L’inconnu du lac
Alain Guiraudie
Avec Pierre Deladonchamps (Franck), Christophe Paou (Michel), Patrick d’Assumçao (Henri), Jérome Chappatte (L’inspecteur Damroder)
L'intrigue
Un lieu de drague pour hommes, caché au bord d’un lac. Franck tombe amoureux de Michel. Un homme beau, puissant et mortellement dangereux. Franck le sait, mais il veut vivre cette passion.
Photos et vidéos extraites du film
La fin des utopies
Publié le par Pascal Laëthier
Alain Guiraudie est originaire de l’Aveyron, ce n’est pas un parisien et il ne vient pas d’une famille du cinéma. C’est un homme de gauche, engagé et plutôt du côté communiste. Ses films sont des comédies drolatiques et picaresques. Il réalise un cinéma direct, original et très personnel. L’inconnu du lac, sorti en 2013, marque un changement dans sa filmographie : J’ai fait des films décalés d’entrée de jeu, des films qui proposaient un monde réinventé, qui résistait au naturalisme. (…) Puis je me suis dit qu’il fallait affronter le monde tel qu’il est. Je n’avais plus envie de faire un pas de côté en ayant recours à la fantaisie, en le remodelant suivant mes désirs. L’enjeu du cinéma ne me semble plus de proposer un autre monde, mais de faire avec le monde tel qu’il est… C’est ce monde-ci qu’il faut emmener ailleurs… 1. Cette proposition de faire avec le monde tel qu’il est et l’exigence d’un regard autre sur l’existant, n’est pas le résultat d’une démarche intellectuelle ou conceptuelle, il vient de la nécessité de s’engager plus avant dans une recherche autour de la sexualité et des pratiques du sexe : J’ai toujours tourné autour du pot. Je ne me suis jamais vraiment confronté à la représentation de ma propre sexualité. (…) Il était peut-être temps pour moi d’en venir aux choses sérieuses. De représenter les choses de l’amour… Pas l’amour pour rigoler, l’amour-amitié comme je l’ai souvent fait… Mais l’amour passion. Dans « L’Inconnu du Lac », je voulais me coltiner vraiment à ce que c’est que d’avoir quelqu’un dans la peau : jusqu’où ça peut aller ? Et puis l’amour, la passion, c’est la grandeur des sentiments, mais c’est surtout le sexe. Je voulais m’y confronter réellement, d’une manière différente, en faisant se côtoyer, au sein de mêmes séquences, à la fois l’émotion amoureuse et l’obscénité du sexe, sans opposer, comme on le fait souvent, la noblesse des sentiments d’un côté et le fonctionnement trivial des organes qui rentrent l’un dans l’autre2. Le libre exercice des pratiques du sexe non tarifées entre personnes consentantes, qui apparaissaient comme une revendication et une utopie est longtemps resté un objectif inatteignable dans un monde pris dans un carcan de règles morales et de normes de conduites. Cette liberté conquise et explorée dans les années soixante et soixante-dix a été remodelée et reconfigurée par la vague libérale des années quatre-vingt, avant d’être massifiée et banalisée quand le monde est devenu connecté. Ces changements ont modifié en profondeur les luttes homosexuelles.
Guiraudie : Aujourd’hui, on manifeste pour le mariage pour tous. Quelque chose s’est perdu en cours de route. Les lieux de drague sauvages ferment, mais ils sont remplacés par des clubs libertins à 40 euros l’entrée. »3 Guiraudie interroge ce qu’il appelle les « utopies amoureuses », qu’il voit comme cet idéal, ce fantasme collectif qui serait celui de faire quelque chose ensemble avec le sexe : Les utopies amoureuses, j’en reviens un peu. (…) L’utopie pour moi, c’est un lieu qu’on a quelque part dans la tête. Comme point de mire, mais qui n’existe pas. Tout le monde a cela, sans ça on ne vivrait pas. Mais je trouve qu’on a abaissé le niveau de l’utopie. La libération sexuelle, ce n’est pas de l’utopie, elle a eu lieu. Partouzer, ce n’est pas de l’utopie, ça existe. Même le communisme, pour moi, ce n’est pas de l’utopie, ça n’a pas eu lieu de façon très heureuse… L’utopie c‘est ce grand truc dont on a tous besoin qui est très loin et qui doit rester très loin. On nous donne aujourd’hui l’impression que c’est quelque chose qui existerait. Je ne filme pas les utopies, je filme ce qui est devant moi4.
