Le bel Antonio
Mauro Bolognini
Avec Claudia Cardinale (Barbara), Marcello Mastroianni (Antonio), Pierre Brasseur (le père)
L'intrigue
Antonio, un jeune homme séduisant, courtisé par toutes les femmes et jalousé par les hommes, retrouve sa ville natale de Catane en Sicile, après un long séjour à Rome. Il épouse Barbara, la fille d’une riche famille de la ville qu’il aime d’un amour pur. Quelques mois après le mariage, le beau-père d’Antonio révèle à tous que sa fille est vierge et demande l’annulation du mariage. Le scandale éclate…
Photos et vidéos extraites du film
L’obsessionnel ou le grand empêchement
Publié le par Pascal Laëthier
« Le bel Antonio » est l’adaptation d’un roman éponyme1 dans lequel Brancati dresse un portrait acerbe et désabusé de la société sicilienne à l’époque du fascisme. L’histoire du roman débute à Rome dans les années trente et se termine à Catane en 1944 sous les bombes, avec l’arrivée des Américains. Les deux scénaristes, Pier Paolo Pasolini et Ventrini ont transposé l’intrigue à la fin des années cinquante et heureusement modifié la fin. Ils sont restés fidèles au roman dont ils ont habilement condensé les dialogues.
« Le bel Antonio » est un film sur l’impuissance ainsi qu’une brillante et minutieuse analyse clinique d’un cas de névrose obsessionnel. Antonio est terriblement séduisant, les femmes se l’arrachent et ne peuvent s’empêcher de le toucher et le serrer dans leurs bras. C’est un homme brillant, intelligent, qui vit chez ses parents à plus de trente ans et peine à trouver sa place dans le monde. Son père est un homme rustre, désirant toutes les femmes qu’il rencontre, sauf la sienne qui s’occupe comme elle peut avec Dieu et les prêtres. Antonio qui est adoré par sa mère est aussi l’objet d’un intérêt gênée et pudique de son père. En exergue d’un des chapitre de son roman, Brancati cite une phrase des Mémoires de Saint Simon qui définit parfaitement le statut fondamentalement passif d’Antonio : « Il fallait faire un effort pour cesser de le regarder ». Antonio est littéralement l’objet (cause) du désir de tous, il est pour reprendre la terminologie lacanienne « le phallus » de tous ceux, hommes et femmes, qui croisent son chemin. Antonio rencontre Barbara, ou plus exactement il tombe sous le charme de la photo de Claudia, qui le ravit et le fascine au point de demander sa main. Une fois marié il s’épuise à regarder sa femme avec passion… Une passion désincarnée, chaste, idéale et froide.
Nous sommes au début des années 60, Bolognini vient de réaliser un autre de ses chef-d’œuvres, « La Viaccia » avec Belmondo et Claudia Cardinal. Avec « Le bel Antonio », Bolognini prend le risque de traiter un sujet tabou dans la société italienne de son époque. Il le fait avec une acuité et une finesse remarquable. L’histoire officielle du cinéma boude encore Bolognini considéré injustement comme un « maniériste » ou un Visconti « au rabais ».2 Aujourd’hui que l’on a accès aux films et qu’il n’est plus indispensable de courir à la cinémathèque pour comparer, force est de constater que les premières œuvres des réalisateurs italiens des années soixante sont d’une qualité supérieure aux autres productions européennes de la même époque.
Document
Dans un article intitulé « Philon ou l’obsessionnel et son désir », Serge Leclaire définit le sortilège qui s’interpose et empêche tout lien charnel entre son patient et les femmes, lien qui n’est pas sans évoquer celui qui unit Antonio et Barbara :
Serge Leclaire : « Un voile aussi transparent qu’infranchissable semble séparer le sujet obsessionnel de l’objet de son désir. De quelque nom qu’il le nomme, mur d’azur, de coton ou de pierre, il le ressent et nous le dit, comme une espèce de coque de verre qui l’isole de la réalité. Il passera une soirée auprès de celle qu’il aime sans réussir jamais à la tenir dans ses bras, sa main plus pesante qu’un roc, n’arrivera pas à joindre sa taille, ses lèvres bavardes n’atteindront pas les siennes et si, d’aventure il la saisit de quelque façon, c’est pour voir le charme s’évanouir et son désir s’éteindre bientôt. Plus impitoyable qu’un mur c’est vraiment un sortilège qui là, s’interpose »3.