L’impossible Monsieur Bébé

Howard Hawks

Avec Katherine Hepburn (Susan Vance), Cary Grant (David Huxley

Noir et blanc - 1938 - DVD

L'intrigue

David, paléontologue, attend avec impatience l’arrivée par la poste de la clavicule qui manque au squelette de son brontosaure. Il part en quête d’un éventuel donateur pour son musée et rencontre Susan, une riche héritière fantasque qui tombe sous son charme. L’os (la clavicule) arrivé par la poste est dérobé par le chien de la tante de Susan et enterré quelque part dans son jardin tandis qu’un léopard apprivoisé, cadeau d’un oncle voyageur, sera confondu avec son sosie féroce qui s’est enfui d’un cirque proche, toute rentrera dans l’ordre quand l’os manquant prendra enfin sa place dans le squelette du dinosaure qui s’écroulera au moment où le film s’achève.

  • Katherine Hepburn et Cary Grant

  • Cary Grant

  • Katherine Hepburn et Cary Grant

  • Katherine Hepburn et Cary Grant

  • Cary Grant et Katherine Hepburn

  • Cary Grant et Katherine Hepburn

  • Cary Grant et Katherine Hepburn

  • Cary Grant et Katherine Hepburn

  • Cary Grant et Katherine Hepburn

  • Howard Hawks

  • Affiche L'impossible Mr Bébé

  • Affiche L'impossible Mr Bébé

  • Jacquette DVD

Hawks, emblème de la Nouvelle Vague

Howard Hawks (1896-1973) est un metteur en scène de l’âge d’or d’Hollywood, comme la plupart des réalisateurs de cette période, il pratique tous les genres et réalise tour à tour des films de gangsters, d’aventure, des mélodrames, des peplums, des westerns et des comédies. Hawks est un cinéaste minutieux, travailleur, efficace et pragmatique. En 1938 il réalise L’impossible Mr Bébé avec Cary Grant et Katherine Hepburn, l’une des plus éblouissantes comédies hollywoodiennes du cinéma parlant avec Indiscrétions (1940) de Cukor et Cette sacrée vérité (1937) de Léo MacCarey.
« Voilà un film qui part à fond… et qui ne cesse d’accélérer. » (( Extrait de l’article de Antoine Royer, Analyse et critique, DVDClassik, http://www.dvdclassik.com/critique/l-impossible-monsieur-bebe-hawks, )) « L’impossible Mr Bébé » est une « Screwball, comedy », de l’argot « screw » qui signifie « cinglé » c’est-à-dire une comédie extravagante et loufoque menée sur un rythme débridé. (( Sous cette dénomination floue et large sont regroupés des films aussi différents que « To be or not to be » (1942) de Lubitsch ou Indiscrétions (1940) de Cukor, films sans grand rapport avec le style particulier de L’impossible Mr Bébé. )), Cary Grant porte des lunettes rondes qui lui donnent un faux-air d’Harold Lloyd, un acteur comique du temps du muet. L’impossible Mr Bébé s’inscrit dans la continuité des films burlesques du cinéma muet qui, de Chaplin première manière à Buster Keaton ou Laurel et Hardy, sont une des sources de la comédie américaine. Mais c’est du côté du théâtre de boulevard français, plus particulièrement de Labiche, que l’on trouve une référence obligée et peu étudiée du film de Hawks.
La concurrence est féroce entre les différentes productions de la côte Ouest et les studios d’Hollywood engagent écrivains et scénaristes pour inventer des histoires, chercher de nouvelles formes de récits et produire des scripts à la chaîne. C’est pour cette tâche, comme responsable d’une équipe de scénaristes, que Hawks a été engagé à Hollywood par Thalberg puis Zukor entre 1922 à 1926 (( Jean A. GILI, Howard Hawks, Cinéma d’aujourd’hui, Seghers, 1971, p 86 )). Il est probable que le film de René Clair, réalisateur français apprécié aux Etats-Unis, Un chapeau de paille d’Italie (1928) (adaptation de la pièce de théâtre éponyme de Labiche) ait été vu et étudié par les studios de l’époque. En 1936, deux ans avant le film de Hawks, Orson Wells a mis en scène à New-York, cette pièce de Labiche, adaptée en anglais sous le titre : Horse eats hat et obtenu un franc succès.
