La psychanalyse réinventée et Quartier Lacan
Avec les philosophes, les patients, les élèves, les psychanalystes qui ont connu Jacques Lacan, parlent de lui, de son travail, de son enseignement.
L'intrigue
Deux documentaires sur la vie et l’œuvre de Jacques Lacan
Photos et vidéos extraites du film
Deux documentaires sur Jacques Lacan
Publié le par Pascal Laëthier
Parmi les différents documentaires consacrés à Jacques Lacan, cinepsy a choisi de vous proposer :
La psychanalyse réinventée d’Elisabeth Kapnist (1997)
Elisabeth Roudinesco est l’auteure de ce documentaire réalisé par Elisabeth Kapnist sur l’oeuvre et la vie de Lacan. Situé dans la continuité de son travail de recherche sur l’histoire de la psychanalyse française et de son livre sur Jacques Lacan intitulé : « Jacques Lacan, Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée »1, le film d’Elisabeth Roudinesco est un témoignage rigoureux et passionnant sur le parcours de l’un des intellectuels français parmi les plus novateurs et subversifs de son époque. Sans être hagiographiques, ni doctes, Elisabeth Kapnist et Elisabeth Roudinesco font parler des témoins philosophes ou psychanalystes pour qui Lacan a compté. Parmi eux Juliet Mitchell, (Psychanalyste anglaise), Maria Belo (psychanalyste portugaise), Jacques Derrida (philosophe), Christian Jambet (philosophe), Jean-Bertrand Pontalis (philosophe et psychanalyste) et Elisabeth Roudinesco (historienne). Les propos de Christian Jambet sur la différence entre inconscient freudien et lacanien sont lumineux, le témoignage de Mitchell sur les femmes à l’époque de sa découverte de Lacan, (c’est-à-dire le concept de « LA femme » selon Lacan) est passionnant, Pontalis témoigne avec émotion du Lacan des premières années de son séminaire sans cacher sa déception pour le Lacan « col Mao et cigares tordus » de la fin des années 70. Derrida enfin raconte comment Lacan et lui se cherchaient. La mise en scène astucieuse, permet de revoir un extrait choisi de la conférence de Louvin particulièrement bien mis en valeur. « La psychanalyse réinventée » est un dvd indispensable pour tous ceux, lacaniens ou non, qui s’intéressent ou veulent découvrir le théoricien, le psychiatre et le psychanalyste à l’origine du « retour à Freud ».
Quartier Lacan d’Emil Weiss » (1996)
« Quartier Lacan » est un film d’entretiens réalisé s à partir des témoignages des premiers compagnons de route et des élèves de Jacques Lacan. L’occasion nous est donnée de voir ou de revoir Alain Didier-Weill, Serge Leclaire, Moustapha Safouan, Jean Clavreul, Claude Dumézil, Charles Melman, René Bailly, Wladimir Granoff et Maud Mannoni. Sans doute la forme du film est-elle austère, mais l’intérêt qu’il suscite dépasse le cercle des initiés et des inconditionnels. On découvre une génération de psychanalystes érudits et passionnées que Lacan a entraînés dans son sillage et littéralement « mis au travail ». Tous racontent leur rencontre et la relation particulière qu’ils entretenaient avec le « maître ». L’intervention de Granoff, reprise par écrit dans son ouvrage « Freud, Ferenczi, Lacan », est passionnante.
