La nuit des forains

Ingmar Bergman

Avec Harriet Andersson (Anne ), Ake Grönberg (Alberti)

Couleurs - 1953 - DVD

L'intrigue

Un cirque minable monte son chapiteau aux abords d’une ville de province. Alberti, son directeur et Anne l’écuyère qui est aussi sa maîtresse, doutent de leur avenir dans le cirque. Ils vont quémander des costumes auprès du directeur du théâtre de la ville qui se moque d’eux. Alberti, rend visite à la femme qu’il a quittée, il y a trois ans et qui, devenue une honnête bourgeoise, l’humilie, tandis qu’Anne se laisse séduire par un comédien en échange d’un bijou sans valeur. Le spectacle de cirque est un succès, mais Alberti provoque le comédien qui a abusé d’Anne et se fait rouer de coups pendant la représentation. Au matin, le cirque démonte le chapiteau et reprend la route.

  • Harriet Andersson (Anne )

  • Jacquette dvd: La nuit des forains

  • Harriet Andersson (Anne ) et Ake Grönberg (Alberti)

  • Ake Grönberg (Alberti) et Harriet Andersson (Anne)

  • Gudrun Brost (Alma) tenant dans ses bras Anders Ek (Le clown Frost)

La vie d’artiste selon Bergman

« La nuit des forains » est le treizième film de Bergman. Il est considéré comme son premier chef d’œuvre. C’est le premier film réalisé avec l’opérateur Sven Nykvist qui deviendra par la suite son indispensable collaborateur (« Persona », « Sonate d’automne », « Fanny et Alexandre »…). Le film commence par une scène muette d’une stupéfiante beauté : Le clown Frost, humilié et trompé par sa femme, accourt et fend la foule massée au bord de l’eau. Il la découvre qui se baigne avec des soldats. Frost étreint sa femme et transporte son corps nu sur les rochers en la protégeant des regards de la populace menaçante qui ondule à sa poursuite. Avec des images denses et contrastées, une musique de fanfare, Bergman renoue avec le meilleur des films expressionnistes.

« La nuit des forains » est un hommage au cinéma muet qui décida de la vocation de Bergman pendant ses jeunes années. C’est plus précisément un hommage au film « Larmes de clown », un long-métrage muet que Sjöström réalise aux Etats-Unis en 1924 quelques années après son départ de Suède. (( Sjöström a été le mentor de Bergman à ses débuts et son comédien dans « Les fraises sauvages ». Son film est cité par Bergman dans le livre d’entretiens réalisés avec Assayas et Björkamn, Conversation avec Bergman, sous le titre: Celui qui reçoit des gifles, traduction littéral du titre américain. Le titre original français et Larmes de clown. Edité en cassette : Sylphe éditeur – Collection – Lon Chaney – Vol. 4 )) La nuit des forains reprend et approfondit le thème de Larmes de clown, celui de la tromperie et de la déchéance d’un homme humilié et battu par l’amant de sa femme. Les deux scènes centrales de « Larmes de clown » et de « La nuit des forains » sont similaires. Il s’agit du spectacle d’un homme jaloux qui se bat en duel et qui est giflé à mort par son rival sur la piste d’un cirque devant un public hilare et sous les yeux de la femme qu’il aime. Ce qui sert de toile de fond à un récit mélodramatique et romanesque chez Sjöström, devient prétexte à un questionnement existentiel sur le statut du couple et de l’artiste chez Bergman. Sans se perdre dans un dédale d’interrogations métaphysiques, Bergman fait apparaître nettement les thèmes centraux et obsédants de son cinéma. Il fait la description désenchantée de l’enfer du couple, la lassitude, l’ennui, les disputes qui conduisent à la haine et finalement à une forme de sagesse (ou de lassitude) par la résignation.

« La nuit des forains » est une étude désenchantée sur le statut de l’artiste. Bergman vient de se séparer de sa deuxième femme dont il a eu quatre enfants. Il vient de prendre la direction du théâtre de Malmö, une ville de province perdue au fond de la Suède. Il vit toute l’année avec la troupe de comédiens, tournant des films l’été et interprétant les pièces du répertoire pendant l’hiver. Pendant le tournage de « Monika », il est tombé brièvement sous le charme de son actrice principale, Harriet Andersson et son couple n’y a pas résisté. « La nuit des forains » dresse le constat de la vie d’artiste vu comme une chute sans fin, entre trahison, pauvreté, saleté, humiliation et misère. On est à l’opposé de l’icône de l’artiste maudit, mais triomphant immortalisée par les réalistes français. Malgré les années passées, le film a gardé son potentiel de violence et de scandale.