Tout ce que le ciel permet

Douglas Sirk

Avec Jane Wyman (Carey Scottt), Rock Hudson (Ron Kisby)

Couleurs - 1956 - DVD

L'intrigue

En 1950, dans une petite ville de province aux Etats-Unis, Carey vit seule après le décès de son mari et mène une vie paisible et sans histoire. Elle tombe dans les bras de Ron, son jardinier, jeune, séduisant et d’un milieu social plus modeste que le sien. Elle est d’abord séduite et intriguée par le mode de vie original et simple de Ron, admirateur et lecteur de Thoreau, qui vit dans un vieux moulin à l’écart de l’agitation du monde. Mais la vie de Carey vire au cauchemar quand Ron lui demande de partager son existence et de l’épouser. Tous se liguent contre cette union singulière et hors-norme : ses enfants, son entourage, ses amis et Carey elle-même, qui bousculée par la passion, doit choisir entre l’amour et le respect des convenances.

  • Rock Hudson et Jane Wyman

  • Rock Hudson et Jane Wyman

  • Rock Hudson et Jane Wyman

  • Rock Hudson et Jane Wyman

  • Rock Hudson, Jane Wyman, Douglas Sirk et Agnes Moorehead

  • Douglas Sirk

Le désir et la norme

Tout ce que le ciel permet est un mélodrame. Le genre n’a plus bonne presse aujourd’hui, mais c’était un genre apprécié et populaire dans le cinéma américain du siècle dernier au même titre que le western et la comédie musicale.
Douglas Sirk est né à Hambourg en 1897, metteur en scène théâtre reconnu et apprécié entre 1920 à 1937, il s’essaie au cinéma et réalise quelques-uns des chef d’oeuvre du cinéma allemand des années trente avant de fuit tardivement l’Allemagne ((Cet intellectuel anti-nazi eut un fils avec une comédienne devenue membre du parti nazi qui l’a séparé de son fils. Sirk restera en Allemagne dans l’espoir de le revoir. Celui-ci jouera dans des films de propagande hitlérien, puis deviendra soldat et il disparaitra en 1944 sur le front Russe. Douglas Sirk reconstituera et imaginera la fin tragique de ce fils perdu dans un film : Le temps d’aimer et le temps de mourir (1957).)). En 1937 Sirk s’installe aux Etats-Unis et devient l’un des réalisateurs les plus productifs, influents et discrets d’Hollywood. D’après Jacques Lourcelles « La légèreté » des films de Sirk « résulte d’un extrême professionnalisme allié à une exquise modestie » ((Jacques Lourcelles, Dictionnaire du cinéma, col. Bouquins, Robert Laffont, 1992, p 676 )). Sirk excelle dans de mélodrame, son style au « lyrisme froid lui permet d’explorer le genre mélodramatique tout en refusant ses excès lacrimaux » ((Jacques Lourcelles, Dictionnaire du cinéma, col. Bouquins, Robert Laffont, 1992, p 1332)).
En 1971, Jon Halliday a retranscrit dans un livre remarquable ses conversations avec Douglas Sirk qui s’était retiré en Suisse ne parvenant plus à vivre aux Etats-Unis, ni dans l’Allemagne d’après-guerre ((Sirk a imposé ses conditions à Halliday dès les premiers entretiens : « Je ne veux pas que nous travaillions au magnétoscope, je déteste ce foutu micro que vous me tendez. Je préfère de beaucoup converser avec vous. » Il demande à Halliday de retranscrire leurs entretiens d’après ce qu’il en a retenu et de les relire ensemble après coup, preuve qu’il savait ce qu’il en était de la transmission. Hallidays lui fait part de son admiration pour Tout ce que le ciel permet qu’il considère comme l’un de ses meilleurs films, mais Sirk ne gardait aucun souvenir de ce film, c’est grâce à la confirmation de Madame Sirk et à l’enthousiasme d’Hallidays que la mémoire lui est revenue.)). Cas unique dans l’histoire du cinéma américain, Sirk décide de ne plus tourner de films à Hollywood et de quitter les Etats-Unis, après avoir réalisé Mirage de la vie, l’un des plus gros succès de l’année 1959.
