Le projet Nim
James Marsh
Avec Nim (le chimpanzé), ses professeurs
L'intrigue
En novembre 1973, Nim, un jeune chimpanzé est confié a Stéphanie, une jeune mère de famille afin qu’elle l’élève comme un humain et qu’il apprenne à parler. Ainsi débute le projet Nim initié par Herb Terrace, éminent professeur de l’université de Columbia à New York.
Photos et vidéos extraites du film
Le pervers, le singe et le grand Autre
Publié le par Pascal Laëthier
Faire parler un singe
James Marsh est l’auteur de ce documentaire édifiant sur l’entreprise d’un éminent « scientifique » américain qui a conçu le projet d’élever un jeune chimpanzé comme un humain. Le professeur Terrace explique l’ambition du projet Nim : « Ce serait grisant de pouvoir communiquer avec un chimpanzé pour connaître ses pensées. Si on lui apprenait à exprimer ses pensées, ce serait une avancée incroyable de la communication humaine et peut être que cela aiderait à comprendre l’évolution du langage. »1
Nim est élevé comme un petit enfant
L’histoire commence dans l’Oklahoma en novembre 1973, quand le professeur Terrace arrache un jeune chimpanzé qui vient de naître à sa mère et le confie à l‘une de ses anciennes élèves et maîtresse Stéphanie, qui élève déjà une famille de 7 enfants, les trois siens et ceux de son mari. Stéphanie accueille le nouveau avec empathie : « Je lui ai donné le sein, 2 ou 3 mois, ça paraissait complétement naturel. »2 Nim s’intègre sans problème à sa famille d’adoption et prend place dans la fratrie. Il grandit, mange des corn flakes, joue, boit de l’alcool et fume des joints. Stéphanie remarque juste que le nouvel arrivant déborde de vitalité, qu’il est d’une irrépressible jalousie vis à vis de son mari, se déplace sans cesse, n’a aucune passivité et ne supporte aucune frustration.
« A l’aube d’une avancée scientifique »
Herb Terrace trouve que Nim ne progresse pas assez vite avec Stéphanie et ses enfants et qu’elle manque de rigueur. Il décide de lui enlever Nim et de le confier aux étudiants de son programme d’enseignement à la Columbia. Les chimpanzés n’ayant pas la possibilité de vocaliser comme les humains, ces nouveaux précepteurs sont chargés de lui apprendre à communiquer avec le langage des signes. Laura, Joyce, Renée puis Bob et Alice se succèdent auprès du jeune singe. Terrace s’enthousiasme: « Il a appris pas mal de signes rapidement : Manger, moi, câlin, etc… On s’est dit : c’est parti. On va enrichir son vocabulaire. »3 Laura, qui remplace Stéphanie auprès du jeune chimpanzé, partage l’enthousiasme de son professeur et nouvel amant : « Nim allait remettre en question les concepts de l’inné et de l’acquis. On était à l’aube d’une avancée scientifique… »4
La peluche devient un grand singe avec des crocs
D’après les dresseurs, il est difficile de garder un chimpanzé plus de cinq ans en compagnie des humains. En effet, Nim grandit et devient un mâle puissant avec une force herculéenne, un appétit sexuel grandissant et des crocs. Bill, l’un des étudiant qui s’occupe de lui déclare : « Petit à petit la peluche adorable était devenu un chimpanzé. Il avait des crocs et si vous ne faisiez pas preuve de domination, vous aviez des problèmes… »5 Le 28 juillet 1977, alors que Renée veut le prendre dans ses bras, Nim lui arrache la joue. Terrace prend peur et redoutant que son étudiante lui intente un procès, met fin à l’expérience. Il reconduit Nim dans l’élevage de l’Oklahoma où il est né. Problème : Nim a grandi parmi les hommes, il n’a jamais vu un chimpanzé, il a toujours vécu en liberté, mange la même nourriture que les humains et vit comme eux. Qu’importe, Nim est mis en cage et doit s’adapter de force à ces nouvelles conditions d’existence au prix de terribles souffrances. L’expérience du professeur Terrace tourne au fiasco. Le projet Nim a séparé le singe de ses semblables, sans lui permettre de prendre une place parmi les hommes. Il a fait de lui un être hybride, ni homme, ni animal, une sorte de Golem ou de Frankenstein de l’éthologie. En 1982, Nim est vendu à un laboratoire qui se sert de primates pour faire des essais de médicaments, il devient cobaye. Grâce à l’obstination et au combat de Bob, l’un de ses derniers dresseurs, il rejoint un ranch du Texas qui héberge des animaux maltraités et meurt d’une crise cardiaque en mai 2000.
