham)

  • Joe Wright

  • Joe Wright

    Joe Wright

  • Joe Wright et Keira Knightley (Elizabeth Bennet)

  • Affiche Orgueil et préjugés de Wright

  • Les filles Bennet
  • Matthew Macfadyen (Darcy)
  • Joe Wright

Le désir et son objet

Jane Austen est la deuxième et dernière fille d’une fratrie de huit enfants. Elle est née en 1775 en Angleterre dans une famille modeste, son père est clergyman. La famille Austen vit confortablement et modestement, elle fait partie de la « gentry » anglaise (famille noble non titrée). Les Austen avaient la passion de la lecture et de l’écriture. Jane restera proche de sa soeur Cassandra toute sa vie et elles ne se marieront pas. Jane décède en 1817 à 41 ans après avoir publié cinq romans qui sont devenus des classiques de la littérature et laisse une oeuvre inachevée. La critique d’abord sévère, la compare ensuite à Shakespeare ou Flaubert et Virginia Woolf écrit : « C’est la plus grande écrivain que nous ayons« .
Orgueil et préjugés est son oeuvre la plus populaire, cette comédie romantique ou ce roman sentimental a été adapté au cinéma par Robert Z. Léonard en 1940 avec Greer Garson et Laurence Olivier et plus récemment par Joe Wright avec Keira Knightley dans le rôle d’Elisabeth ((Il existe de nombreuses adaptations de l’oeuvre de Jane Austen au cinéma, dont le film de Ang Lee, Raison et sentiments (1995), dialogué par Emma Thompson et interprété par Emma Thomson et Hugh Grant. La comparaison entre les deux mises en scène est intéressante, la film de Ang Lee et Thompson se concentre sur les sentiments et le destin des personnages tandis que celui de Wright montre le combat d’une femme et d’une famille et décrit les moeurs d’une époque.)). Le film de Wright est fidèle à l’oeuvre d’Austen et condense avec subtilité les passages les plus littéraires du roman. ((Les commentaires audio du réalisateur disponibles dans les bonus sont passionnants.))
Jane Austen a vécu à la fin du 18e dans un pays qui subit à distance le choc de la Révolution Française et qui est en pleine mutation (industrialisation naissante et début de la deuxième colonisation). Jane Austen est d’un tempérament conservateur, mais ses oeuvres sont une critique sans concession de la dépendance des femmes à l’égard du mariage, seule possibilité pour elles d’obtenir un statut social et la sécurité économique.
Elizabeth, l’héroïne d’Orgueil et préjugés n’hésite pas à remettre en cause les règles du mariage à une époque où on ne pouvait pas choisir qui épouser selon son goût, il fallait aimer quelqu’un de la même sphère sociale que vous, si on voulait avoir une vie confortable. ((Louise West, historienne, extrait du bonus du DVD.))
Dans le film, Elizabeth refuse la proposition de mariage de son cousin, un fat prétentieux, qui finalement se rabat sur Charlotte, la meilleure amie d’Elizabeth. Charlotte vient lui annoncer qu’elle a accepté l’offre du cousin :
– Elisabeth (incrédule) : Vous allez vous marier ?
– Charlotte : Bien sûr, quoi d’autre ? Pour l’amour du ciel ne me regardez pas ainsi ! Je ne serai pas moins heureuse avec lui ou avec un autre.
– Elisabeth : Il est ridicule…
– Charlotte : Taisez-vous. Tout le monde ne peut pas se permettre d’être romantique. On m’a offert une demeure et une situation confortable, je dois me montrer reconnaissante.
– Elisabeth : Mais… Charlotte
– Charlotte : J’ai 27 ans, je n’ai ni argent, ni protecteur. Je suis déjà un fardeau pour mes parents… et j’ai peur. Alors ne me jugez pas ! Ne vous avisez pas de me juger ! ((Cette scène qui ne figure pas sous cette forme dans le roman de Jane Austen a été imaginée et écrite par la scénariste Emma Thompson : cité par le réalisateur dans les bonus du DVD.))
La société de l’ancien Régime obéit à des règles strictes auxquelles il est impossible de déroger ; tout s’organise autour du rang, c’est à dire de la place que chacun occupe dans la société. La hiérarchie sociale est strictement définie et comme on le voit dans le film il est inconcevable de s’adresser à quelqu’un sans lui avoir été présenté. Les corps, comme les individus, sont corsetés, enfermés et tenus à distance les uns des autres dans des usages et des codes qui organisent les échanges. On ne se parle pas sans savoir à qui on parle et surtout, on ne se touche pas. Dans le film, le moment où Darcy prend simplement la main d’Elizabeth pour l’aider à monter dans le phaéton (la calèche) est montré comme une véritable transgression. La danse est la seule manifestation sociale où l’expression des corps et un échange entre les sexes sont tolérés.
C’est au cours du 18e que le mariage, l’institution qui régit l’union des couples et décide de la famille et de la procréation, subit une évolution. Les enfants, les jeunes et les femmes n’occupent plus la même place dans la structure sociale et « les règles de l’alliance », ce que Lévi-Strauss appelle « L’échange des femmes », ne s’effectue plus de la même manière : pour le dire rapidement et comme le montrent déjà les pièces de Molière, les jeunes filles ne veulent plus de vieux maris et les jeunes gens rêvent d’amour. Alors que précédemment l’amour devait naître du mariage, c’est le mariage d’amour qui domine dans les fictions, les romans, comme Orgueil et préjugés et qui s’impose comme idéal aux jeunes générations et tend à devenir la norme dans la réalité sociale.
