Maîtresse
Barbet Shroeder
Avec Bulle Ogier (Ariane), Gérard Depardieu (Olivier)
L'intrigue
Olivier débarque à Paris et organise un cambriolage qui tourne mal. Il est surpris par Ariane, une « dominatrice » professionnelle qui travaille à son domicile. Ariane demande de l’aide à Olivier pour la mise en scène d’un scénario masochiste avec un client. Olivier découvre cet univers étrange et s’attache à Ariane.
Photos et vidéos extraites du film
Candide en pays pervers
Publié le par Pascal Laëthier
Au milieu des années soixante dix une vague des films pornographiques déferle dans les salles de cinéma, en 1974 sur les 520 nouveaux films distribués en France, 128 sont des films érotiques ou pornographiques1. Dans l’après coup de mai 68 nombre d’auteurs s’intéressent au phénomène et abordent le thème de la sexualité comme on explore un nouveau territoire2. La mode sera de courte durée, la vague est brisée par la loi sur le classement X voté le 30 octobre 1975 par le gouvernement Chirac qui taxe lourdement la diffusion des films pornographiques, restreint leur diffusion et ghettoïse ce nouveau marché. C’est dans ce contexte particulier que Barbet Schroeder réalise « Maîtresse », un film original qui aborde le thème du masochisme.
Dans les grandes villes européennes, un certain nombre d’initiés, organisés en réseau, rencontrent et paient des professionnelles pour mettre en scène leurs fantasmes sexuels et pervers selon les termes de la psychopathologie. Il ne s’agit pas de prostitution puisqu’il n’y a pas de prestation sexuelle au sens de la loi. Schroeder fréquente activement les milieux sado-masochistes, rencontre des « soumis » et se documente activement auprès de « dominatrices » professionnelles pour écrire son scénario. D’après Jean Douchet, le film de Schroeder témoigne « d’un regard droit, simple, amical et montre la perversion sans perversité. »3
Le tournage se déroule dans une ambiance joyeuse, Depardieu, jeune comédien extraordinairement doué débute sa carrière, Bulle Ogier, la compagne de Schroeder, incarne avec finesse une dominatrice qui tombe amoureuse. Le film a un côté documentaire et les clients qui apparaissent dans le film avec des masques sont d’authentiques adeptes de pratique sexuelles masochistes que leur « maîtresse » ont conduits sur le plateau pour le tournage comme s’il s’agissait d’une habituelle prestation.
Pour Catherine Robbe-Grillet alias Jeanne de Berg ancienne « maîtresse » qui a longtemps reçu des initiés à son domicile et mis en scène ces pratiques sexuelles particulières, le film de Schroeder « est resté un film de référence. ». Pour elle il s’agit d’« une activité érotique qui passe par le théâtre ». Les clients lui dictent les paroles et lui commandent les scénarii qu’elle met en scène, « C’est eux qui me demandent ce qu’il faut faire et puis après c’est à moi d’améliorer, d’inventer, de rentrer dans leur folie, leur histoire. (…) Les hommes entrent dans une bulle et ils y croient. » Elle remarque qu’il « faut une tension, et que si on se laisse aller à un certain sourire, une décontraction, tout s’en va. »4 C’est cette particularité qui retient l’attention de Schroeder, qui structure son scénario autour de l’impossible rencontre entre l’amour et la mise en scène du scénario pervers. « Maîtresse » ne traite pas du masochisme au sens strict, il raconte une rencontre amoureuse entre un homme libre et une femme qui travaille comme maîtresse. L’amour qu’Ariane porte à Olivier lui rend la tâche impossible et perturbe la pratique de son travail.
Le film sort en salle en 1975 et le succès n’est pas au rendez-vous. Le film dérange, la présentation d’une sexualité hors norme n’est pas du gout du public. Jean Streff remarque que « Dans le film « histoire d’O », c’est la femme qui est soumise, alors que là, ce sont les hommes qui sont soumis. »5. Bunuel est curieux, « il n’en revenait pas qu’un film comme ça ait été fait »6, Pour Lacan qui n’aimait guère le cinéma, le film de Schroeder apporte la preuve « que le masochisme, c’est du chiqué. »7
Le film de Barbet Schroeder se termine sur une scène fantasque et drolatique dans laquelle Ariane et Olivier partent ensemble en voiture. Ariane tient le volant, elle est assise sur Olivier et fait l’amour avec lui pendant qu’il s’occupe des pédales. Le bricolage imaginé par Barbet Schroeder, (à elle le volant et à lui les pédales) pour résoudre la question posé par l’impossible du couple, bricolage qui fait fonctionner à la fois l’accouplement et la conduite de la voiture, échoue lui aussi lamentablement, puisque que la voiture termine dans le décor. On peut supposer qu’il s’agit là du regard du névrosé qui fantasme et imagine que le pervers a trouvé le truc pour résoudre la question du rapport impossible à l’autre sexe, mais ne cherchons pas à interpréter ou à plaquer une signification sur cette superbe métaphore-machine-délirante digne de Tinguely, qui met en scène la mécanique des corps et l’orgasme. Contentons nous de constater que le montage absurde, grotesque et génial sur lequel Barbet Schroeder conclu son film sur la perversion, ouvre sur d’autres horizons que les développements complaisants et simplistes des théories psychologiques contemporaines à propos du fameux concept de « pervers narcissique ».
- Source wikipédia rubrique « Classement X » [↩]
- La plupart de ces films ne sont pas des films pornographiques ou érotiques, mais s’intéressent à la sexualité ou aux pratiques sexuelles. Parmi les films remarquables de cette époque, citons : « La dernière femme » (1976) de Ferreri, « Salo » (1976) de Pasolini, « L’empire des sens » (1976) de Oshima, « La Petite » (1978) de Louis Malle, « Jack le magnifique » (1979) de Bogdanovitch, « Marie-poupée » (1976) de Joël Séria, la liste n’est pas exhaustive. [↩]
- Entretien entre Barbet Schroeder et Jean Douchet réalisé Bastien Ehouzan et Kinga Wyrzkowska, dans les bonus du dvd édité par Carlotta [↩]
- Entretien avec Jeanne de Berg dans les bonus du dvd édité par Carlotta. [↩]
- Jean STREFF, Le masochisme au cinéma, Veyrier, 1978, page xx [↩]
- Barbet SCHROEDER, extrait de l’entretien entre Barbet Schroeder et Jean Douchet réalisé Bastien Ehouzan et Kinga Wyrzkowska, dans les bonus du dvd édité par Carlotta [↩]
- Catherine Millot, « La vie avec Lacan », Col. L’infini, Gallimard, 2106, p 42, citation exacte : « C’est au Bistroquet aussi que nous avions dîné avec Jean-Jacques Schuhl et Barbet Schroeder après avoir vu en 1975, la projection du film de ce dernier, « Maitresse ». Lacan avait déclaré que le film montrait bien que « le masochisme, c’était du chiqué. » [↩]