Les singes communiquent, mais ne parlent pas.
Herb Terrace dépouille et met en ordre les données recueillies par ses étudiants. Invité à la télévision il est interviewé par un journaliste à l’occasion de la publication d’un livre sur le « Projet Nim », il en commente les résultats:
– Pourquoi dites vous que Nim ne parle pas comme nous ?
– Une suite de signes n’est pas nécessairement une phrase. On peut apprendre une suite de mots sans les comprendre. Il n’y a aucun usage de la grammaire. (…) Il ne cherche pas à dire » il est beau ce chat », mais, « je le veux ».
– Vous êtes déçu ? »
– Il aurait été incroyable de découvrir qu’un autre organisme utilise le langage comme les humains.
– Donc, ça a échoué ?
– Ca a échoué !6
Exit le projet Nim. Terrace avait la volonté de prouver que les singes étaient capables de communiquer avec le langage des signes. Ils le peuvent, mais n’ont pas la possibilité de construire des phrases. Le projet Nim a échoué à prouver que les singes parlent. Est-ce vraiment surprenant ? Si les singes avaient la possibilité de la parole, il est peu probable qu’ils aient attendu l’expérience de Terrace pour en faire usage. Si tel était le cas « La planète des singes » ne serait pas qu’un film de science fiction. L’expérience de Terrace a prouvé que les singes sont des primates, comme l’homme, mais ne font pas partie de la même espèce, ils n’ont pas les mêmes capacités langagières que nous, ils en ont d’autres, remarquables, mais différentes.
Le professeur Terrace ou l’empathie perverse
Ce que dissimule le « projet Nim » et que professeur Terrace fait mine d’ignorer derrière l’habillage scientifique de son projet, c’est le bénéfice (la jouissance disent les psychanalystes) qu’il en tire sur une autre scène, autrement plus singulière et triviale. Il n’est même pas certain que cet éminent professeur soit très au fait des enjeux à peine voilés de son entreprise, sans quoi il ne viendrait pas en parler et justifier son projet au réalisateur du film, à la presse ou à ses collègues de l’université. Une fois l’aventure achevée et dans l’après-coup de l’échec du projet Nim, il apparaît que le professeur Terrace a utilisé son autorité, sa position et son pouvoir pour satisfaire son appétit sexuel, son désir de paternité et sa volonté d’emprise sur ceux qui ont servi d’opérateurs à la mise en scène d’un scénario pervers au dépend de « Nim » à qui on a dénié son animalité et que l’on a traité comme un objet
Un scénario pervers
Ce qui différencie le scénario pervers du montage souvent incertain du névrosé, ce n’est pas le fantasme, mais son usage. Nous avons tous des fantasmes et nous avons tous rêvé de parvenir à parler avec les animaux. Le pas de plus (ou de moins) que réalise le professeur Terrace, c’est de mettre en scène ce fantasme sous couvert de servir la science. Le « projet Nim », expérience scientifique avait l’ambition d’humaniser Nim, il nous renseigne surtout sur notre statut précaire d’être humain. « Le projet Nim » n’a pas seulement détruit l’animalité d’un singe, il a aussi détruit l’humanité de ceux qui l’ont mis en œuvre. C’est sa propre image que Terrace observe sur le visage de Nim une fois son « projet » achevé, celle d’un homme devenu monstrueux après avoir perdu les repères moraux et transgressé les règles qui font de lui un humain. Etre humain n’a rien d’un état naturel, nous en éprouvons la limite chaque fois que nous choisissons d’ignorer notre statut « boiteux » de sujet parlant au profit d’une vérité qui viendrait en terminer avec cette « boiterie », que ce soit la vérité de la science, de la race, de l’idéal ou de Dieu, chaque fois que, comme Terrace, nous ravalons un animal au rang de matériel d’expérience, chaque fois que nous réduisons un de nos semblables à des opérateurs dans un processus scientifique, industriel, militaire ou sexuel et chaque fois que la parole, celle qui fait de nous des sujets engagés et responsables, est déniée au profit d’un échange de signes.