Guiraudie, après Lacan, fait le constat qu’ « il n’y a pas de rapport sexuel ». Avec cet aphorisme provocateur, Lacan affirmait qu’il n’est pas possible de créer du commun à partir de la pratique du sexe, ce « rapport » étant littéralement impossible. Lacan joue sur l’équivoque du mot « rapport », qui signifie à la fois « l’acte » qui lui est bien sûr possible et le « rapport » de la « mise en rapport », c’est à dire la mise en évidence d’une valeur de comparaison et d’une valeur commune entre deux termes5. Pour autant, si Guiraudie se satisfait difficilement de l’abandon des « utopies amoureuses » il a fait l’expérience de la liberté sexuelle, de « l’usage des plaisirs » et il n‘est pas prêt de lâcher la proie pour l’ombre. Il est probable que « l’être ensemble » se construise sur la répression sexuelle comme le prétend Freud, mais Guiraudie ne cède rien de son droit au plaisir et à la jouissance6. Hélène Frappat interroge Guiraudie à ce sujet dans le dossier de presse : Votre film, malgré sa cruauté, sa noirceur, reste dans l’horizon de l’humain.
Guiraudie : C’est une vraie question chez moi : comment est-ce qu’on est seuls ensemble ? La communauté des hommes dont je rêve a du mal à exister. Et au fond, suis-je si sûr de la vouloir moi-même? D’être prêt à des renoncements pour la faire advenir ? Pourtant je reste persuadé que c’est la seule solution dans ce monde où l’idéal semble être de se réfugier dans sa propriété entourée de murailles. Le plus loin possible du voisin.
Maryan Benmansour est philosophe et psychanalyste, a écrit l’article qui suit à la suite de son intervention au débat de cinepsy le 19 novembre 2019.
L’inconnu du lac (Le désir naît sous x)
L’inconnu du lac, à double titre, se présente comme une énigme, et c’est de cette énigme dont il faudrait dire quelques mots.
Restons sur la scène finale : Frank, le personnage principal, s’engloutit peu à peu dans la nuit tombée sur le bois. Il disparaît dans une nuit sonore, dans la bande-son, une tâche, noire comme le reste de la nuit, au lieu de son visage. De lui, ne demeure, qu’un pictogramme, un mince éclat de lumière sur les lignes par lesquelles ses clavicules affleurent sous sa peau. D’une voix hésitante et indécise il appelle le nom de son amant meurtrier.
En cette scène se montre le redoublement de l’énigme. Énigme dans l’intrigue : amant ou assassin qui est Michel ? Énigme du désir : que désire Frank ? La mort par l’amant retrouvé ou la vie sauve ?
Henri est mort, le chasseur d’énigmes, le policier, est mort… Frank est seul dans la nuit et appelle… Double énigme de l’homme plongé dans la nuit, qui glisse lentement du visible à l’audible, dans l’obscurité, la solitude et la mort.
Cette nuit est l’envers sans cesse repoussé du monde dans lequel se tient l’action du film, un monde solaire où des hommes se rencontrent, monde qui s’ordonne selon une certaine unité de lieu, et de temps.
Unité de lieu, soit une topographie qui se déplie en quatre lieux : le parking, le bois, la plage, le lac. Ajoutons à cela le ciel, en surplomb. Le parking et la plage permettent de passer du monde vu à l’invisible. Ils font office de limites absolues au regard qui ne peut porter au-delà : pas d’au-delà du parking, pas d’au-delà du lac. Le ciel, les rives, la route.
Un dispositif scénique mais aussi un milieu.
Unité de temps : elle est donnée par la première journée. On arrive au parking, on gare sa voiture, on pose ses affaires sur la plage, on bavarde, on nage dans le lac et on va dans le bois pour chercher un partenaire avec lequel on peut faire l’amour. On reprend sa voiture et on quitte la scène.
L’action aurait pu s’arrêter au premier jour, il vaut pour tous les autres, dans une répétition éternelle du plaisir. Chacun des lieux est lieu de plaisir : le parking (le départ et l’arrivée), la plage (plaisir du regard), le lac (plaisir de la nage avant l’acte ou de l’immersion après), le bois (plaisirs polymorphes et infinis jusqu’à la fatigue…on peut même rêver y trouver des femmes).