Les qualités du théâtre de Labiche sont aussi celles qui caractérisent cette comédie de Hawks : L’efficacité de Labiche tient d’abord « au rythme exceptionnel de ses comédies d’intrigue, à la rapidité des évènements et des dialogues. » « Coups de théâtre, quiproquos, allées et venues ne manquent pas, mais ici tout est urgence extrême. » « On surgit, on se cache, on s’échappe, on se retrouve et au terme de ces galopades aussi inutiles que frénétiques, boucle bouclée, on revient au point de départ. » (( EMELINA Jean. « Labiche : Le comique de vaudeville » In Romantisme, revue du 19e siècle, n° 74, Rire et Rires, p 85 et 86 )). « L’impossible monsieur Bébé » fuit la psychologie et met au premier plan le rapport au manque, malgré le temps le film a conservé sa vivacité et sa fraîcheur et se présente comme une illustration des premières leçons du quatrième séminaire de Lacan sur la relation d’objet. Les deux héros du film sont engagés malgré eux, dans une course débridée et loufoque pour tenter de faire tenir un monde qui va à sa ruine, un monde subverti par un désir toujours, fluctuant, versatile, dévastateur et inconscient. Katherine Hepburn, très à l’aise dans un rôle d’hystérique, fait sienne cette logique du désir et jubile de ses effets dévastateurs tandis que Cary Grant se désole du désastre qu’il engendre et met tout en oeuvre pour annuler, isoler et contenir la contagion qu’il génère.
D’après Elisabeth Roudinesco (( Conférence à la Cinémathèque Française à propos du film de John Huston, Freud, passion secrète le 11 juin 2016. )), c’est au pays de l’ego-psychology, celui où la psychanalyse est devenue l’affaire des médecins et des psychiatres, pays qui a fait de l’adaptation à la réalité l’horizon de la cure par la parole, qui borne, simplifie la théorie de Freud et dissout l’inconscient dans la relation d’objet, que les cinéastes et les scénaristes sont les plus fidèles à l’esprit de Freud et les plus subversifs. Plus la psychanalyse dans sa pratique devient une affaire de notables et plus le cinéma américain se montre proche d’une autre conception de l’inconscient, plus radicale, qui fait la part belle au désir, qui transgresse et subvertit la norme, bref une conception plus « lacanienne ».
Par une des bizarreries de l’histoire dont les rapports entre la France et les Etats-Unis ont le secret, c’est avec Hawks et Hitchcock et derrière Truffaut, que les jeunes critiques parisiens des « Cahiers du Cinéma » s’attaquent au cinéma français des années cinquante. Ils revendiquent ce qu’ils appellent la « politique des auteurs », un point de vue critique, militant et partisan dirigé principalement contre « une certaine tendance du cinéma français » (( Lire l’article de Truffaut daté du https://epicentrenouvellevague.wordpress.com/2014/04/09/une-certaine-tendance-du-cinema-francais/#more-368 )) représentée par Autant-Lara, Delannoy et leurs scénaristes, mais aussi Carné, Duvivier, Grangier et Clément, des cinéastes jugés dépassés, accusés de se revendiquer faussement de la littérature. Truffaut les brocarde comme des bourgeois, se proclamant anti-bourgeois, il critique leurs pratiques corporatistes et sclérosantes qu’il dénonce et désigne du nom de « réalisme psychologique », c’est à dire une manière toujours explicative, toujours prévisible et conventionnelle d’envisager leurs intrigues et leurs personnages. Ne trouvant pas parmi les cinéastes français les références au cinéma qu’ils aiment (mis à part Renoir, Bresson, Tati et quelques autres) « les jeunes turcs », comme on les appelle à l’époque, se tournent vers une poignée de cinéastes américains et surtout vers Hawks et Hitchcock, qu’ils reconnaissent comme des maîtres et qui deviennent des modèles indiquant la voie à suivre.
