Dr Kinsey, parlons sexe !

Bill Condon

Avec Liam Neeson (Dr Kinsey), Laura Linney (Clara Kinsey, sa femme), Chris O’Donnel (Wardell, l’assistant de Kinsey)

Couleurs - 2005 - DVD

L'intrigue

Alfred Kinsey a grandi dans un milieu austère, élevé par un père rigoriste et prédicateur, il se passionne pour la science et fait des études d’entomologiste. Il devient professeur de zoologie, épouse une des ses élèves et découvre la sexologie. Il se rend célèbre en publiant dans l’immédiat après guerre, deux études contreversées sur la sexualité de ses contemporains.

  • Liam Neeson (Dr Kinsey)

  • Liam Neeson (Dr Kinsey)

  • Liam Neeson (Dr Kinsey)

  • Le docteur Alfred Kinsey

  • Couverture de Time avec Alfred Kinsey

  • Affiche: Kinsey, parlons sexe

  • Bill Condon

Le sexe pratique et la pratique du sexe

Après avoir raconté la vie des stars de l’industrie pornographique naissante au début des années soixante-dix (« Boggie Nights » de Tomas Anderson en 1997), après avoir fait le « biopic » du magnat de la presse érotique (« Larry Flynt » de Milos Forman en 1997), l’industrie américaine du cinéma devait s’attaquer à un autre de ces personnages sulfureux qui défrayèrent la chronique aux Etats-Unis : Le docteur Kinsey. Alfred Kinsey est un professeur d’université qui a ouvert la voie à la sexologie clinique et a publié successivement deux études sur le comportement sexuel des Américains. La première, connu sous le nom du « Rapport Kinsey » est publié en 1948, traite de la sexualité des hommes américains. Elle est accueillie avec étonnement et une relative bienveillance par le public et les scientifiques. Kinsey révèle que la majorité des américains ont des rapports pré et extra conjugaux, qu’ils se masturbent et qu’une bonne partie d’entre eux ont des relations homosexuelles. La seconde étude consacrée à la sexualité des Américaines publiée en 1953 fait scandale. L’époque a changé, nous sommes au tout début du maccarthysme. On reproche à Kinsey un manque de rigueur dans sa méthodologie et ses enquêtes, mais plus que son contenu, ce sont ses attaques contre le puritanisme qui dérangent. Kinsey se fait un ardent défenseur de la libéralisation des mœurs. Il se fait prédicateur comme son père, mais contrairement à lui, il n’enseigne pas les préceptes de la bible, mais prône les vertus thérapeutiques de l’orgasme et d’une sexualité « naturelle » et réparatrice.
Le film de Bill Codon est sympathique, bon enfant. Il est mis en scène sans grande originalité. Reste que la quête du bon docteur Kinsey parcourant inlassablement les Etats Unis à la recherche d’une réponse à l’énigme de le sexualité par le biais de questionnaires adressés à ses compatriotes ou observant les effets de l’orgasme en se faisant projeter des films sur les ébats de ses assistants avec des inconnues, a quelque chose de tout à fait original et réjouissant.

Document

Alors que pour Kinsey, tout est dans l’acte sexuel et l’orgasme, Freud voit dans la sexualité, au sens large et pas uniquement réduit à la génitalité, l’expression fondamentale de l’activité humaine. Freud ne s’intéresse pas à la sexualité d’un point de vue phénoménologique, énergétique, biologique ou politique, mais à l’ensemble des concepts qui sous-tendent et étayent cette activité si différente des autres : La pulsion, la libido, l’identification… Pour Freud l’amour n’est pas la faim et le désir va bien au-delà du besoin.
Dans l’introduction de son ouvrage sur « La sexualité féminine », Jacques André différencie ce qu’il appelle « l’illusion sexologique » de la sexualité, c’est à dire le savoir anatomique ou érotique de ce qui constitue le sexuel humain, sa dimension inconsciente.
« La morale dominante du XIXième siècle édictait à la femme l’impératif suivant: travaille, économise et renonce à la chair! L’impératif tout aussi catégorique d’aujourd’hui, tel qu’il est par exemple véhiculé par les magazines féminins, dit: Sois heureuse, sois comblée, bref, jouis! Entre ces deux injonctions Margaret Mead notait avec humour que la première avait au moins le mérite d’être réalisable. Le surmoi, la puissante interdictrice inconsciente se constitue, pour l’un de ses aspects du moins, par une intériorisation des interdits parentaux, eux-mêmes l’écho des interdits sociaux. Il serait donc logique d’attendre du relâchement de ces derniers, un apaisement de la tyrannie surmoïque. Sa clinique ne cesse de montrer au psychanalyste qu’on est loin du compte. « Tu auras un orgasme vaginal! et si tu n’en as pas, tu pourras toujours te rendre à la clinique de l’orgasme » (établissement ouvert par les sexologues américains William H. Masters et Virginia E. Johnson)… Cet impératif « libérateur » se révèle psychiquement au moins aussi coûteux que l’ancienne découverte de l’érection masculine un soir de « nuit de noces ». La sexualité de la femme n’est pas moins conflictuelle aujourd’hui que par le passé, même si les mots de la plainte, et parfois les symptômes, se sont modifiés. 
L’illusion sexologique est que la sexualité est affaire de savoir: savoir anatomique, savoir érotique. C’est méconnaître ce qui constitue l’essentiel du sexuel humain et qui transcende tout savoir, tout apprentissage: sa dimension inconsciente » (( ANDRE Jacques, Introduction à La sexualité féminine, Paris, PUF, Coll. Que sais-je?, page 4 )).

En 1982, Eugène Simion converse avec François Dolto à propos d’une intervention qu’elle a faite en 1960 au congrès d’Amsterdam sur le thème de la sexualité féminine. Simion demande à François Dolto si la femme a changé depuis les années 60.
François Dolto : « La femme n’a pas tellement changé. (…) Je dis quelque part dans mon texte (…) combien j’ai connu de femmes parfaitement non frigides, parfaitement satisfaites de leurs orgasmes, qui étaient raides folles, complétement dingues, dans l’éducation de leurs enfants, combien d’entre elles faisaient le malheur de tous ceux qui les entouraient. Alors qu’on croyait, à ce moment là, (Reich est un homme, n’est ce pas…), que le fait d’avoir des orgasmes bien développés, etc., étaient obligatoirement un signe de bonne santé, la panacée de tous les maux. Pour ma part, je me suis toujours dit que ce devait être aussi autre chose, que ce ne pouvait pas être que cela. Tant mieux si c’est ça, mais ça ne suffit pas. (…) Maintenant on voit des femmes qui sont devenus des sexologues d’elles-mêmes, qui soignent méticuleusement leur jouissance et qui sont de plus en plus désespérées, nombrilicentristes, de plus en plus sans relation avec le monde qui les entoure. A mon sens, cette nouvelle attitude de discours érotologique sur la jouissance, accompagnée de techniques d’entrainement, est une résistance à la compréhension de ce qu’est la relation entre les êtres humains, relation dans laquelle la sexualité joue sa part, le sexualité génitale j’entends, mais où la sexualité dans le sens d’une relation féconde entre les êtres n’est pas faite que de détente, de plaisir, de tumescence et d’orgasme. Ce n’est pas ça qui fait la jouissance… » (( DOLTO Françoise, « Dialogue préliminaire », dans La sexualité féminine, La libido génitale et son destin féminin, Paris, Gallimard, Coll. Essais, 1996, pages 37 et 38 )).