La psychanalyse n’est pas une psychologie comme les autres
Accepter et faire avec cette « boiterie » cette spécificité de notre condition, c’est ce que met en avant la psychanalyse et c’est ce qui la rend toujours scandaleuse. Pour le psychanalyste, l’homme est un être parlant, son rapport au monde est nécessairement « castré » par le langage, c’est le sens premier du complexe d’Œdipe. Certainement, le langage n’est pas tout, il existe d’autres rapports au monde : énergétique, télépathique, mimétique, empathique, mystique, etc. mais nous ne pouvons en rendre compte qu’en traduisant ces sentiments ou ces sensations en paroles. A moins d’ambitionner affranchir définitivement l’homme de sa condition pour le conduire vers un ailleurs, l’au-delà, le grand « Tout » ou les étoiles, ce qui peut sembler légitime et acceptable, mais procède d’une autre logique. D’autres disciplines scientifiques ou d’autres psychologies suivent la pente inverse et cherchent à pallier le manque constitutif du rapport de l’homme au monde avec le langage en réduisant leur étude à un objet limité et circonscrit sur lequel elles produisent un discours technique : neuronal, cognitif ou comportemental. Ces manières très actuelles de production du savoir se présentent comme pragmatiques, efficaces et pratiques. Elles prétendent ne pas penser l’homme et sa condition, se refusent à faire de la « philosophie », elles proposent des solutions prétendument techniques et neutres qui sont idéologiquement marquées et se fondent dans la logique libérale, c’est à dire qu’elles sont constamment « démodables » (une étude pousse l’autre) et surtout monnayables. Le trait commun de toutes ces techniques et méthodes est ce que le psychanalyste Alain Vanier définit comme la « haine du transfert »7, c’est à dire le déni et le refus de la dimension relationnelle de notre rapport au monde. Etre humain ne sera jamais équivalent à être un cerveau, un ordinateur ou encore un modèle statistique préétabli, qu’il soit comportemental ou cognitif. La condition de l’homme échappe au « discours de la Science » qui produit un savoir sans sujet.8.
Documents
Les projets Nim d’aujourd’hui
Il ne serait sans doute pas possible d’engager une recherche du type du « projet Nim » aujourd’hui. L’air du temps, la mode et les critères ne sont plus les mêmes, mais des recherches tout aussi étonnantes sont entreprises aujourd’hui. C’est surtout dans le domaine de la psychologie expérimentale que s’engagent des projets qui n’ont rien à envier à la folie du « Projet Nim ».
Vous trouverez ci-dessous trois articles extrait du numéro 4 de « Sciencepsy », d‘une revue de vulgarisation scientifique disponible en kiosque.
Deux précisions
1/ Ces articles ont été rédigés par des journalistes et cinepsy n’a pas eu accès aux études et aux projets de recherche en question.
2/ La plupart des vérités scientifiques actuelles ont été perçues comme des aberrations, voir des absurdités au moment de leur découverte et ont choqué le bon sens de leurs contemporains. Ce n’est pas l’étrangeté et la transgression des études citées ci-dessous qu’il s’agit de dénoncer, mais la pensée qu’elles sous-tendent et les références implicites qu’elles convoquent. Une vérité est indissociable du contexte dans laquelle elle émerge et de son énonciation.
Prenons un exemple : Dans l’article qui suit, le ou la journaliste écrit : « Le faible niveau de revenu d’une famille pourrait avoir des conséquences sur le développement du cerveau des enfants ce qui expliquerait, pour certains, leurs difficultés. » Le problème ne réside pas seulement sur le bien fondé de ce programme de recherche (qui de toute façon pose problème), mais sur le sens ou les significations du texte de présentation de cette recherche. Il n’est pas acceptable de faire un lien de cause à effet direct entre « le faible revenu d’une famille » et « le développement du cerveau de leur enfant », même en utilisant le conditionnel.
