Anna M.

Michel Spinosa

Avec Isabelle Carré (Anna M.), Gilbert Melki (Dr André Zanevsky), Anne Consigny (Marie Zanevsky), Geneviève Mnich (la mère d’Anna)

Couleurs - 2007 - DVD

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L'intrigue

Après une tentative de suicide, Anna se fait soigner à l’hôpital par le Docteur Zanevsky. Elle se persuade que le Docteur Zanevsky l’aime. Elle le poursuit et le harcèle pour qu’il reconnaisse l’amour qu’il lui porte.

  • Isabelle Carré (Anna M.)

  • Isabelle Carré (Anna M.), Gilbert Melki (Dr André Zanevsky)

  • Isabelle Carré (Anna M.)

  • Isabelle Carré (Anna M.)

  • Gilbert Melki (Dr André Zanevsky)

  • Isabelle Carré (Anna M.)

  • Isabelle Carré (Anna M.)

  • Affiche: Anna M.

  • Michel Spinosa

Comment aborder le phénomène de l’érotomanie ? (1)

Le film « Anna M. » se présente comme l’exposition d’un cas clinique et se déroule comme un drame en trois actes: L’espoir, le dépit et la haine. Spinosa, le metteur en scène décrit parfaitement la certitude de l’érotomaniaque que rien n’entame, « l’illusion délirante d’être aimé ». Isabelle Carré décrit son intérêt pour le personnage d’Anna, cette « grande amoureuse » : « On a tous en germe cette façon de vivre l’amour » (( Interview d’Isabelle Carré dans le bonus du dvd. )) On suit la description minutieuse de cette passion amoureuse idéale, intransigeante et morbide, pour un objet d’amour quasiment absent.
Lacan affirme à la lecture de l’ouvrage délirant de Schreber à propos de son auteur: « S’il est assurément écrivain, il n’est pas poète »  ((  LACAN Jacques, Le séminaire, livre 3, Les psychoses, Paris, « leçon du 23 novembre 1955 », Seuil, Le champ freudien, 1973, page 91 )) .  On peut s’interroger de la même manière à propos du comportement de l’érotomane qui est assurément une grande amoureuse, mais s’agit-il d’amour ?

