Freud passion secrète

John Huston

Avec Montgomery Clift (Sigmund Freud), Sasannah York (Cecily), Larry Parks (Joseph Breuer), Susan Kohner (Martha Freud), Fernand Ledoux (Jean-Martin Charcot).

Couleurs - 1962 - DVD

L'intrigue

Sigmund Freud, jeune chercheur, s’intéresse à l’hystérie et va à Paris pour rencontrer Charcot. De retour à Vienne, conseillé et aidé par Breuer, il installe son cabinet de consultations, pratique l’hypnose et découvre la cure par la parole. Un film haletant et trépidant sur la psychanalyse, son histoire et ses concepts… Huston filme une pensée en action.

  • Montgomery Clift (Sigmund Freud)

  • Montgomery Clift (Sigmund Freud) et Susannah York (Cecily)

  • Susan Kohner (Martha Freud) et Montgomery Clift (Sigmund Freud)

  • Montgomery Clift (Sigmund Freud) et Susannah York (Cecily)

  • Montgomery Clift (Sigmund Freud) et Susan Kohner (Martha Freud)

  • Montgomery Clift (Sigmund Freud)

  • John Huston

  • Affiche de Freud Passion secrète

L’invention de la psychanalyse

John Huston est né en 1906 aux Etats-Unis, son père est un acteur de cinéma d’origine irlando-écossaise né aussi aux Etats-Unis. John Huston commence sa carrière de réalisateur en 1941, il fait partie de la deuxième génération des cinéastes américains, celle des Minnelli, Preminger, Wyler, Wells… qui débute avec le parlant. Ses films comptent parmi les plus grands chefs d’œuvres du cinéma américains, ( Le faucon Maltais (1941), Le trésor de la sierra Madre (1948), Quand la ville dort (1950), The Misfits, (1961), La nuit de l’Iguane (1964) Reflet dans un oeil d’or (1967), Les gens de Dublin (1987), etc.). Sa réception en France est mitigée. D’après Robert Benhayoun : « Huston, dès ses débuts fut victime d’un véritable snobisme académique. » (( La citation ouvre le livre de Christophe LECLERC, Le cinéma de John Huston entre l‘épique et l’intime, Paris, Publibook.com, 2006, page 9 )), la revue Positif le place parmi les réalisateurs qui comptent, tandis que pour les Cahiers du Cinéma, Huston n’est pas un auteur. Truffaut le considère comme « un exemple de fumiste » et Rohmer « un dilettante » (( Christophe Leclerc, Le cinéma de John Huston entre l ‘épique et l’intime, Paris, Publibook.com, 2006, page 153 )). Au cours de sa carrière mouvementée, inégale, erratique, Huston a fait preuve d’une détermination et d’une rare ténacité, c’est un expérimentateur qui explore, « avec constance, toutes les figures de l’aventure » (( Christophe LECLERC, Le cinéma de John Huston, entre l’épique et l’intime, Publibook 2006, page 12 )). Pendant la seconde guerre mondiale, il s’engage et participe à la série documentaire de propagande Pourquoi nous combattons dirigée par Capra. En 1945, il réalise un documentaire sur les traumatismes de guerre et leur traitement par l’hypnose et la narcoanalyse qui s‘intitule Let there be light qui a été censuré jusqu’au début des années quatre-vingt. (( Documentaire disponible sur youtube en version sous-titrée française : https://www.youtube.com/watch?v=V053YGwE6dU )). La rencontre avec le traumatisme, l’inconscient et l’interrogation sur le fonctionnement du psychisme et son énigme, décide Huston à réaliser un film sur Freud et l’invention de la psychanalyse. En 1958, il en commande le scénario à Jean-Paul Sartre dont il avait monté une pièce aux Etats-Unis (( John Huston a adapté et monté « Huit clos », pièce de Jean-Paul Sartre, en 1946 dans un théâtre de Brodway à New-York. )) Le choix de Huston est singulier, Sartre est un bon connaisseur et lecteur de Freud, mais ne crois pas à l’inconscient. Sartre travaille avec sérieux à partir, entre autre, de la biographie de Jones sur Freud qui vient d’être publiée en anglais. Elisabeth Roudinesco dans son ouvrage, Philosophes dans la tourmente, consacre un chapitre passionnant à Sartre et la psychanalyse et rend compte du travail et de l’évolution du point de vue de Sartre sur Freud ainsi qu’à la rencontre entre Sartre et Huston à propos du film Freud passion secrète. (( Elisabeth Roudinesco, « Philosophe dans la tourmente », Paris, Fayard, 2005 )).
« Huston voulait que Marylin Monroe tienne le rôle de Cécily, la patiente de Freud qui incarne la synthèse de toute celles de Breuer et Freud dans les Etudes… Ils venaient de tourner ensemble « Les Misfits » (1960) et Marylin avait accepté. Elle était en analyse avec Marianne Kriss qui était en lien avec Greenson. Greenson a contacté Anna Freud qui a mis son véto. Résultat, c’est Susanah York qui a tenu le rôle. » (( Elisabeth ROUDINESCO, conférence sur le film de John Huston : « Freud, passion secrète », organisée à la Cinémathèque Française par Bernard Benoliel, le samedi 11 juin 2016 )).