Et c’est précisément en ce lieu que l’action vient dérouter la promesse d’un temps unique, d’une éternelle répétition du plaisir. Dès le premier jour, Frank est attiré par un homme, Michel, qui fait l’amour avec un autre homme dans le bois. Dès le premier jour surgit l’impossibilité de l’éternité et du manque qui signe le désir. La répétition ne peut être à l’identique.
Et c’est dans cette structure même, que réside précisément l’affirmation du film: l’impossibilité d’une éternité de plaisirs ou d’un plaisir éternel, sans inflexion préalable donnée par un désir. C’est en ce sens que le film vient signer la fin de ce qui pourrait être ou avoir été une utopie « gay ». L’utopie d’un plaisir permanent, par-delà le désir. Guiraudie le dit lui-même dans le dossier de presse du film : On a beaucoup parlé des utopies amoureuses, d’un cinéma de l’utopie. J’avais envie de mettre à l’épreuve ces discours, en proposant une mise en scène de la sexualité plutôt documentaire,et non en recréant un monde fantaisiste qui s’accorderait à mes désirs. J’avais envie de filmer ce qui se passe dans le microcosme homosexuel, de peindre ce genre de lieux de drague. Mais le discours ambiant sur l’utopie m’énerve un peu, parce que j’ai l’impression que les utopies amoureuses n’ont plus rien à voir avec l’utopie. Aujourd’hui, tout semble à peu près possible. Le terme fait désormais partie de l’argumentaire du marketing. Or l’utopie, c’est le lieu qui n’existe pas, un point de mire invisible dont chacun a besoin pour vivre. Et le cinéma, c’est quand même du réel. Même si c’est du réel sublimé. Je ne fais pas un cinéma de l’utopie même si quand je conçois un projet, quand j’invente des rapports entre des personnages, c’est évidemment de ce côté-là que je lorgne.
Cette utopie « gay », c’est l’utopie d’un monde de plaisir, que nul désir ne précède ni ne détermine, un plaisir illimité que même le désir ne limite pas.
Je reprends ici les termes de Foucault. Il ne s’agit pas d’une libération sexuelle, c’est-à-dire de la fin d’une répression, il s’agit d’un changement radical de culture, d’une conversion. Pour Foucault les homosexuels sont porteurs d’une culture singulière, d’une culture de l’acte sexuel plutôt que de la cour amoureuse et donc de la conquête et de la possession de l’être aimé : Le clin d’œil dans la rue, la décision en une fraction de seconde, de saisir l’aventure, la rapidité avec laquelle les rapports homosexuels sont consommés, tout cela est le produit d’une interdiction. A partir du moment où une culture et une littérature homosexuelles s’ébauchaient, il était naturel qu’elles se concentrent sur l’aspect le plus brûlant et le plus passionné des relations homosexuelles7.
Le plaisir de l’acte ne doit pas être confondu avec le désir comme manque, avec ce qu’il suppose de jouissance et de propriété.
L’utopie consiste à privilégier les actes et le plaisir.
Foucault ira plus loin à la fin de sa vie, en plaçant le plaisir au-delà de l’acte sexuel, dans le sadomasochisme ou la drogue, comme possibilité utiliser son corps comme la source possible d’une multitude de plaisirs ((Michel Foucault, une interview : sexe, pouvoir et la politique de l’identité », Op.cit., p. 1557.)). Réduire le plaisir à la nourriture et au sexe limite notre compréhension du corps, des plaisirs ((Ibid.)). Le slogan utopique est alors le suivant : Nous devons créer des plaisirs nouveaux. Alors peut-être le désir suivra-t-il8.
Voilà une machine théorique anti-chrétienne, mais aussi anti-lacanienne et anti-psychanalytique.
L’espace dans lequel nous installe le film de Guiraudie est un espace où l’acte sexuel et le plaisir qu’il procure devraient pouvoir être permanents.
C’est tout d’abord un espace de rencontre : on s’observe sur la plage, on se baigne, on se retrouve dans le bois. Ces rencontres sont aléatoires. Et en théorie, il n’y pas de règles apparentes. On peut faire l’amour, voir, écouter.
C’est aussi un lieu de saturation du plaisir. La plage et le lac sont des lieux où se préparent ou se réparent par le plaisir les plaisirs trouvés dans les bois.