Page 14 :
L’impact de la pauvreté sur le cerveau des enfants
« Le faible niveau de revenu d’une famille pourrait avoir des conséquences sur le développement du cerveau des enfants ce qui expliquerait, pour certains, leurs difficultés. C’est ce que révèlent une étude menée par Seth Pollack de l’Université du Wisconsin-Madison (Etats-Unis) et son équipe publiée le 20 juillet 2015 dans le « Journal of American Medical Association (JAMA) Pédiatrics ». Ils ont analysé 823 clichés issus de l’imagerie par résonnances magnétique (IRM) de 389 enfants et adolescents âgés de 4 à 22 ans. La collecte des donnés a commencé en novembre 2001 et a pris fin en août 2007. Les participants ont été sélectionnés en fonction d’une variété de facteurs soupçonnés d’affecter négativement le développement du cerveau. Les résultats ont notamment mis en évidence que les volumes régionaux de la matière grise de ces enfants étaient de 8 à 10% en dessous de la norme de développement… avec en sus, des conséquences sur la réussite scolaire. En moyenne, ces derniers ont obtenu 4 à 7 points de moins aux tests que les autres enfants de famille plus aisées. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que l’hyppocampe appartient au système limbique et qu’il joue un rôle central dans la mémoire. (…) »
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TOC
« Faire trop confiance à son imagination : ce serait un indice de trouble obsessif-compulsif ? Pour Frédérick Aardema, codificateur au Centre d’études sur les troubles obsessionnels-compulsifs et les tics (CTOCT) et professeur adjoint au département de psychiatrie de l’Université de Montréal, « en général, les chercheurs sont d’accord sur les critères diagnostiques du TOC. Cependant, il n’y a pas de consensus sur les mécanismes qui les provoquent. » Mélanger le réel avec l’imaginaire, perdre le contact avec le réel : voilà les deux principales caractéristiques qui pourraient jouer un rôle dans le développement du trouble obsessionnel-compulsif (TOC), résultats de l’étude réalisée par des chercheurs du CIUSSS de l’Est-de-L’île-de-Montréal (Institut universitaire en santé mentale de Montréal) et de l’Université de Montréal, publiés dans le « Journal of Clinical Psychology ». (…) « Il semble que les personnes souffrant de TOC sont si absorbées dans leur obsession due à la confusion inférentielle qu’une coupure avec la réalité se fait… Concrètement nous constatons que la personne ne fait pas confiance à ses perceptions sensorielles ou à son bon sens mais plutôt à son imagination. Par exemple, elle craint que ses mains ne soient contaminées par des bactéries, donc elle les lavera à plusieurs reprises car elle est convaincue que ses mains sont sales malgré qu’elles soient visiblement propres. » (…) »
Page 11 :
Créativité et psychose
« Pour Robert Power, chercheur à l’institut de psychiatrie du King Collège de Londres et co-auteur de l’étude publié dans « Nature neuroscience », la créativité se situerait à mi-chemin en terme de score génétique, entre la santé mentale et la maladie psychiatrique. Elle serait une prédisposition génétique à penser différemment, qui, sous l’influence d’autres facteurs biologiques ou environnementaux, pourrait conduire à la maladie mentale. Cette étude est la première à apporter des preuves génétiques de cette proximité entre créativité et psychose. »
- Interview dans le bonus du dvd [↩]
- Interview dans le bonus du dvd [↩]
- Interview dans le bonus du dvd [↩]
- Interview dans le bonus du dvd [↩]
- Interview dans le bonus du dvd [↩]
- Interview dans le bonus du dvd [↩]
- JFP, journal français de psychiatrie, n°29, « Evaluation », Eres [↩]
- Le principe d’Archimède fonctionne indépendamment d’Archimède, alors que la vérité d’un individu dépend de sa présence au monde particulière et singulière. Lire à ce sujet la troisième partie de « Pourquoi la psychanalyse » d’Elisabeth Roudinesco, pages 142 à 148 [↩]