La fosse aux serpents
Anatole Litvak
Avec ivia de Havilland (Virginia Cunningham), Marc Stevens (Robert Cunningham), Leo Genn (Docteur Mark Kirk)
L'intrigue
Virginia est internée dans un hôpital psychiatrique dans un état de grande confusion. Le docteur Kirk s’intéresse à son cas et tente différentes méthodes pour lui venir en aide. Grâce au lien privilégié qu’elle établit avec lui, Virginia parvient à vaincre son amnésie et à parler. Elle se remémore les traumatismes de son enfance. Elle parvient à sortir de son isolement et à surmonter les obstacles qui l’empêchent de mener une existence normale.
Photos et vidéos extraites du film
Plaidoyer pour une psychiatrie plus humaine
Publié le par Pascal Laëthier
Juif d’origine russe, Anatole, Litvak à longtemps été victime de la « politique à œillères »1 d’une partie de la critique française, ce qui a empêché de considérer son oeuvre à sa juste valeur. Né en 1901, il a commencé sa carrière en Russie, avant de travailler en Allemagne au début des années trente, puis de réaliser en France plusieurs films remarquables, dont le virtuose Cœur de Lilas (1932), film dans lequel débute Jean Gabin et que Noël Simsolo considère comme l’un des premiers films du « réalisme poétique ».2 Il émigre aux Etats-Unis et réalise plusieurs films dont Confessions d’un espion nazi (1939), premier film américain qui milite pour l’engagement des Etats-Unis contre le nazisme à une époque où l’isolationnisme avait ses partisans outre-Atlantique. Litvak s’engage dans l‘armée dès le début de la seconde guerre mondiale et réalise plusieurs documentaires de la série Pourquoi nous combattons3. En 1946, Litvak acquiert avant sa parution, les droits cinématographiques du roman autobiographique de Mary Jane Ward, La fosse aux serpents,4 qui décrit le parcours d’une jeune femme internée dans un hôpital psychiatrique pour des troubles psychotiques et qui subit les traitements qui sont le lot des aliénés à cette époque jusqu’à ce qu’elle rencontre le docteur Kirk, familiarisé avec la psychanalyse qui lui propose un traitement par la parole. Litvak, homme de gauche, humaniste engagé, sensible au vent de liberté qui saisit les Etats-Unis dans l’immédiat après guerre avant la douche du maccartisme, impose le scénario à la Fox et obtient le soutien du producteur Darryl F. Zanuck. Il réalise le film en 1948 avec Olivia de Havilland, une star qui a la réputation de choisir ses scénarii. D’après Lourcelles c’est « le premier film d’envergure à attaquer de front, sous un angle uniquement psychiatrique, les problèmes de la folie. »5
Litvak tente de rendre compte au cinéma des effets de la psychose et la première scène du film est une observation clinique d’une rare acuité au cinéma. Virginia, est assise sur un banc dans le jardin de l’hôpital psychiatrique, elle est en proie à des hallucinations auditives que le réalisateur dissocie parfaitement les manifestations sonores normales. Il différencie la parole (Virginia parle), du son extérieur (le chant des oiseaux), du monologue intérieur de Virginia (elle se parle à elle-même), des voix extérieures (sa voisine lui parle), des hallucinations auditives (elle entend des voix). Virginia est dans un état de confusion, elle souffre d’amnésie et a perdu la notion du temps. Elle subit le sort réservé aux pensionnaires des asiles de l’après-guerre tels qu’ils sont décrits par Lucien Bonnafé6 La fosse aux serpents décrit le sadisme du personnel et les traitements dégradants réservés aux aliénés dans des structures asilaires avant l’utilisation des neuroleptiques, la sectorisation et la découverte d’une utilisation possible de la relation avec le patient dans les soins psychiatriques sous l’influence de la psychanalyse. Dans ces structures qui s’apparentent à des prisons, les médecins et le personnel soignant se préoccupent peu ou pas du soin ou de l’atténuation