Douglas Sirk : « Le mélodrame c’est le drame plus la musique. Le mélange de musique et de drame était quelque chose de totalement nouveau. (…) Je ne suis pas américain, de fait je suis arrivé à ce folklore américain en venant d’un monde follement lointain. Mais j’ai toujours été fasciné par le genre de films qu’on appelle mélodrame, en Amérique. » ((Jon Halliday, Conversation avec Douglas Sirk, col atelier, ed. Cahiers du Cinéma, page 68 et 133)) Sirk décrit le travail à la fois subtil et affirmé qui caractérise le style de ses mélodrames : « Contrairement à la mise en scène de théâtre, où vous répétez en continuité, – ce qui signifie que vous ne devez à aucun moment oublier la totalité de la pièce – le cinéma est très différent. On filme en dehors de toute continuité. C’est un moyen d’expression technique, beaucoup plus que la scène. (…) Il y a une distance infime entre le grand art et l’ordure, une ordure qui contient cet élément de folie est, par cette seule qualité, plus proche de l’art. » ((Jon Halliday, Conversation avec Douglas Sirk, col atelier, ed. Cahiers du Cinéma, page 136))
Pendant les entretiens, Jon Halliday remarque que Tout ce que le ciel permet repose sur une opposition radicale entre un « personnage inconstant, (Jane Wyman) et un autre, très stable et direct, (Rock Hudson) » ((Jon Halliday, Conversation avec Douglas Sirk, col atelier, ed. Cahiers du Cinéma, page 138)). Douglas Sirk : « Le type de personnage qui m’a toujours intéressé tant au théâtre qu’au cinéma, et que j’ai tenté de montrer aussi dans le mélodrame, est celui qui doute, qui est ambigu, qui n’est sûr de rien. Le côté vague des ambitions humaines sont au centre de mes films, même si ces traits sont bien cachés. Je m’intéresse à la circularité, au cercle – les gens qui finissent par arriver à l’endroit d’où ils sont partis. C’est pourquoi vous trouverez ce que j’appelle des « rondos tragiques » dans beaucoup de mes films, des gens qui tournent rond. C’est ce que font beaucoup de personnages. D’où mon attirance pour Macbeth qui fait partie de ses personnages, (…) et beaucoup des personnages de Pirandello » ((Jon Halliday, Conversation avec Douglas Sirk, col atelier, ed. Cahiers du Cinéma, page 64)). A propos du destins tragiques et sombres des personnages de ses films : « Je ne m’intéresse pas à l’échec dans le sens que lui donne les néo-romantiques qui sont les chantres de la beauté de l’échec. Ce serait plutôt le type d’échec qui vous envahit sans rime ni raison – et non pas le type d’échec qu’on trouve chez un auteur comme Hugo von Hofmannsthal. Dans Ecrit sur du vent (1956) et La ronde de l’aube (1957), c’est un échec sale, totalement sans espoir. Et c’est pourquoi, une fois de plus, ce concept d’échec est si parfait : il n’y a pas d’issue. Toutes les pièces d’Euripide sont marquées par cette absence d’issue – Il n’y a qu’une façon de s’en sortir, l’ironie du « happy end ». Comparons ces pièces au mélodrame américain. On sent là, à Athènes, un public qui est aussi insouciant que le public américain, un public qui ne veut pas savoir qu’il pourrait échouer. Il y a toujours une issue. Il faut donc passer une couche de « happy end ». Les autres tragédiens grecques l’utilisent aussi, mais chez eux ça s’articule autour de la religion. Chez Euripide, on devine un sourire rusé et un pétillement d’oeil ironique » ((Jon Halliday, Conversation avec Douglas Sirk, col atelier, ed. Cahiers du Cinéma, page 165)).
Parmi les cinéastes ayant révélé publiquement leur homosexualité, Werner Fassbinder, Tom Haynes et François Ozon ont fait part de leur admiration pour Douglas Sirk et particulièrement pour Tout ce que le ciel permet. Le thème de la découverte et de l’acceptation d’une passion amoureuse hors norme par une femme que rien de disposait à transgresser les conventions n’y est sans doute pas étranger.
Douglas Sirk accordait une grande importance au choix du titre de ces films : « Le studio adorait le titre Tout ce que le ciel permet. Ils pensaient que ça voulait dire qu’on pouvait obtenir tout ce qu’on voulait. En fait, je voulais dire exactement l’inverse. Pour moi, le ciel a toujours été radin. » ((Douglas Sirk ((Jon Halliday, Conversations avec Douglas Sirk, col. Atelier, Cahiers du cinéma. P 5 et 170))