Laurence anyways

Xavier Dolan

Avec Melvil Poupaud, (Laurence Alia), Suzanne Clément (Fred Belair), Nathalie Baye (Julienne Alia, la mère), Monia Chokri (Stéfie Belair, la soeur de Fred).

Couleurs - 2012 - DVD

Où trouver ce film ?

http://video.fnac.com/a4783735/Laurence-Anyways-Melvil-Poupaud-DVD-Zone-2 Télécharger https://itunes.apple.com/fr/movie/laurence-anyways/id579353929  

L'intrigue

Au Québec, dans les années 90, Laurence Alia vit une relation passionnée avec Fred : Contrairement à l’apparence trompeuse des prénoms, Laurence a l’allure d’un homme de sexe masculin et Fred, est une femme de sexe féminin. Laurence annonce à Fred qu’il veut devenir la femme qu’elle a toujours été, décide de franchir le pas et de révéler au monde son changement d’identité de genre. Laurence porte une jupe, se maquille et se laisse pousser les cheveux, puis se fait opérer pour « être » une femme avec un corps de femme, tout en restant « hétérosexuel ». Ensemble Fred et Laurence affrontent les préjugés, l’hostilité, la haine de leur entourage, de leurs collègues et de la « société »… Jusqu’à se perdre.

  • Melvil Poupaud, (Laurence Alia)

  • Melvil Poupaud, (Laurence Alia)

  • Melvil Poupaud, (Laurence Alia) et Suzanne Clément (Fred Belair)

  • Melvil Poupaud, (Laurence Alia)

  • Nathalie Baye (Julienne Alia, la mère)

  • Melvil Poupaud, (Laurence Alia)

  • Suzanne Clément (Fred Belair)

  • Suzanne Clément (Fred Belair)

  • Affiche - Laurence Anyways

  • Xavier Dolan

« Quand on aime, il ne s’agit pas de sexe »

« Quand on aime, il ne s’agit pas de sexe  » (( Le titre de cet article est une citation extraite du séminaire de Jacques Lacan, séance du 19 décembre 1972 du séminaire intitulé « Encore ». )) Avec « Laurence anyways », Xavier Dolan, jeune « prodige du cinéma canadien », réalise son troisième long métrage. Impossible de rester « neutre » devant ce remarquable mélodrame, excessif, provoquant, parfaitement maitrisé au style flamboyant et affirmé. L’entreprise de Dolan, militante, branchée et pleine d’un allant communicatif, nous embarque dans le récit romancé des aventures « hors norme » d’un travesti lettré, séduisant et sympathique qui décide de changer de sexe, ou plutôt devrait-on dire pour respecter la terminologie actuelle… d’une transgenre qui « réassigne son corps » et corrige son sexe selon sa volonté.
Dolan, comme les militants queer et transgenres, refuse la catégorisation des sexes et des genres. Selon eux, si l’identité sexuée est le produit de la culture, elle ne doit plus rien à la nature (la sexualité humaine n’a rien de naturel), ni à la biologie (les chromosomes), ni même à l’anatomie (avoir un pénis ou pas). « Etre femme » ou « être homme » est une construction sociale et politique qu’il importe de ne plus penser dans le cadre de l’hétérosexualité, une idéologie qui reste une « pensée fondée sur l’esclavagisation des femmes » comme l’affirme Monique Wittig ((Monique WITTIG, « La pensée straight », introduction, Paris, Ed. Amsterdam, 2007, p. 11 )). Dès lors qu’est-ce donc qu’être une femme ? Pour Dolan, c’est un individu de sexe mâle qui choisit de se faire châtrer pour trouver ou retrouver son « identité de femme». Par cet acte chirurgical, militant, transgressif et revendicateur, la transgenre est la seule à s’affranchir des catégories sexuées et de l’opposition réductrice imposée par l’oppression de l’ordre de la différence des sexes et des genres. Un léger bémol cependant, que faire des autres femmes, celles qui sont femmes et femelles, c’est à dire de celles qui sont, dès leur naissance assignées au sexe féminin en fonction (entre autre) de leur anatomie ? Pour quelle raisons dans le film « Laurence Anyways », celles qui sont nées avec vagin et donc sans pénis, sont elles toujours montrées comme insuffisantes, incomplètes, bourgeoises et « sans couilles » comme Fred, la compagne de Laurence, ou serviles ou résignées comme l’amie du transsexuel de L’Ile au Noir ou encore geignardes et insatisfaites comme la mère de Laurence ou la sœur de Fred. Difficile d’être une femme dans les films de Dolan, quand on n’est pas un homme…