Sartre et Huston ne s’entendent pas et ne parviennent pas à travailler ensemble sur le scénario final. Sartre encaisse son chèque, abandonne le projet et refuse que son nom apparaisse au générique. Le scénario de Sartre sera publié en 1984 par Jean Bertrand Pontalis (( Jean-Paul SARTRE, Le scénario Freud, Paris, 1984, Gallimard )). Huston retravaille le script aux côtés de Charles Kaufman et Wolfgang Reinhardt. Le tournage est difficile et éprouvant. Montgomery Clift qui interprète le rôle de Freud est alcoolique et psychologiquement fragile, mais surtout il ne parvient pas à mémoriser son texte et Huston perd patience. Une partie de l’équipe soutient l’acteur. Houston déclare dans ses mémoires : « Ce fut l’expérience la plus difficile que j’ai eue avec un acteur. » (( John Huston par John Huston, Pygmalion-Gérard Watelet, 1982, page 283 )). Le film disparaît des écrans dès sa sortie et devient un « film maudit », Freud passion secrète, longtemps invisible en France, est enfin disponible en dvd à partir du 12 septembre 2017.
Le film de Huston et Sartre présente la vie de Freud entre 1885 et 1905. Une scène remarquable montre le moment particulier de l’élaboration théorique de Freud où celui-ci renonce à sa théorie de la séduction, (( moment que l’on appelle de « renoncement à sa neurotica » en référence à une citation de la lettre de Freud à son confident Fliess )). Dès la rencontre avec ses premières patientes, Freud bâtit cette théorie dite « de la séduction ». Elisabeth Roudinesco: « Il pense que parce qu’elles ont été réellement séduites, les femmes hystériques sont atteintes de troubles névrotiques. Du coup, il se met à accuser les pères du monde entier d’être pervers. (…) Freud se heurte à un point d’impossible : tous les pères ne sont pas violeurs et pourtant les hystériques ne mentent pas quand elle disent qu’elles sont victimes de leur séduction sexuelle. Force est donc d’avancer une hypothèse qui puisse rendre compte de ces deux vérités contradictoires. (…) Freud substitue à la théorie de la séduction celle du fantasme, ouvrant la voie à une théorie de la réalité psychique fondée sur l’inconscient. » (( Elisabeth ROUDINESCO, Philosophes dans la tourmente, Fayard, 2005, pages 96, 97 et 98 )).
Cecily, le personnage interprété par Susannah York, qui condense les premières malades hystériques de Freud, est paralysée de façon inexpliquée et Freud se rend chez elle pour l’analyser. Le film montre Freud au travail, on le voit qui « pousse le fer au feu » avec sa patiente et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’est pas dans la neutralité. Cecily est en pleine remémoration et accède à un souvenir d’enfance pendant lequel son père l’a déshabillée, mise dans son lit et lui a donné une poupée. Freud imagine qu’il s’agit là de l’amorce du souvenir traumatique et incite sa patiente à pousser plus loin. La séance est pénible, éprouvante, mais efficace, puisqu’une partie des symptômes sont levés, Cecily parvient à marcher. Mais pour Freud, ce n’est pas suffisant, fidèle à sa théorie de la séduction, il veut lui faire avouer que son père a abusé d’elle. Cecily, prise dans le transfert, satisfait son analyste et lui avoue : « mon père était un criminelle » et tend la main à Freud et demande immédiatement : « êtes vous content pour moi ? ». Elle l’invite à rester avec elle au lieu d’aller jouer au tarot avec ses amis. Freud refuse, mais promet de repasser le soir même pour prendre de ses nouvelles. Quand Freud revient à la nuit tombée, Cecily s’est échappée. Freud se doute du lieu où elle a fugué et il la rejoint dans une rue mal fréquentée, aux abords d’un bordel que fréquentait son père. Elle s’offre alors a lui, « pour rien » parce qu’il l’a guérie et que « ça mérite une récompense. » Freud refuse et Cecily se dresse contre lui. « Je ne mérite pas le père que j’ai eu. Le plus adorable des pères. Et moi, sa fille, je l’ai accusé d’un acte innommable. Seule les prostitués mentent ainsi. » Freud intervient et Cecily se cabre et hurle : « Il ne m’a pas touché. Il faut me croire ». Moment de tension extrême, paradoxal et ambivalent. Cecily se précipite vers le Danube et Freud la suit : « Je vais me tuer… » Elle enjambe le parapet d’un pont. « Ne m’approchez pas ! » Cecily se retourne vers Freud : « Vous me croyez ? » Elle menace de sauter et Freud, sous la contrainte, renonce : « Oui, je vous crois. » Cette scène sortie de l’imagination de Huston et de Sartre n’est pas du tout conforme à la réalité, et pourtant c’est une représentation fantastique du moment du renoncement à la théorie de la séduction par Freud. Dans le cas de Cecily, ce n’est pas de l‘abus en temps qu’acte dont il s’agit, mais d’un phénomène psychique inconscient, manifestation de la résistance de la patiente. Cecily, se bat contre quelque chose, qui n’est pas l’abus au sens strict, mais « un souvenir » qui engage avant tout son désir vis à vis de son père. Cette scène formidablement freudienne est, comme le fantasme de Freud, complètement inventée et complétement vraie.

