Le sang à la tête

Gilles Grangier

Avec Jean Gabin (François Cardinaud), Monique Mélinand (Marthe Cardinaud)

Couleurs - 1956 - DVD

L'intrigue

Un ancien débardeur, François Cardinaud, est devenu un armateur riche et un homme important à force de travail et d’obstination. C’est un notable craint et respecté à La Rochelle. Sa femme, Marthe quitte le domicile conjugal pour retrouver son amour de jeunesse, un jeune voyou de retour d’Afrique. Cardinaud devient la risée de la ville. Il part à la recherche de sa femme au volant de sa « traction-avant »…

  • Jean Gabin (François Cardinaud) et Renée Faure (Mademoiselle, la gouvernante)

  • Gabin (François Cardinaud) cherche sa femme dans les bars

  • Jean Gabin (François Cardinaud)

  • Affiche: Le sang à la tête

La haine des jeunes

« Le sang à la tête » est une habile chronique de la vie de province tirée d’un roman de Simenon intitulé « Le fils Cardinaud ». Ne boudons pas notre plaisir devant ce film pittoresque qui raconte une histoire d’adultère dans une petite ville de province avec un Gabin en pleine forme, une pléiade d’excellents seconds rôles et en prime, les bons mots d’Audiard. Grangier réussit à raconter avec justesse la province là où Duvivier se laisse emporter par sa noirceur. C’est une ode aux petites gens, au travail, à la famille et au bonheur tranquille et un réquisitoire contre l’esprit bourgeois des rentiers et des envieux. Avec ce film typique des années cinquante Grangier fait preuve de maîtrise et d’un vrai talent de metteur en scène, particulièrement dans les scènes tournées en extérieur à la criée du port de La Rochelle. Dans le livre qui retrace sa vie professionnelle, Grangier déclare : « J’ai fait mon métier pour faire du spectacle en traitant chaque sujet comme il le fallait le faire, à ma portée, sans avoir une ligne directrice intouchable. Je pense que je n’avais pas d’autre chose à exprimer que de bien faire le film, de bien le mettre en scène. J’ai vite abandonné la formule : « un film de … » Quand j’étais en vogue, c’était dans mes contrats, mais c’était imbécile. Je voulais faire une carrière à la Duvivier, qui lui aussi à beaucoup navigué, Je voulais être un très bon artisan ». (( Extrait du livre d’entretien de Grangier avec FRANCOIS GUERIF, Passé la Loire, c’est l’aventure, Paris, éditions Terrain vague Losfeld, 1989, page 183 )) On l’a compris, Grangier refuse la notion de film d’auteur. C’est contre cette manière de faire, mais aussi contre cette manière de voir le monde et le conservatisme qui en découle, que les futurs réalisateurs de la Nouvelle Vague se sont déchaînés. Grangier et Audiard se font les défenseurs des valeurs ultra-traditionnelles dans une société verrouillée où les femmes, les patrons, les travailleurs, la prostituée, l’église, les bonnes et les enfants doivent rester à leur place pour que la vie continue.

« Le sang à la tête » illustre jusqu’à la caricature une des caractéristiques rarement évoquée à propos du cinéma français des années cinquante, la haine des jeunes qu’Alain Rioux commente dans une interview à propos du cinéma de Claude Autant Lara, un des contemporains de Grangier (( Interview d’Alain Rioux, Bonus du dvd « Occupe toi d’Amélie », Editeur SNC, à propos du cinéma de Claude Autant Lara. Le réalisateur du film interview n’est pas crédité  )).

« Le cinéma était très, très en retard sur les mœurs et la nouvelle vague s’est faite la-dessus. Tout ce que le cinéma reproduisait, c’était le portrait d’une France (datée)… Les films des années cinquante étaient des films du 19ième siècle. Les producteurs essayaient de ramener « travail famille patrie », même après l’occupation. C’était ça, les valeurs du cinéma (…) Le cinéma des années cinquante était un cinéma anti-jeune. Chaque fois qu’il y a un conflit de génération, les jeunes sont des petits cons paresseux… ».

Avec « Le beau Serge » de Chabrol qui sort à Paris en 1958, « Paris nous appartient » de Rivette en 1958, « Le signe du lion » de Rohmer en 1959, « A bout de souffle » de Godard en 1960, « Lola » de Jacques Demy en 1961 et « Adieu Philippine » de Rozier en 1962, le cinéma français change d’époque.