Documents

L’érotomanie est une psychose rare (( Psychose est le terme scientifique qui désigne ce qu’on appelait autrefois « folie » )) qui touche principalement les femmes. Pour être plus précis, l’érotomanie est une forme de paranoïa et à ce titre, fait partie des psychoses. Elle est appelée « psychose passionnelle » par Gaëtan de Clérambault qui lui donne son véritable statut clinique et la définit avec précision : « Le délire érotomaniaque est un syndrome passionnel morbide » qui a pour « base le caractère paranoïaque » ((DE CLERAMBAULT Gaëtan, « Les délires passionnels ; L’érotomanie, revendication. Jalousie » (1921) dans L’érotomanie, Paris, Les empêcheurs de tourner en rond, 1993, pages 65)). D’après Clérambault, le « Postulat fondamental » de l’érotomanie est le suivant : « C’est l’objet qui a commencé et qui aime le plus ou qui aime seul » ((DE CLERAMBAULT Gaëtan, « Les délires passionnels ; L’érotomanie, revendication. Jalousie » (1921) dans L’érotomanie, Paris, Les empêcheurs de tourner en rond, 1993, pages 65 à 67 )). Clérambault définit trois phases au cours de l’épisode érotomaniaque: Celle de l’espoir, moment d’amour où l’érotomane s’enferme dans sa bulle imaginaire et irradie de bonheur. Elle a la certitude d’être aimée par l’autre, elle veut l’attirer dans son amour et faire coïncider son fantasme et la réalité. Suit la phase du dépit, quand l’objet d’amour se dérobe, puis succède la phase de la haine, pendant laquelle l’objet d’amour devient le mauvais objet propre à la paranoïa avec l’envahissement des pulsions agressives.
Clérambault constate que l’objet d’amour choisi par l’érotomane est de rang élevé, (prêtre, médecin, patron, prince, roi, etc.). Cet objet est « vigilant » et « protégé », c’est lui qui fait des travaux d’approche vers l’érotomane et il a sans cesse des conversations indirectes avec elle. L’objet d’amour ne peut obtenir le bonheur qu’avec l’érotomane. Il est libre et son mariage ne compte pas. Enfin l’histoire d’amour qui commence suscite l’approbation de tous.
Comment d’aborder l’érotomanie autrement que par sa description phénoménologique et dépasser l’attrait imaginaire que peut susciter une vignette clinique ? Quelle en est la cause ? Qu’est-ce qui est en jeu ? Comment se déclenche-t-elle et pourquoi ?
Pour Freud, l’érotomanie est l’un des trois types de psychose défini par la manière de faire varier la proposition, « je l’aime lui » ou « je l’aime elle ». Le « je » étant du même sexe que le « l’ ». C’est ce qu’il appelle l’amour homosexuel. (( « Il est (…) curieux de voir que les principales formes connues de la paranoïa puissent toutes se ramener à des façons diverses de contredire une proposition unique : Moi, je l’aime. » FREUD, Sigmund, « Le président Schreber », Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1954, page 308 )). L’érotomanie correspond à un retournement grammatical particulier de cette proposition. D’après Freud, dans l’érotomanie féminine, la proposition « je l’aime elle » est contredite par un changement d’objet et devient : « Je l’aime lui », puis en une inversion de la relation à l’objet (projection) qui transforme le « je l’aime lui » en « il m’aime ». Ce qui explique l’étrange argumentation des érotomanes : « Ce n’est pas moi qui l’aime, c’est lui qui m’aime » ainsi que l’importance accordée à la rivale (( Le « retournement grammatical » de Freud pour définir l’érotomanie peut sembler étrange et purement formel au premier abord, mais il se révèle un précieux outil clinique parce qu’il permet une première approche structurale. Pour tout être humain, au départ, il n’y a pas de différenciation entre « moi » et « l’autre ». La psychose fait subsister quelque chose de ce rapport originaire au monde. C’est pour cette raison que le repérage grammatical de Freud marque un changement fondamental dans l’abord des psychoses. )).
La caractéristique première de l’érotomanie, c’est de n’être marquée par aucune production hallucinatoire, comme dans le délire paranoïaque, mais de se présenter elle-même comme un délire. Ce qui déconcerte chez l’érotomane, c’est l’immédiate compréhension que l’on a de son discours qui se présente comme une évidence, tant il est proche du sentiment amoureux « normal ». Il s’en différencie par ce que Lacan appelle le « noyau dialectique » qui correspond à cet endroit du discours apparemment compréhensible qui signe un arrêt à la signification, qui se répète et qui est d’inaccessible à toute composition dialectique. (( Le repérage de ce moment « d’inertie dialectique » est mis en évidence dans le film « Anna M » au cours d’un des échanges entre le docteur Zanevsky et Anna M. Il est retranscrit en partie dans la colonne voisine à la rubrique « citation » )) Pour Lacan, il ne s’agit pas de comprendre qu’elle est la signification du délire ou de se perdre dans une exploration phénoménologique ou historique de son évolution, mais de se demander qui parle dans l’érotomanie? Ou encore quel est le statut de l’objet d’amour ? Dans l’extrait qui suit, Lacan donne une indication précieuse pour aborder la clinique de la paranoïa.

« La difficulté pour aborder le problème de la paranoïa tient précisément à ce qu’elle se situe justement sur ce plan de la compréhension. Le compréhensible est quelque chose de complètement fuyant et qui se dérobe. (…) Dans la formation que nous donnons aux élèves pour comprendre la critique de cas, il convient de les arrêter au moment où ils ont compris qui coïncide avec celui où ils ont raté l’interprétation. C’est là où le débutant se précipite pour combler avec une compréhension qu’il exprime par la formule : « Le sujet a voulu dire ça »… « Qu’est-ce que vous en savez ? »  Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il ne l’a pas dit. » (…) « Commencez par ne pas croire que vous comprenez et partez de l’idée du malentendu fondamental ».  (( L’extrait proposé ci-dessus est un mélange de la version Staferla du séminaire 3 et de la version du Seuil : LACAN Jacques, Le séminaire livre 3, Les psychoses, Paris, « leçon du 23 novembre 1955 », Seuil, Le champ freudien, 1973, pages 29, 30 et 31 ))