L’ironie du sort

Edouard Molinaro

Avec Pierre Clémenti (Antoine Desvrières), Jacques Spiesser (Jean Rimbert), Marie-Hélène Breillat, (Anne de Hauteclaire), Claude Rich (Jean), Jean Desailly (Paul Desvrières, le père d’Antoine), Jean Verner (Le capitaine allemand de Rompsay)

Noir et blanc - 1974 - cassette

L'intrigue

A Nantes en 1944, Antoine et Jean sont tous deux amoureux d’Anne. Ils apprennent que le capitaine allemand de Rompsay a découvert l’existence de leur réseau de résistance et qu’il est sur le point de révéler l’identité de ses membres à la Gestapo. Il faut l‘abattre avant qu’il ne soit trop tard. A 23 heures, le capitaine quitte son bureau et traverse la cour de l’hôtel particulier où est situé son bureau. Antoine dissimulé sous le porche d’une rue proche attend son passage armé d’un revolver, mais la voiture de la police allemande qui devait être en patrouille est en panne, immobilisée dans la cour de l’hôtel particulier. Deux soldats allemands tentent de la réparer. Si la voiture démarre rapidement, les deux soldats allemands rejoindront in-extremis l’officier et empêcheront son exécution par Antoine. Le réseau sera démantelé et Jean sera démasqué, arrêté et fusillé. Dans ce cas, Anne épousera Antoine et ils élèveront ensemble leur fils. Mais si la voiture tarde à démarrer, les deux Allemands arriveront trop tard pour empêcher l’exécution du capitaine, mais juste à temps pour qu’Antoine soit arrêté et exécuté. Dans ce cas, c’est Jean qui épousera Anne et qui élèvera l’enfant qu’elle a eu avec Antoine. Le film montre en parallèle deux différents destins qu’une poignée de secondes sépare…

  • Marie-Hélène Breillat, (Anne de Hauteclaire) et Jacques Spiesser (Jean Rimbert)

  • Marie Hélène Breillat (Anne de Hauteclaire)

  • Pierre Vaneck (de Rompsay) et Juliette Mills (Micheline)

  • Edouard Molinaro

  • Couverture livre: L'ironie du sort

  • Marie-Hélène Breillat, (Anne de Hauteclaire) et Pierre Clémenti (Antoine Desvrières)