Voilà qui n’est pas sans faire penser à la manière dont Rousseau décrit les unions furtives entre les hommes et les femmes à l’état de nature : L’appétit satisfait, l’homme n’a plus besoin de telle femme, ni la femme de tel homme. Celui-ci n’a pas le moindre souci ni peut-être la moindre idée des suites de son action. L’un s’en va de son côté, l’autre d’un autre, et il n’y a pas d’apparence qu’au bout de neuf mois ils aient la mémoire de s’être connus…9. De fait, le caractère furtif de ces rencontres s’explique par l’absence de tout lien social, de propriété et d’exclusivité de la possession.
Dans le film de Guiraudie, il y a le dessin assez ferme d’un état de nature, notamment dans la parodie implicite de films animaliers. Ces personnages d’arrière-plan qui se font bronzer ou qui regardent dès qu’un homme apparaît ou bien encore qui errent dans le bois en silence. C’est le « monde du silence », en contrepoint duquel le mythique silure fait parler…
Il faut dire que dans ce monde, on ne parle que pour draguer, c’est Henri qui l’énonce ce principe implicite, Henri, le seul qui soit avec Frank, pris dans un désir de parole. Sinon on ne parle que pour préparer ou signifier le plaisir.
Un tel état de nature gay butte cependant sur un obstacle : l’appropriation, la propriété, la fixation sur un objet spécifique. L’exemple caricatural en est donné dans la scène de jalousie des deux hommes sous le parasol. Il y a ceux qui draguent et il y a les couples. Tout d’un coup une limite est imposée.
Le principe du plaisir ainsi organisé, c’est que personne ne prétende jouir exclusivement d’un autre. On est tout très près des questions de Sade dans Français, encore un effort… : Tous les hommes ont donc un droit de jouissance égal sur toutes les femmes ; il n’est donc aucun homme qui, d’après les lois de la nature, puisse s’ériger sur une femme un droit unique et personnel ; la loi qui les obligera de se prostituer, tant que nous le voudrons, aux maisons de débauche dont il vient d’être question, et qui les y contraindra si elles s’y refusent, qui les punira si elles y manquent, est donc une loi des plus équitables, et contre laquelle aucun motif légitime ou juste ne sauroit réclamer.
Ici, cependant, il n’est pas de lois, la seule loi est le bon vouloir, le désir. Ainsi Michel, que son amant veut accaparer, n’hésite pas à le tuer. Parce qu’il fait obstacle à des actes sexuels avec d’autres, parce qu’il l’empêche d’aller avec d’autres. De même, il refuse de passer ses nuits avec Frank, parce qu’au bout d’un semaine ils n’auraient plus rien à se dire…
Le nœud du conflit est là, comment concilier la rencontre aléatoire avec la fixation. Il me semble que la démarche perverse (sadienne) consiste à se détruire la possibilité sur toute liaison durable tant sur un plan physique que sur un plan moral. C’est la logique de Michel. Ce n’est pas celle de Frank.
De fait comment rendre le plaisir compatible avec la communauté sans interdire ou sans s’obliger ?
Il me semble que cette question est portée par deux personnages : Henri et le policier.
Le policier est un naïf, un regard extérieur, un regard d’ethnologue. Il cherche à comprendre comment cela fonctionne et pour quelles raisons ce monde est en manque d’une communauté. Parce que c’est sur ce point très précis qu’il vient mettre le doigt : la complicité des amants ne fait pas communauté. Ils ne partagent que leurs plaisirs. Et encore…
Et sur ce point (la police, la loi) je dirais que le film se confronte à la possibilité de la perversion, il ne prend pas son parti et il exerce encore moins une emprise perverse sur notre regard. L’humour, la distanciation sont constants et ne font jamais oublier la position critique qui consiste à se confronter avec toutes les positions et à les dépasser.
Le personnage d’Henri est bien plus complexe, il est pour moi l’énigme du film.
Dès le premier dialogue avec Frank, il apparaît comme un homme du plaisir, mais comme un homme qui revient de l’utopie du plaisir. Quand « il était avec sa nana, qu’est-ils ont pu s’éclater, à quatre, à dix… ». Ici, je crois qu’il faut prendre l’expression au pied de la lettre : s’éclater, c’est se diviser pour multiplier les plaisirs. Le sujet s’éclate, pour ne jamais rencontrer le désir et le manque. Henri n’est plus avec sa nana, il ne cherche plus à rencontrer des hommes ou des femmes. Il vient là pour être tranquille et pour penser.