Documents
Dans les années 80 et dans la suite des recherches des féministes lesbiennes, comme Monique Wittig (( Lire le recueil des articles de Wittig intitulé : « La pensée straight » aux éditions Amsterdam, qui doit beaucoup à Marie-Hélène Bourcier : Monique WITTIG, « La pensée straight », Paris, Ed. Amsterdam, 2007 )), Gayle Rubin (( Lire l’article de Gayle Rubin intitulé « l’économie politique du sexe », disponible sur le site « Les cahiers du CEDREF » : http://cedref.revues.org/171 )) et Adrienne Rich, ainsi que des travaux de Foucault, Derrida, Deleuze et Guattari et de leur réception aux Etats-Unis, le débat sur la différence des sexes, le féminisme et l’homosexualité prend un tour nouveau. Foucault avait remarqué qu’un savoir nouveau sur la sexualité était apparu au XIX siècle. Avant cette période, la sodomie était interdite en tant qu’acte jugé répréhensible, mais cette condamnation ne catégorisait pas son auteur, le sodomite est un sujet « normal » coupable de son acte. Foucault constate que l’émergence de ce savoir catégorise l’homosexuel, non seulement en fonction de sa pratique, mais l’assigne à une place. Il est alors considéré comme sujet différent et à part : « L’homosexuel est devenu un personnage, un passé, une histoire et une enfance, un caractère, une forme de vie, une morphologie aussi, avec une anatomie indiscrète et une physiologie mystérieuse. Rien de ce qu’il est au total n’échappe à sa sexualité. Partout en lui, elle est présente, sous-jacente à toutes ses conduites parce qu’elles en est le principe insidieux et indéfiniment actif. (…) Elle lui est consubstantiel, moins comme un péché d’habitude que comme une nature singulière » (( Michel FOUCAULT, histoire de la sexualité I, La volonté de savoir, Paris, Tel Gallimard, 1994, p. 59 )). Il en est de même pour toutes les perversions « que les psychiatres du XIXe siècle entomologisent en leur donnant d’étrange nom de baptême » ((Michel FOUCAULT, histoire de la sexualité I, La volonté de savoir, Paris, Tel Gallimard, 1994, p. 60 )) : Les exhibitionnistes, les fétichistes, les zoophiles… ainsi que plus tard, les transsexuels et les travestis. « La mécanique du pouvoir qui pourchasse tout ce disparate ne prétend le supprimer qu’en lui donnant une réalité analytique, visible et permanent. Elle l’enfonce dans les corps, elle le glisse sous les conduites, elle en fait un principe de classement et d’intelligibilité, elle le constitue comme raison d’être et ordre naturel du désordre. Exclusion de ces mille sexualités aberrantes ? Non pas, mais spécification, solidification régionale de chacune d’elle » ((Michel FOUCAULT, histoire de la sexualité I, La volonté de savoir, Paris, Tel Gallimard, 1994, p. 60 )). Ou, pour reprendre le résumé qu’en fait Javier Saez : « L’homosexualité nait à l’intérieur d’un discours médical, psychiatrique, comme une pathologie, comme une forme d’identité globale qui s’impose au sujet. » (( Lire l’ouvrage de Javier Saez qui a servi de guide et de repère pour l’écriture de cet article : Javier SAEZ, « Théorie Queer et psychanalyse », Paris, EPEL, 2005, p. 47 )). A la suite de Wittig, les théoriciens Queer critiquent la psychanalyse comme discours du système hétérocentré. Ils critiquent ses concepts, ses discours et les catégories qu’elle utilise. « Les discours qui nous oppriment tout particulièrement, nous lesbiennes féministes et hommes homosexuels et qui prennent pour acquis que ce qui fonde la société, toute société, c’est l’hétérosexualité, ces discours nous nient toutes possibilités de créer nos propres catégories, ils nous empêchent de parler sinon dans leurs termes et tout ce qui les remet en question est aussitôt méconnu comme « primaire ». Notre refus de l’interprétation totalisante de la psychanalyse fait dire que nous négligeons la dimension symbolique. Ces discours parlent de nous et prétendent dire la vérité sur nous dans un champ apolitique. » ((Monique WITTIG, « La pensée straight », pages 66 et 67, cité par Javier SAEZ, Théorie Queer et psychanalyse, Paris, EPEL, 2005, p. 69 )). Certains psychanalystes ont pris récemment des positions discutables sur le Pacs ou de l’homoparentalité. Pour autant, il est inexact de prétendre que la psychanalyse, son savoir et sa théorie, se situent sur le même plan que le savoir médical ou psychologique. Freud, puis Lacan, ont toujours refusé de faire de la psychanalyse une orthopédie ou de la ravaler leur pratique