  • A

  • Paul Guimard

  • L'ironie du sort, le livre de poche

Ce que l’engagement doit au hasard

Edouard Molinaro est décédé le 7 décembre 2013. Contemporain des cinéastes de la Nouvelle vague, (( Son premier long-métrage, « Le dos au mur » est sorti en 1958 )) il ne fera jamais partie de ce mouvement collectionnant les succès commerciaux plutôt que le films d’auteur. C’est à lui que l’on doit entre autre, «  Oscar » (1967), « L’emmerdeur » (1973) et « La cage aux folles » (1978). Son cinéma marque une rupture par rapport au cinéma commercial des années cinquante, tant il est vif, gai, impertinent et ingénieux. Remarquable technicien, cultivé, impatient, séducteur et surtout (trop) discret, Molinaro n’a jamais eu la considération que mérite son talent. Ses œuvres les plus originales sont introuvables ou mal distribuées. C’est le cas notamment de « L’ironie du sort » réalisé d’après un roman éponyme de Paul Guimard. (( Paul Guimard est le scénariste de « Les choses de la vie » de Sautet » ))   dont l’adaptation est signée Pierre Kast, Edouard Molinaro et Paul Guimard. Etrangement, Molinaro ne parle pas de « L’ironie du sort » dans son autobiographie, si ce n’est pour signaler les problèmes graves de santé de sa femme de l’époque, Marie-Hélène Breillat, l’actrice principale du film (( MOLINARO Edouard, Intérieur soir, Paris, Editions Anne Carrière, Col. Récit, 2009, p 255 )). Est-ce la preuve du manque de considération que Molinaro portait à son œuvre, ou de sa difficulté à porter un jugement sur son travail ?
« L’ironie du sort » est un film méconnu, qui traite du destin et du hasard et raconte la Seconde Guerre mondiale d’une manière devenue aujourd’hui inhabituelle. L’originalité du film tient principalement au regard porté sur la jeunesse de cette époque. La période est tragique, mais ils ont vingt ans, ils sont jeunes, beaux, ils s’aiment, ils s’amusent et se battent tandis que la guerre déchire leur pays. Ce que montre « L’ironie du sort » est en rupture avec ce qui a été transmis depuis par le cinéma sur cette époque et principalement depuis les années soixante dix.
Récemment, dans son essai intitulé « Alias Caracalla » (( CORDIER Daniel, Alias Caracalla, Paris, Gallimard, Col. Essais, 2009 )) Daniel Cordier fait entendre lui aussi une autre voix, celle d’un jeune homme qui a traversé l’époque en combattant. (( Daniel Cordier est un des premiers « Français libres », il a été parmi les premiers qui ont rejoint Londres sitôt après avoir entendu le discours de capitulation du Maréchal Pétain le 17 juin 1940 : http://www.youtube.com/watch?v=s87CKB5E3SQ Maurassien, il est devenu gaulliste, puis secrétaire de Jean Moulin. Son livre raconte son travail clandestin de résistant en France occupée après son parachutage de Londres en 1942 )). Le livre de Cordier publié en 2009, renoue le dialogue interrompu avec Roger Vaillant et son roman, « Drôle de jeu » publié en 1945 (( VAILLANT Roger, Drôle de jeu, Paris, Buchet-Chastel, 1945, réédition Hachette, Coll. Le livre de poche, 1973 )) dans lequel Vaillant raconte son aventure de jeune militant communiste travaillant dans la Résistance sous le pseudo de « Marat », et sous les ordres de « Caracalla » (Daniel Cordier), son chef désigné par Londres. (( Pierre Kast a réalisé une adaptation de « Drôle de jeu » en 1969, le film est aujourd’hui introuvable. Costa Gavras a réalisé « Un homme de trop » en 1967, sur la vie quotidienne de la Résistance. Ce film est passé à la télévision, mais est aujourd’hui introuvable. Enfin, pour être plus complet (mais en aucun cas exhaustif), un scénario écrit par Roger Vaillant et mis en scène par René Clément en 1963 « Le jour et l’heure » (disponible en dvd) raconte, d’une manière que l’on peut discuter, le quotidien de la résistance )).
Dans « l’ironie du sort », Antoine, interprété par Pierre Clémenti, est arrêté et Paul, son père vient protester à la police allemande. Il se fait gifler, il est arrêté et déporté à Buchenwald. Après la guerre il deviendra député. Mais dans la version de l’histoire où Jean est arrêté à la place de son fils, le même Paul continuera de mener une existence paisible et sans aspérité. Guimard, Molinaro et Kast s’interrogent sur la part d’indécidable dans le destin de ceux qui ont traversé cette période. Il est certain que le hasard, les rencontres ont joué un rôle dans le destin de tout résistant ou de tout collaborateur. Mais ce qui caractérise celui de Caracalla (Cordier), de Marat (Vaillant) ou encore de Jean et Paul, les deux héros du film de Molinaro, c’est l’exact contraire du hasard. C’est cet entêtement, cette volonté farouche à résister et cet engagement renouvelé dans le combat pour la liberté. Ce choix là ne doit rien au hasard. Pour des raisons qui nécessiteraient d’être expliquées, pendant une longue période qui commence dans les années soixante dix, le choix des résistants a été systématiquement minoré, dévalorisé jusqu’à considérer leur engagement au même niveau que celui contre lesquels ils se sont battus. C’est ce voile, cette approximation, ce trouble qui a été déterminant dans la décision de qu’a prise Daniel Cordier de raconter son histoire de la guerre.