Documents :

Elisabeth Roudinesco dans sa biographie de Freud, commente ainsi le renoncement de Freud :

« En abandonnant sa neurotica, et en définissant les conditions originales d’une thérapeutique de l’aveu, Freud explorait une manière inédite de penser la sexualité humaine. Loin de s’attacher à décrire « ad nauseam » viols, pathologies sexuelles, pratiques érotiques, ou comportements instinctuels, et plutôt que d’élaborer des planches anatomiques se perdant en mensurations, calculs divers ou évaluations, ou encore d’édicter des normes ou de rédiger le catalogue de toutes les aberrations sexuelles, il étendit la notion de sexualité à une disposition psychique universelle et en fit l’essence même de l’activité humaine. C’est donc moins à la sexualité en elle-même qui devint primordiale dans sa doctrine qu’un ensemble conceptuel permettant de la représenter : la pulsion, source du fonctionnement psychique inconscient, la libido, terme générique désignant l’énergie sexuelle, l’étayage, ou processus relationnel, la bisexualité, dispositions propres à toute forme de sexualité humaine, et enfin le désir, tendance, accomplissement, quête infinie, relation ambivalente avec autrui. » (( Elisabeth ROUDINESCO, Sigmund Freud en son temps et dans le notre, Seuil, 2014, p 103 ))

Extrait de la conférence/débat animée par Bernard Benoliel à la Cinémathèque Française le samedi 11 juin 2016 à propos du film Freud, passion secrète de John Huston.

– Alexis Chabot (( Alexis Chabot est maître de conférence à Science Po. Il est l’auteur de « Sartre et le père » (Champion, 2012). Il a écrit une étude du « scénario Freud » de Sartre dans « Les Temps Modernes » )) : C’est un peu difficile de parler de ce film pour un sartrien, parce que, je dirais (…) à la suite de Roudinesco, que si je voulais parler de Sartre à des lycéens je les emmènerais également voir le film de Huston. Sartre aimait beaucoup les romans policiers et cet aspect d’enquête lui aurait beaucoup plus. Le roman auquel il aspire, qu’il n’a jamais écrit, ce serait un roman qui rende compte de la vie intellectuelle, qui ferait de la vie intellectuelle l’objet même de la fiction. Ce qui m’a frappé dans le film, c’est la pensée en train de se faire…
– Roudinesco (( Elisabeth Roudinesco : Historienne de la psychanalyse. Elle a écrit sur le film de Huston dans son livre : « Philosophes dans la tourmente » édité chez Fayard en 2015 )) : Il y a ça dans la nausée.
– Chabot : Comment faire un roman sur la pensée elle-même ? Il y a deux défis : Comment décrire avec des mots, écrire une fiction, quelque chose d’haletant… Sartre c’est le roman policier plus « Les trois mousquetaires ». Comment rendre haletante la découverte de sa propre pensée et de soi-même. C’est ce qu’il fait dans « le scenario Freud ». Et puis Freud et Huston sont des expérimentateurs, c’est un film expérimental. Le film est long, il dure deux heures, c’est un film abstrait, intellectuel, il peut paraître ennuyeux, il ne l’est pas une seconde… Comment faire pour qu’un film sur la pensée ne soit pas ennuyeux ? C’est difficile. Comment rendre compte de la psychanalyse, de ses concepts, de ses images, de ses allégories, etc. d’une manière qui ne soit pas ridicule, comme on peut le voire dans certains films. On se souvient du film d’Hitchcock « La maison du docteur Edwards »…
– Bernard Benoliel ((Bernard Benoliel est directeur de l’action culturelle et éducative à la Cinémathèque française )) : quinze ans avant…
– Chabot : Ce n’est pas le meilleur film d’Hitchcock.
– Roudinesco : Ce n’est pas ridicule.
– Chabot : Ce n’est pas ridicule, mais il y a cette même difficulté. Comment représenter les scènes de rêves. Hitchcock a fait appel à Dali pour le décor des scènes de rêves. Comment on montre les images, la distorsion, la condensation… Ils sont tous les deux face à un défi. L’un en tant que romancier et l’autre en tant que cinéaste.
– Roudinesco : Je trouve que « Le scénario Freud », indépendamment du film, est un chef-d’œuvre, d’abord parce que Sartre est contre lui-même, à force de raconter que l’inconscient n’existe pas, « Le scénario Freud » montre que oui.