Réfléchir, si l’on pense au sens optique et psychique en même temps.
L’acte sexuel est suspendu à un temps de réflexion qui permet de retrouver justement du désir (Henri avoue à Frank, le manque qu’il éprouve vis à vis de lui, le plaisir qu’il éprouve à le voir surgir sur la plage) et aspire à vivre avec quelqu’un, à dormir avec lui, sans faire l’amour. Il incarne donc clairement la possibilité d’une communauté qui s’appuie sur l’amitié, sur le visage et la parole de l’autre.
Comment s’expliquer son ultime provocation envers Michel qu’il sait être le meurtrier ? Comment comprendre qu’il annonce qu’il va « faire un tour au bois ? » Est-ce un sacrifice pour sauver Frank ? Ou bien plutôt la jouissance de s’exposer à la mort parce que sa sagesse ne tient pas ses promesses ? Parce qu’elle ne permet pas de soutenir le sujet ? Elle ne lui permet pas de résister à l’appel de sa dissolution.
L’énigme de la scène finale tient en ce que les options de Michel et d’Henri, l’hypothèse perverse et l’hypothèse amicale raisonnable, ont été abandonnées. Frank reste seul avec l’énigme de son désir, seul dans la nuit qui a été toujours repoussée aux limites du monde solaire. Frank est passé par toutes les options : le plaisir, l’amitié, la perversion (le secret du meurtre qu’il partage avec Michel), il n’en retient aucune, il ne se fixe pas , il explore jusqu’au bout la puissance de son désir. Jusqu’au bout, c’est-à-dire, jusqu’à l’épreuve de la solitude, de l’exposition à la mort et de la nuit. La nuit tant convoitée et tant repoussée, la nuit où l’on dort l’un contre l’autre est la nuit où l’on finit par sombrer.
On n’en finit pas avec le désir, tel est le message du film… On n’en finit pas avec le manque, le désir, le meurtre.
Surtout on n’en finit pas avec la mort, la mort de la pulsion de mort.
Foucault lui-même finissait sans s’en rendre compte à y revenir tout en pensant rester à l’apologie du plaisir : Cela n’est pas aussi simple que cela de jouir des choses. Et je dois avouer que c’est mon rêve. Je voudrais mourir d’une overdose de plaisir, quel qu’il soit. Parce que je pense que c’est très difficile, et que j’ai toujours l’impression de ne pas éprouver le vrai plaisir, le plaisir complet et total ; et ce plaisir pour moi est lié à la mort.(…) Parce que je pense que le genre de plaisir que je considérerais comme le vrai plaisir serait si profond, si intense, me submergerait si totalement que je n’y survivrai pas. J’en mourrais10.
Il me semble que ce film pose la même question que Léo Bersani : Est-il possible d’inventer de « nouveaux modes relationnels » tout en prenant en compte le caractère intraitable de la pulsion de mort ?
Elle s’adresse à tous.
Guiraudie : Il y a eu beaucoup de films hétéros qui sont devenues des métaphores homos, et bien disons que là j’avais envie de faire l’inverse, qu’un film au contenu au départ teinté par l’homosexualité devienne une métaphore de la société, du désir, de l’humain en général.
- Entretien avec Alain Guiraudie, par Hélène Frappat, dossier de presse de « L’inconnu du lac », 2013 [↩]
- Ibid. [↩]
- Ibid. [↩]
- Ibid. [↩]
- Le rapport en mathématique c’est un mode de comparaison entre deux quantités ou deux grandeurs de même nature (par exemple une fraction), alors que la jouissance du sexe opère en pure perte, pas de quotient et pas de reste. [↩]
- Il faudrait peut-être se familiariser avec la pensée qu’une réduction de l’écart entre les revendications de la pulsion sexuelle et les exigences de la culture n’est absolument pas possible, que renoncement et souffrance, ainsi que dans l’avenir le plus lointain le danger d’extinction du genre humain : Sigmund Freud, Du rabaissement généralisé de la morale sexuelle, 1912 [↩]
- « Choix sexuel, acte sexuel », in Dits et écrits II, 1976-1988, « Quarto », Éditions Gallimard, Paris, 2001, p. 1149 [↩]
- Ibid. [↩]
- Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, note 12, p. 187 [↩]
- Une interview de Michel Foucault par Stephen Riggins, Op. Cit., pp 1354-1355 [↩]