Dans un article intitulé « D’une sexualité, l’autre », Jean-Claude Milner explique ce changement à sa façon : la sexualité dans le sens du dispositif défini par Foucault, suppose que l’on puisse répondre dans le même discours à trois questions : Qui aime-t-on ? Avec qui couche-t-on ? Et qui épouse-t-on ? Avec en arrière-plan le lien avec la réponse donnée à une toute autre question : D’où viennent les enfants ? Il est des époques où les réponses à ces questions ne sont pas articulées ensemble. Pour Lévi-Strauss par exemple la question « qui épouse-t-on ? » n’a rien à voir avec les deux autres et c’est elle qui forme le soubassement des « Structures élémentaires de la parenté ». Pour Milner, en Occident s’est construit un idéal où la réponse aux trois questions posées est unique : 1/ Je couche avec qui j’aime et que j’ai épousé. 2/ J’aime qui j’ai épousé et avec qui je couche. 3/ J’ai épousé celui/ou celle que j’aime et avec qui je couche. (( Jean-Claude Milner, « D’une sexualité l’autre » dans Sexualités en travaux, éditions Michèle, 2018)). « L’unité de la structure discursive » qui en découle, c’est à dire la manière dont on fait tenir ses trois questions en une réponse unique, n’est rien d’autre que « la sexualité » décrite par Foucault, qui n’est rien de plus qu’une théorisation du bonheur conjugal. Ce qui prépare cet idéal qui constitue l’horizon de notre manière de concevoir la sexualité, ((On peut se demander si ce n’est pas le cas aussi pour les adeptes de Tinder, mais à leur insu.)), c’est la doctrine du mariage d’amour qui ne s’est imposée que très récemment dans les sociétés occidentales. Pendant longtemps l’amour n’avait pas de rapport avec le mariage et on se mariait pour des raisons sociales. Ce qui change au 18e, c’est que l’amour tend à devenir la raison et la cause unique du mariage. Deux cents ans plus tard, les réponses aux trois questions de Milner ne se superposent plus, ou plus exactement, peuvent trouver des réponses différentes. « Du coup, l’institution matrimoniale est de plus en plus soumise aux intermittences du cœur. Le mariage d’amour tend vers le précaire au point que les partenaires concernés s’en dispensent de plus en plus. »
On peut penser que nos existences actuelles sont soumises à moins de contraintes et d’arbitraire que celles des sociétés du 18e. Bien sûr, les femmes, les enfants, les homosexuels ne sont plus relégués hors du jeu social et qui s’en plaindra ? Mais est-ce qu’Elizabeth ou Jane, les héroïnes du roman de Jane Austen ont des existences diminuées et de moindre valeur en regard de nos vies actuelles ?
Dans le roman de Jane Austen et le film de Wright, ceux qui cherchent à obtenir la satisfaction sexuelle en faisant valoir leur rang et mettent en avant leur droit à la jouissance comme le cousin Collins (« je veux une femme, peut m’importe laquelle, parce que c’est mon droit »), celles qui comme Lady Catherine exigent obéissance au nom du respect dû à son titre et à la loi (« Darcy, mon neveu, épousera ma fille parce que son rang est conforme au mien et que l’intérêt de la famille l’exige. ») ou ceux qui comme Wickham se font prédateurs et utilise l’amour pour se faire une place sociale et pour obtenir de l’argent, (ce qui apparaît comme une critique a peine voilée du discours libéral ou capitaliste qui émerge à partir du 15ieme), assurent sans doute leur jouissance et obtiennent satisfaction, mais pratiquent ce que l’on appelle aujourd’hui un « abus de pouvoir ».
Ceux qui comme Elizabeth et Darcy décident ou sont contraints de jouer la carte du désir, quitte à contester les règles du jeu, engagent une partie risquée, hasardeuse et incertaine, mais qui semble finalement la seule acceptable. Que veut dire « jouer la carte du désir » ? Cela signifie ne pas mettre en avant la possession de l’objet sexuel de satisfaction et s’en remettre à l’autre, celui pour lequel on a une attirance ou que l’on aime, pour connaître ce qu’il en est de son attachement et révéler ainsi un éventuel commun possible. C’est sans garantie et Darcy prouve que, même bien doté, on n’est pas à l’abri d’un camouflet, mais le désir exige de s’en remettre à l’autre. En termes lacaniens il s’agit là de la différence entre demande et désir.
Les possibilités de l’émergence du désir, sont sans doute aussi rares à l’époque de « Tinder » qu’à celle d’Orgueil et préjugés, même s’il est doux de penser avec raison que nous vivons mieux à notre époque. Il n’existe pas d’autre voie possible que celle de soutenir fermement son désir et peu d’alternative à l’amour pour ce qui concerne la conjugalité dans notre partie du monde. Cependant, la route est longue et à la fin du roman et du film on se demande comment cet équipage, celui d’Elisabeth et Darcy, cheminera avec de tel prémices: « Je suis comme lui » dit Elisabeth à son père pour justifier son désir de mariage. C’est un gage de réussite sans aucun doute ; l’amour se présente en Occident comme une variante de l’amour judéo-chrétien : « je l’aime comme je m’aime » ((« Aime ton prochain comme toi-même » Lévitique 19.18 et Marc 12.33)), mais est-ce suffisant ?