Monika

Ingmar Bergman

Avec Harriet Andersson (Monika), Lars Ekborg (Harry)

Noir et blanc - 1953 - DVD

L'intrigue

Harry, un jeune garçon livreur de 19 ans et Monika, une vendeuse de primeurs de 17 ans, s’enfuient en bateau et passent un été sur les îles proches de Stockholm.

  • Harriet Andersson (Monika)

  • Lars Ekborg (Harry)

  • Harriet Andersson (Monika) et Lars Ekborg (Harry)

  • Harriet Andersson (Monika)

  • Harriet Andersson (Monika)

  • Jacquette dvd: Monika

  • Summer with Monika

Le regard de Monika

Le cinéma de Bergman traduit et accompagne les mutations de la société suédoise de l’après-guerre, une société qui aspire à une vie moins guindée, une morale moins stricte, plus respectueuse des droits des individus et de leurs désirs. Alors que dans la plupart des pays européens et particulièrement en France, cette évolution s’est traduite dans les cinémas nationaux par une rupture avec ce qui précède et un rejet du passé, Bergman s’adapte au système national et se fond dans l’industrie du cinéma de son pays, il réalise sans discontinuer des films de 1946 à 2003 et incarne à la fois la fois la « modernité » et la tradition du cinéma de son pays.

Dans le livre d’entretiens que Bergman a consacré à son œuvre, il revendique devant un Olivier Assayas stupéfait, l’influence de Duvivier sur son œuvre, il considère Panique, de Duvivier (1946), comme une œuvre importante qui marque une étape dans sa vision du cinéma. (( ASSAYAS Olivier et BJÖRKMAN, Conversation avec Bergman, Paris, Seuil, Coll. Cahiers du cinéma, 1990, p 27. )) Dans le même livre d’entretiens, il ne cesse de déplorer les effets dévastateurs des tentatives de « table rase » des années soixante-dix en Suède. A propos de son éviction de l’école de Théâtre de Stockholm en 1969 par des jeunes soucieux d’en terminer avec le vieux monde il déclare : « Ils oubliaient une chose, que dans une culture, il peut y avoir de grandes et d’énormes tensions, mais il faut qu’il y ait au moins deux idées en même temps. » (( ASSAYAS Olivier et BJÖRKMAN, Conversation avec Bergman, Paris, Seuil, coll. Cahiers du cinéma, 1990, p 87. )) Bergman assume et revendique l’héritage de la culture de son pays qu’il s’agisse du Théâtre (Strindberg) ou du cinéma (Sjöström, Molander). Il maîtrise et respecte la technique et le savoir faire de ses aînés et réaffirme la nécessité d’un lien avec ce qu’il appelle la tradition.

Bergman raconte la genèse de Monika: « On a juste fait ce film pour s’amuser. J’ai rencontré l’auteur (le scénariste) dans la rue et je lui ai dit : « Hello ! Qu’est-ce que tu fais ? » (…) Il était en train d’écrire l’histoire d’une jeune fille qui séduit un jeune homme, ils font une fugue, ils passent l’été ensemble au bord de la délinquance et quand vient l’hiver, ils rentrent en ville, ils ont des difficultés et se séparent. Je me suis dit : Mon Dieu ! C’est un film ! » (( ASSAYAS Olivier et BJÖRKMAN, Conversation avec Bergman, Paris, Seuil, Coll. Cahiers du cinéma, 1990, p 60. ))

Le film passe inaperçu en France à sa sortie et il est redécouvert par les futurs cinéastes de la nouvelle vague à l’occasion d’une rétrospective Bergman organisé par la cinémathèque française. Le public français est séduit par le fameux regard de Monika. A la fin du film, de retour à Stockholm, Monika s’ennuie et ne veut pas s’occuper de son enfant. Elle quitte le domicile conjugal, pendant qu’Harry est au travail. Elle écoute de la musique dans un café et fume, attablée avec un garçon. La caméra observe Monika à distance qui, soudain, tourne le visage vers elle et fixe le spectateur silencieusement, d’un regard insistant et provocateur.

La réception de Monika en France repose sur un malentendu, ce qui apparaît à Bergman comme la poursuite d’une recherche à la fois personnelle et douloureuse sur la confrontation de la morale, du sexe et des corps, est perçue en France comme une ode à la sensualité et à l’érotisme dans la rupture avec le monde ancien. Etrangement, cette lecture du film qui évacue la dimension sociale, esthétique, morale et tragique du film persiste encore aujourd’hui.

Document :

Extrait de Conversation avec Bergman, d’Olivier ASSAYAS et Stig BJÖRKMAN, Paris, Seuil, coll. Cahiers du cinéma, 1990, p 27 à 29.

– Bergman : A la même époque, en 1937, 1938, 1939, sont arrivés les films français. Notre compagnie les détestait. Vous savez les films de Marcel Carné, ceux de Julien Duvivier: « Pépé le Moko », « Quai des Brumes », « Le jour se lève », tout ces films-là…
– Björkman : Et vous ?
– Bergman : Je les aimais, mais c’était un amour secret. C’était absolument interdit, parce que c’était le style américain, la manière américaine de raconter les histoires, qui était la seule façon légale de faire du cinéma.
– Assayas : C’est curieux que vous parliez de julien Duvivier parce que c’est un cinéaste très intéressant et, aujourd’hui, on le regarde un peu de haut. Est-ce qu’il vous a…
– Bergman : Influencé ?
– Assayas : Oui.
– Bergman : Bien sûr ! Son « Pépé le moko », j’ai dû le voir au moins vingt-cinq fois. J’aime ce film ! Je peux encore le revoir avec le même enthousiasme. Et Duvivier a aussi fait un film qui s’appelle « Panique »…
– Assayas : Oui, « Panique »…
– Bergman : Vous le connaissez ?
– Assayas : Oui.
– Bergman : Je l’ai cherché dans le monde entier, je n’arrive pas à le trouver. J’aimerais vraiment…
– Assayas : « Panique » est passé à la télévision française il y a quelques années, des gens l’ont sûrement enregistré. On vient aussi d’en faire un remake : « Monsieur Hire » de Patrice Leconte.
– Bergman : La version de Duvivier, c’était un chef d’œuvre.

Lire l’article sur « Panique » de Duvivier sur cinépsy