Jamais le dimanche
Jules Dassin
Avec Melina Mercouri (Illia), Jules Dassin (Homer)
L'intrigue
Homer, un américain philosophe, se scandalise du mode de vie d’Illia, une prostituée athénienne, dont il tombe amoureux et qu’il entreprend de remettre dans le droit chemin.
Photos et vidéos extraites du film
Pour l’amour d’une femme
Publié le par Pascal Laëthier
Jamais le dimanche est le plus grand succès commercial de Jules Dassin. Le film se présente sous la forme d’une fable morale pleine d’entrain et d’énergie dans laquelle on boit, on danse, on chante, on se bat et on s’aime. Les aventures d’Illia, prostituée débordante de vitalité (Mélina Mercouri) en lutte pour défendre de son gagne-pain, qui a pour clients et amis tous les marins du port du Pirée et qu’un Américain philosophe du Connecticut (Jules Dassin lui-même) amoureux et jaloux, tente de raisonner et de de remettre dans le droit chemin ne sont pas prêtes de redevenir un pitch à la mode. L’époque a changée, les prostitués arpentent de moins en moins nos rues et les maisons closes ont disparu. Pour autant l’exploitation sexuelle des femmes s’est intensifiée et prospère par le biais des sites pornographiques, des sites de rencontres et des pays qui accueillent le tourisme sexuel. Avec cynisme et efficacité l’activité s’est libéralisée, « uberisée », délocalisée » et rapporte toujours plus d’argent aux « exploitants ». C’est justement ce contre quoi s’élève déjà Dassin dans les années soixante qui conteste les effets du capitalisme (à l’époque on ne disait pas libéralisme) appliqués au commerce du sexe.
Pendant sa période structurale Lacan a cité le film de Dassin dans son séminaire L’éthique de la psychanalyse, preuve qu’il s’intéressait au cinéma. Sans doute les films qui faisaient l’affiche à cette époque n’étaient-ils pas à son goût. A propos de Jamais le dimanche, Lacan s’intéresse à la caisse enregistreuse du café du port du Pirée qui, pendant que les marins se battent, dansent et chantent, additionne et comptabilise frénétiquement chaque fois qu’un verre est jeté sur le sol. Cette caisse définit très bien la structure à laquelle nous avons affaire. Ce qui fait qu’il peut y avoir désir humain, que ce champ existe, c’est la supposition que tout ce qui se passe de réel est comptabilisé quelque part1.
Pour quelle raison ce film un peu désuet, voir candide, s’efface difficilement de nos mémoires ? Sans doute le principal, l’amour et la vénération que Dassin porte à la femme qu’il a rencontrée quatre ans plus tôt au festival de Cannes et dont il a fait son égérie. Avec Melina Mercouri, Dassin a trouvé l’amour, mais aussi un pays, un style de vie, une culture : la Grèce l’a adopté et reconnu comme un des siens. C’était bien avant que l’Europe libérale ne s’obstine à réclamer le remboursement de sa dette à la Grèce et que le port du Pirée ne soit exploité par une société chinoise.
Pour « Julius Moses » Dassin, l’aventure a commencé en 1911 dans une petite ville du Connecticut aux Etats-Unis. Il est le troisième enfant d’une famille juive émigrée d’Ukraine. Le fonctionnaire de l’immigration ayant demandé son nom au père de Jules et celui-ci, comprenant mal la question lui aurait répondu qu’il venait d’Odessa, d’où le nom de « Dassin » qui lui a été attribué. Sa famille est pauvre, très pauvre, il grandit dans le quartier du Bronx à New-York. Jules se passionne pour le théâtre et devient comédien, puis metteur en scène. Il entre au PC en 1930 et le quitte en 1939 après l’accord signé entre Molotov et Hitler. Il part pour Hollywood et travaille dans le cinéma. Après des premiers films vibrants, passionnés et engagés Naked City, (La cité sans voile 1948), Thieves’ Highways, (Les bas-fonds de Frisco 1949) et Night and the city (Les forbans de la nuit 1950), sa carrière américaine tourne court après qu’il ait été dénoncé par des amis proches et communistes comme lui (Dmytryk et Kazan, entre autres) auprès de la commission des affaires anti-américaines. Poursuivi, menacé de prison il doit quitter les Etats-Unis et choisit de s’installer en France où il reste 5 ans sans travailler. Après diverses péripéties il accepte de de mettre en scène un roman policier d’Auguste Lebreton. Le scénario est raciste, misogyne et bourré de poncifs et Dassin dispose d’un budget ridicule, mais comme son camarade d’infortune Joseph Losey, lui aussi chassé d’Amérique par le maccartisme, Dassin a le don de la mise en scène et connaît son métier. Il réécrit le script et s’investit sur ce projet pour faire de cette commande, Du rififi chez les hommes (1955), un film certes inégal, mais d’une originalité stupéfiante, avec une scène d’anthologie qui reste encore aujourd’hui la référence des films de cambriolage ; une séquence d’action de 35 minutes sans dialogue, ni musique.
La rencontre avec Mélina Mercouri l’année précédente au festival de Cannes, va décider de la vie de Jules Dassin. Il se sépare de Béatrice Launer, la mère de ses trois enfants (dont le chanteur Joe Dassin) découvre la Grèce, la littérature de ce pays et tourne avec elle une dizaine de films dont Jamais le dimanche en 1960.
Les colonels prennent le pouvoir en 1967, Dassin et Mercouri s’installent à Paris et leur appartement de la rue de Seine devient un point de rendez-vous pour ceux qui luttent contre la dictature. En 1974, après la chute du régime, le couple s’installe à Athènes, Mélina est élue députée socialiste puis devient ministre de la Culture. Jules Dassin réalise encore quelques films puis se consacre au théâtre. Après le décès de Mélina Mercouri en 1994, il poursuit seul leur combat, toujours inabouti, pour que les fresques du Parthénon soient rapatriées d’Angleterre au musée du Panthéon d’Athènes.
Jamais le dimanche a longtemps servi de film « annonce » pour le tourisme grec à ses débuts et la chanson d’Hadjidakis Les enfants du Pirée, que tout le monde a en tête, a popularisé et inventé de toute pièce, un genre musical qui n’existe qu’au cinéma et n’a pas ou peu de rapport avec la musique traditionnelle grecque. C’est sans doute le paradoxe le plus criant du film de Dassin/Mercouri, celui de s’adresser au plus grand nombre par le biais du cinéma pour défendre un style de vie singulier et par la même de contribuer à le « marchandiser » et détruire ainsi ce qu’il prétendait préserver. Le cinéma est un art sans doute, mais c’est aussi un outil de communication de masse et de propagande.
- Lacan Jacques, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1986, p 365-367 [↩]