au rang d’une méthode thérapeutique. C’est d’ailleurs sur ce fond que se constitue l’essentiel des critiques qui sont faites à la psychanalyse par ses détracteurs : « La subversion de la découverte freudienne consiste précisément à séparer la pulsion sexuelle de n’importe quel déterminisme naturel biologique. A partir de cette constatation, la sexualité humaine sera pour Freud un espace problématique, un espace de non-rencontre où le sujet est décentré de lui-même par l’apparition de ce lieu singulier qu’est l’inconscient. Cela implique aussi un critique radicale de l’ « ego » comme catégorie qui puisse rendre compte de la subjectivité. Il est important de signaler que Freud fut probablement le premier intellectuel de l’histoire de la pensée à poser l’hétérosexualité comme quelque chose de problématique : « C’est ainsi que, pour la psychanalyse, l’intérêt sexuel exclusif de l’homme pour la femme n’est pas quelque chose qui va de soi (…) mais bien un problème » ( S. Freud, Trois essais sur la théorie de la sexualité, Paris, Gallimard, 1980, Page 168, Note 13) (( Javier SAEZ, « Théorie Queer et psychanalyse », Paris, EPEL, 2005, p. 24 )). Lacan ne suit pas la voie normalisante des successeurs et héritiers de Freud (Abraham, Jones, Anna Freud…), il relit Freud et pense la sexualité en dehors des catégories du genre. Pour lui le désir n’est pas en rapport avec le sexe ou le genre de l’objet élu, mais avec l’objet « a », objet cause du désir, non représentable, non symbolisable et indépendant du genre. D’après J. Aleman: « Homosexualité, hétérosexualité, lesbianisme, etc. sont des identités-réponses à l’impossibilité de la relation-rapport sexuel. Ils constituent la réponse « symptomatique » de l’existence au Devoir de son désir. Toute tentative de stratifier, hiérarchiser, donner la priorité ou le fondement à une pratique sur les autres est toujours une tentative du Maître. Il n’y a pas de façon harmonieuse, stable, naturelle de jouir. La jouissance s’écrit à la manière du symptôme, mais dans ce cas le symptomatique ne renvoie pas à un modèle de normalité. Elle s’appelle symptôme de sorte que l’existence parlante, sexuelle et mortelle construise son « identité » marquée par l’exil, la marque qui depuis toujours accompagne le rythme de la rencontre discordante entre les jouissances. » (( J. ALEMAN, « Nota sobre la tesis de Jacques Lacan » « No hay relacion sexual », in Nota Antifilosoficas, Grama editores, Buenos Aires, 2003, p 27, cité par Saez dans Théorie queer et psychanalyse, p. 109, 110 )).
Pour conclure, et ne pas donner le dernier mot à un psychanalyste et pour rejoindre « Laurence anyways », Judith Buttler et Gayle Rubin dans leur ouvrage commun : « Marché au sexe », précise de quelle manière le travestissement est une manière efficace de dénoncer la faiblesse des structures hétérocentrées et normatives : « Le travestissement n’est pas l’imitation ou la copie d’un vrai genre originaire ; le travestissement est la structure même de l’usurpation d’identité par laquelle tout genre s’assume. Le travestissement ne consiste pas à endosser un genre qui appartient en propre à un autre groupe, il n’est pas un acte d’expropriation ou d’appropriation qui présume que ce genre est la propriété légitime du sexe, que le « masculin » relève du « mâle » et le « féminin » du femelle. (…) Le travestissement constitue la voie mondaine par laquelle les genres s’approprient, se théâtralisent, s’endossent et se fabriquent. Toute mise en genre est une sorte d’usurpation, d’approximation. Si ceci est vrai, le travestissement n’imite aucun orignal, aucun genre primaire, mais le genre est une sorte d’imitation qui ne renvoie à aucun original. De fait, il s’agit d’une imitation qui produit la notion d’original comme effet et conséquence de cette imitation. (…) La « réalité » des identités sexuelles se construit performativement à travers une imitation qui s’autoproclame et origine son fondement de toutes les imitations » ((J. Butler, G Rubin, « Marché au sexe », Page 154, cité par Saez dans “ Théorie queer et psychanalyse”, p. 96 )).

Lire l’article de Pierre Henri Castel : « Distinguer sexe et genre, de l’exigence empirique à l’impasse conceptuelle : le moment stollérien ». sur http://pierrehenri.castel.free.fr

Lire l’article de Franscisco Rangifo : « D’une discordance dans les idéaux contemporains ». http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=CLA_016_0203