Quelques années plus tard, dans les années soixante-dix, alors que les « jeunes turcs » de la Nouvelle Vague sont devenus à leur tour des notables du cinéma français et qu’ils sont confrontés aux difficultés de la production et de la réalisation de films dans le cadre certes créatif et stimulant, mais étroit du cinéma national, il devient alors possible de porter un regard plus nuancé sur Hawks et ses films. Les réserves exprimées par Coursodon et Tavernier dans leur somme sur le cinéma américain représentent, comme ils l’écrivent : « une notable prise de distance par rapport à la mode cinéphilique. » (( Jean-Pierre COURSODON et Bertrand TAVERNIER, Cinquante ans de cinéma américain, Col. Omnibus, Nathan, 1995, p 537 )). Aujourd’hui, le temps a passé et sans doute la polémique a-t-elle cessé faute de combattants. Reste quelques interrogations : Pourquoi le choix de Hawks par la jeune garde ? Pourquoi pas Ford, Walsh ou Wellman qui s’interrogent sur la place de l’individu dans la communauté et face à la loi ? Pourquoi pas Losey ou Chaplin beaucoup plus talentueux et victimes du maccartisme ? Pourquoi pas Minnelli, Cukor ou Mankiewicz qui s’interrogent sur l’Amérique et ses travers? Pourquoi pas Kazan et Huston qui innovent, inventent et explorent de nouvelles formes ? Hawks est un Américain assez terne, un cinéaste certes brillant, mais qui se considère avant tout comme un technicien « sans problème » et se décrit comme « un professionnel de la mise en scène », il affirme que « les qualités d’un film se mesurent d’abord au nombre de spectateurs qu’il déplace » et ne revendique pas d’autre prétention que de servir l’industrie du cinéma de son pays. Son cinéma se présente comme un « refus de l’intellectualisme » et pour lui, « le cinéma n’est rien d’autre qu’un moyen de divertissement. » (( Jean A. GILI, Howard Hawks, Cinéma d’aujourd’hui, Seghers, 1971, p 5 à 9 )). Pourquoi donc Hawks et Hitchcock servent ils de drapeaux à ces jeunes intellectuels parisiens passionnés de littérature et de cinéma dans les années cinquante ? Pourquoi ces deux là précisément ?
La réponse n’est pas uniquement esthétique, elle est aussi politique. Sans doute nous est-il difficile aujourd’hui de porter un jugement sur les enjeux et ce qui préoccupaient les esprits à la fin des années cinquante. Pour les jeunes gens ambitieux des Cahiers du cinéma, majoritairement de droite, il s’agissait de s’opposer à l’anti-américanisme de la pensée communiste dominante de l’époque, représentée par l’historien du cinéma Georges Sadoul. Puisque la critique et l’establishment du cinéma français étaient communistes et anti-américains, les « jeunes turcs » seront pro-américains et s’opposeront à l’idéologie du moment. Ces jeunes cinéastes de talents trouveront un soutien bienveillant et actif auprès des représentants de l’état pour lancer leurs entreprises et monter leurs affaires. Il était temps d’en finir avec les producteurs qui avaient débuté leur commerce dans les années trente et qui avaient su si bien naviguer sous l’occupation. La « Caravelle », « Yves Saint-Laurent » et la « DS », les « Maisons de la Culture » et la « Nouvelle Vague », deviennent alors les emblèmes d’une nouvelle époque qui commence et la preuve que le renouvellement de la société française est en cours. Les fondations et les structures de l’industrie du cinéma et de la distribution d’aujourd’hui reposent sur des bases datant de cette époque et des enjeux importants en dépendent, aussi le sujet est-il encore extraordinairement inflammable et sans doute est-il encore un peu tôt pour l’aborder sans déclencher polémiques et contreverses.
Reste de cette époque pas si lointaine, une bizarrerie propre au cinéma français, qui étonne toujours les cinéphiles étrangers, il s’agit de la haine inextinguible que se vouent les deux générations de cinéastes; celle d’avant et celle d’après les années cinquante-cinq. Serge Daney disait à propos de Marcel Carné et de son film Les enfants du Paradis : « Je ne peux pas regarder ce film, je ne peux pas regarder un film français des années quarante. » Le fossé lui semblait alors infranchissable.