La valse des pantins
Martin Scorsese
Avec Robert de Niro (Robert Pupkin), Jerry Lewis (Jerry Langford) Sandra Bernhard
L'intrigue
Robert Pupkin, un fan de Jerry Langford, l’animateur le plus populaire de la télévision américaine, est prêt à tout pour faire un one-man show dans l’émission de sa star préféré. N’y parvenant pas, il s’associe et monte un coup avec Masha, une autre fan de Jerry. Ils enlèvent et séquestrent Jerry pour que chacun puisse réaliser son rêve. Pupkin passe dans le show télévisé de Jerry qui le consacre comme « roi des comiques » pendant que Masha contraint son idole à un tête-à-tête amoureux.
Photos et vidéos extraites du film
Le paranoïaque et l’érotomane
Publié le par Pascal Laëthier
Après avoir réalisé son premier film américain intitulé « Taking off » en 1971, Milos Forman, cinéaste tchèque émigré aux USA, est à la recherche d’un nouveau scénario. Il travaille avec Buck Henry sur une première version de « Harry, la valse des pantins » avant d’abandonner le projet. C’est finalement le roman à succès de Ken Kesey, « Vol au-dessus du nid de coucou » qui retient son attention et qu’il adaptera à l’écran en 1973.1 Paul D Zimmerman, le scénariste du film raconte différemment la genèse de ce film. Il a conçu l’intrigue à partir d’idées personnelles dès le début des années 70, puis en a proposé la lecture à Robert de Niro qui s’enthousiasme pour le scénario et en achète les droits. De Niro le propose à Martin Scorsese qui refuse dans un premier temps. C’est quelques années plus tard, pendant le tournage de « Raging Bull » que de Niro propose de nouveau la lecture du scénario à Scorsese qui l’envisage alors sous un jour nouveau.2 « Je pouvais m’exprimer aussi bien à travers Jerry qu’à travers Rupert. Le plus ironique, c’est qu’une partie de moi-même est toujours obsédé et se reconnaît en Rupert. C’est bien pour ça que j’ai pu faire ce film. (…) Je pouvais voir Rupert avec les yeux de Jerry, et inversement. C’était une sensation très étrange, parfois terrifiante, que de pouvoir se partager entre ses deux personnage ». (( « La valse des pantins », dossier de presse, p.16. ))
« La valse des pantins » est réalisé en 1982 et c’est le film qui sera vu par le moins de spectateurs de tous ceux réalisés par Scorsese.3 Le réalisateur doute alors de son talent et déprime. « L’industrie avait changé, et l’époque des films personnels était terminée. »4. L’échec du film n’est pas sans rapport avec le désintérêt croissant de l’industrie américaine du cinéma pour les films qui ne sont pas de pur divertissement depuis l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan en 1981. « La valse des pantins », première comédie réalisée par Scorsese, marque un tournant dans la carrière du réalisateur qui ne colle plus à l’étiquette « cinéaste indépendant » ou « cinéma d’auteur » et fait son entrée dans l’establishment du cinéma de studio.
Scorsese et son scénariste jettent un regard inhabituel et décalé sur le trouble mental. Ils parviennent à rendre perceptible le moment de bascule de la paranoïa ou l’amour se transforme en haine, moment où la réalité qui se refuse et devient insupportable, est recouverte par le délire. Popkin, hâbleur et quémandeur poursuit et harcèle Jerry jusque devant son domicile. Celui-ci refuse de céder à ses demandes et abandonne Popkin sur le trottoir. Cette scène est immédiatement suivie d’une autre présentée dans le film comme la réalité alors qu’elle montre le délire de Popkin. Les rôles sont inversés, Jerry devient le quémandeur et supplie Popkin pour qu’il le remplace dans son show pendant 6 semaines et Popkin a toutes les peines du monde à faire entendre raison à Jerry. Popkin est littéralement devenu Jerry, il est une star adulée par tous (délire de grandeur), et l’amour qu’il manifestait pour Jerry à changé de nature. Il fait subir à Jerry ce que lui-même a subi (délire de persécution).
La scène de séduction où Masha, après avoir séquestré, ligoté, bâillonné Jerry, se dénude devant lui en faisant une déclaration d’amour à est Jerry, se situe à la limite de ce qui est acceptable dans un spectacle commercial. Scorsese et Zimmerman parviennent parfaitement à rendre palpable le malaise éprouvé au contact de l’érotomanie.
Documents
Freud, analyse d’un cas de paranoïa5
D’après Freud, le complexe paternel est la clef de la psychose paranoïaque. Le noyau du conflit de la paranoïa est le fantasme de désir homosexuel (aimer un homme), conséquence d’une fixation homosexuelle (au stade narcissique). En raison de l’échec du refoulement, le désir fait irruption, il est projeté sur la personne aimée et le : « Je l’aime » devient un : « Il me hait ».
Il importe de garder en mémoire que cette élaboration date de 1911 et que Freud ne dispose à l’époque que des outils théoriques développés pour l’étude des névroses. Freud entreprend une analyse structurale de la psychose paranoïaque qui, d’après lui, se réduit aux diverses façons de contredire la proposition : « Moi (un homme), je l’aime (lui, un homme) ».
Dans le délire de jalousie qui la première manière de contredire cette proposition, de : « Je l’aime (lui) », on passe à : « Elle l’aime (lui) ». C’est le sujet et le sexe qui change et par projection, on passe d’un sentiment intérieur, à une menace de l’extérieur.
La deuxième manière de nier le désir homosexuel correspond au délire de persécution qui contredit le verbe. De : « Je l’aime (lui) », on passe à : « Je le hais (lui) », puis « Il me hait ». Du fait du changement en son contraire, l’amour devient haine à laquelle s’ajoute la projection.
La troisième manière de nier, c’est le délire d’érotomanie qui contredit l’objet. De : « Je l’aime (lui) », on passe à « Je l’aime (elle) » qui devient « Elle m’aime ». Il y a déplacement (pas de changement en son contraire) et projection.
La dernière manière de nier consiste à rejeter intégralement la proposition. « Je n’aime pas du tout – Je n’aime personne ». Ce qui équivaut à « je n’aime que moi » à l’origine du délire de grandeur et qui est une surestimation sexuelle du moi.
Il faudra attendre Mélanie Klein6 pour envisager une nouvelle manière théorisation et clinique des psychoses.
- FORMAN MILOS, …Et on dit la vérité, mémoires, Robert Laffont, Coll. Vécu, Paris, 1993, P 252 [↩]
- La valse des pantins, dossier de presse, p.9 [↩]
- A l’exception de « Alice n’est pas ici », film réalisé en 1974. [↩]
- « La valse des pantins », DVD, Twentieth century fox home entertainment, Bonus du DVD, Making off, interview de Martin Scorcese, 2004 [↩]
- FREUD SIGMUND, « Du mécanisme de la paranoïa » chapitre 3 de l’article, « Le président Schreber » dans Cinq psychanalyses, PUF, Coll. Bibliothèque de la psychanalyse, Paris, 1954, p 304. [↩]
- « L’importance de la formation du symbole dans le développement du moi », 1930 [↩]