Dans « Drôle de jeu » « Marat » (Roger Vaillant) discute avec « Rodrigue », un résistant qui se plaint de sa solitude : « L’homme est toujours seul, tu sera toujours seul. Vous me faite rigoler, Carac et toi, à peine entrez-vous dans la bagarre, que vous voudriez prendre votre retraite. Vous mettez vos petits ennuis personnels sur le compte de la guerre et de la Résistance. Tu te plains d’être dérangé par les bombardements. Tiens : J’ai traversé un coin d’Espagne, en 40. Dans une ville complétement détruite, j’ai dit bêtement à un homme : « Ca doit tout de même vous faire plaisir de ne plus entendre le canon ». Il m’a répondu : « La guerre, monsieur, c’était le bon temps, on se battait, il y avait des chances contre, des chances pour ; il dépendait un peu de chacun de faire pencher la balance ; maintenant, il ne se passe plus rien… Il ne se passera jamais plus rien ». (…) Cet homme persuadé qu’il ne pourra plus jamais lutter pour conquérir la liberté, plus jamais combattre le tyran, plus jamais risquer sa vie pour qu’elle soit digne d’être vécue. Cet homme parfaitement désespéré, puisqu’il est persuadé que pour lui il n’arrivera jamais plus rien, « nevermore »… (…) Il était encore bien plus difficile de vivre avant la guerre que maintenant. Carac et toi, vous êtes encore trop jeunes pour pouvoir faire la comparaison. Avant 39, en France, ce n’est pas le « nevermore » du vaincu de la guerre d’Espagne, mais un perpétuel « not yet », pas encore. Ce n’était pas encore l’heure du combat, on avait de fausses alertes comme en 36, mais elles étaient toujours remises, on doutait parfois qu’elle dût jamais sonner. Tu ne sauras jamais à quel point, pour un certains nombre d’hommes, il n’y eut rien à faire entre 1930 et 1940. Maintenant nous nous battons, l’espoir est là tout proche, nous allons changer la face du monde, ouvrir le cocon où frémit déjà l’homme nouveau. (…) Tout peut rater, mais la bataille est engagée et son issue dépend de ce que nous serons capable de faire ; nous tenons notre sort en nos mains : jamais il n’y a eu autant d’espoir sur la terre ! Pense que, s’il n’y avait pas eu la guerre, tu poursuivrais tes études et tu te demanderais quelle carrière choisir… Après ta licence de philo, tu as commencé le droit et sciences po. autrement dit tu hésiterais présentement entre la diplomatie et l’inspection des finances, réalises-tu ce que ça voudrait dire ? ».
L’homme nouveau n’est pas sorti du cocon, pour reprendre l’image de Roger Vaillant, mais certains parmi la génération de ceux qui ont résisté en 1940 sont devenus les notables de la Cinquième République. La génération suivante qui est née après 1945 a questionné le récit des résistants, elle a révélé les non-dits et les mensonges de l’époque, elle a démontré les implications de l’état français dans la Collaboration et son rôle dans la déportation des juifs en France. Elle a permis la révélation du mécanisme et de l’ampleur de la Shoah. Elle permis de montrer que la Shoah n’était pas un accident de l’histoire et que sa monstruosité n’en atténuait pas moins notre responsabilité. Ce travail nécessaire d’information et d’élaboration sur cette part tragique de notre histoire ne doit pas brouiller notre regard. Il est possible et même certain que le destin de beaucoup doivent beaucoup au hasard, mais l’engagement d’un résistant n’est pas équivalent à celui d’un collaborateur, de même que le geste d’un Juste ne se compare pas à celui d’un dénonciateur. La part du hasard ne fait pas disparaître celle du choix et de l’engagement.

Documents

Il nous arrive parfois d’envisager le futur comme un carrefour entre deux destinées : Si je prends la rue à gauche ma vie ira dans une direction et si je vais à droite, elle ira dans une autre. Cette représentation imaginaire du destin qui s’en remet au hasard constitue le thème du film. Le film explore après-coup, la part d’indécidable que recèle le futur. La psychanalyse fait le pari d’un déterminisme de hasard. Qu’est-ce qui fait qu’avoir pris tant de routes au hasard vous vous retrouviez au bout du chemin à cet endroit qui lui, justement, ne doit rien au hasard ?
A propos de la manière dont Lacan s’est interrogé sur le hasard, lire le texte de Agnès Sofiyana  sur Tuchê et automaton.
http://www.psychanalyse-paris.com/Tuche-et-Automaton.html