de la souffrance et leur tâche n’a pas d’autre finalité que l’enfermement et la surveillance. Les conditions de vie des pensionnaires sont rudes, ils sont entassés dans des asiles surchargés, dorment dans des dortoirs ou sur des matelas placés à même le sol et la nourriture est rare. Dans ce contexte difficile et en opposition avec ses collègues, le doc Kirk tâtonne, il pratique dans un premier temps l’hydrothérapie7, puis les électrochocs un technique qui, au dire du docteur Kirk « permet d’établir le contact plus vite » et la narco-analyse, injection d’un produit anesthésique pour faciliter le rappel des souvenirs réprimés. Finalement le docteur Kirk, adepte de la psychanalyse, comme en témoigne le portrait de Freud accroché aux murs de son bureau, décide d’engager une cure par la parole avec sa jeune patiente. Virginia se remémore les traumatismes subis aux différents moment de sa vie, à l’adolescence, à la naissance de son frère et dans la toute petite enfance, elle revit les relations difficiles avec sa mère et la culpabilité qui fait suite à la mort de son père et parvient à faire émerger les souvenirs, et par abréaction à se libérer des liens psychiques qui l’empêchent de vivre. Le docteur Kirk explique sa méthode de soin: « Le médecin veut savoir, il lui manque l’explication de l’histoire de la patiente qui est la cause de la maladie. »
Sans doute le regard que porte Litvak sur la « nouvelle » psychiatrie de l’époque est-elle emprunte d’une certaine naïveté et la méthode du docteur Kirk témoigne-t-elle d’une période où la psychiatrie fondait ses espoirs sur la psychanalyse, mais La fosse aux serpents, plaidoyer pour une psychiatrie plus humaine, rend compte de l’impossible tâche à laquelle s’attachent les psychiatres et les soignants quand la perspective thérapeutique n’a plus comme base la relation avec le patient et se borne à la prise de médicaments et la mise en place de protocoles techniques, avec pour conséquence le renforcement de la contention et de l’isolement, quand bien même ceux-ci sont ils consentis et acceptés par les patients. De ce point de vue, La fosse aux serpents, bien que réalisé en 1948, reste d’une criante actualité.
- Jean-Pierre COURSODON et Bertrand TAVERNIER, 50 ans de cinéma américain, Coll. Omnibus, Nathan, 1991, p. 643 [↩]
- Interview de Noël Simsolo dans le bonus du dvd coll. « Les films de ma vie ». Le réalisme poétique est le courant esthétique dominant du cinéma français des années trente jusqu’au début des années cinquante. Il se caractérise par des intrigues naturalistes, une importance particulière accordée aux dialogues, une image et une mise en scène soignées et la description de personnages populaires à l’existence tragique, voire morbide, souvent condamnés par le destin : Ce sont les films de Carné, Duvivier, Vigo et Renoir dialogués par Prévert, Aurenche, Jeanson et Spaack. C’est ce cinéma devenu pesant, conventionnel et inadapté à l’esprit des trente glorieuses que la Nouvelle Vague a violemment critiqué. [↩]
- Jean-Pierre COURSODON et Bertrand TAVERNIER, 50 ans de cinéma américain, Coll. Omnibus, Nathan, 1991, p. 645 [↩]
- MARY JANE WARD, La fosse aux serpents, Col. Marabout géant, Ed Gérard et C°, Verviers (Belgique), 1946 [↩]
- Jacques LOURCELLES, Dictionnaire du cinéma, Coll. Bouquin, Robert Laffont, 1992, p. 608 [↩]
- Lucien Bonnafé est un psychiatre « désaliéniste » français qui sera à l’origine de la sectorisation en psychiatrie : une organisation des soins psychiatriques dispensés dans de petites structures « hors les murs », qui propose une alternative à l’internement dans de grandes structures (les asiles) afin de permettre aux patients de vivre en ville, d’accéder à des soins plus humains et d’éviter l’enfermement à vie. [↩]
- Le patient est sanglé dans une baignoire remplie d’eau et reste immergé ainsi plusieurs heures. [↩]