Documents
Lacan, « le retour à Freud »
Lacan est un psychiatre, psychanalyste parisien qui a marqué la psychanalyse française des années cinquante aux années quatre-vingt. Influencé par son maître en psychiatrie (Clérambault), par la philosophie de Hegel et de Heidegger, par ses professeurs (Koyré et Kojève), par ses amis surréalistes (Dali) et par Georges Bataille, ce clinicien érudit, lettré, impatient, avide de connaissance, provocateur, séducteur, suscitera toute sa vie des réactions de haine et d’amour à la mesure de la tâche qu’il s’était assigné : procéder à une relecture de l’œuvre de Freud à la lumière des nouvelles découvertes de l’ethnologie (Lévi-Strauss), de la linguistique (Saussure, Jacobson), de la sociologie (Durkheim). Tout en affirmant sa fidélité à Freud: « Je suis freudien, à mes élèves d’être lacaniens s’ils le veulent. »2 Lacan a élaboré des outils conceptuels nouveaux : « l’Autre » (avec un grand A), « RSI » (réel, symbolique et imaginaire), « l’objet a » (l’objet petit a), etc. qui, ont profondément modifié la théorie et la pratique de la psychanalyse. Lacan avait des difficultés avec l’écriture et son apport est principalement constitué de ce qu’il appelait ses « séminaires », un enseignement oral dispensé sous la forme de cours magistraux en partie improvisés, disponibles aujourd’hui sous forme de retranscriptions écrites ( Dont celles de goagoa accessibles gratuitement sur internet http://gaogoa.free.fr/SeminaireS.htm ). Lacan refusait de considérer la psychanalyse comme une psychothérapie, une philosophie ou une manière de penser le monde, il l’envisageait comme une pratique de la parole unique et singulière. Il a tenté sans relâche de définir la structure de l’inconscient. Il a combattu la psychanalyse américaine dominante dans l’après guerre, qu’il a abusivement identifiée à « l’ego psychologie » (« une psychologie du « moi » à visé adaptative qui fait de l’inconscient une instance secondaire). A son grand dam, il n’a jamais été reconnu par l’IPA, l’instance internationale de psychanalyse fondée par Freud. Lacan a été un clinicien hors pair, un penseur hors norme, un formidable théoricien, un génial « bricoleur » de concepts, un maître admiré, contesté et parfois contestable, mais surtout il a mis au travail plusieurs générations de psychanalystes auxquelles il a transmis son désir d’analyste et l’exigence de travail et de recherche qui était sienne. Son abord n’est pas toujours facile (on a souvent brocardé, à juste titre, le jargon et l’hermétisme des lacaniens), mais l’étude des séminaires de Lacan (au minimum les quatre premiers) est indispensable pour se familiariser avec les fondements de la clinique psychanalytique. Ceux qui font l’impasse sur Lacan se trouvent contraints d’inventer de véritables usines à gaz théoriques pour conceptualiser ce qui est en jeu dans une analyse (L’intersubjectivité, l’autre, le « moi », etc.). Lacan a été attaqué sur sa pratique de la psychanalyse (les séances courtes). « Parmi les grands interprètes de l’histoire du freudisme, Jacques Lacan est le seul à avoir donné à l’œuvre freudienne une armature philosophique et a l’avoir sortie de son ancrage biologique sans pour autant verser dans le spiritualisme », c’est ainsi qu’Elisabeth Roudinesco et Michel Plon commencent l’article qu’ils ont consacré à Jacques Lacan dans leur « Dictionnaire de la psychanalyse »3
Le passage de Freud à Lacan
Christian Jambet définit la psychanalyse de Lacan en rapport avec celle de Freud. Extrait de « La psychanalyse réinventée » d’Elisabeth Kapnist et Elisabeth Roudinesco.
Christian Jambet : « Si l’on veut faire le point sur le passage de Freud à Lacan et l’émergence de la psychanalyse chez Lacan, il faut bien voir que ça suppose une reconstruction totale des concepts. Par exemple, le concept de sujet : comment caractériser le sujet au moment où il apparait clairement dans la doctrine lacanienne ? Il apparaît à partir de plusieurs éléments… le sujet c’est d’abord ce qui doit être pensé dans la constitution du « moi », parce que avant de théoriser à fond le sujet, Lacan s’est d’abord interrogé sur le « moi ». Mais le « moi », chez Freud, est un concept sans grand mystère, c’est le système perception conscience. Et chez Lacan sous influence philosophique, au moment du fameux écrit sur le stade du miroir, voilà que le « moi » devient le résultat de l’autre. C’est à dire que mon « moi », c’est cette image de moi, un moi spéculaire, qui se réfléchit dans le miroir de l’autre et qui m’est renvoyé, pour dire le choses simplement… Et qui est renvoyé au qui ? A quelque chose qui est assez énigmatique qui va bientôt s’appeler le sujet… Donc le « moi » est forcément illusoire ou lieu d’illusion. »
Lacan était un enseignant, pas un professeur
Wladimir Granoff est un psychanalyste d’origine Russe, aristocrate, admirateur de Ferenczi, qui a suivi Lacan dans la première partie de son enseignement. Il est de ceux, avec Serge Leclaire et François Perrier qui ont tout tenté pour donner une portée internationale à l’enseignement de Lacan. Après le refus de l’IPA, (l’institut international de psychanalyse) de faire de Lacan un de leur membre, Granoff et Lacan se sont séparés. Dans l’entretien réalisé pour le film quartier Lacan, Emile Weiss lui demande si son origine Russe a joué un rôle dans son rapport à la psychanalyse :
Granoff : « Le rapport de Lacan à ce monde là a certainement eu un rôle. Il a joué en ce sens que je pense qu’un des secrets de notre relation était peut être souterrainement soutenu par ça. Je ne parle pas de ce qui a été finalement l’amour de sa vie et son deuxième mariage avec Sylvia Bataille. Mais la vie de Lacan a été marquée par l’intervention de ceux que vous connaissez, Alexandre Kojève qui venait de là-bas, puis deux amis de notre famille : l’un, tout à fait dans le milieu de mes parents, mais un petit peu plus jeune, c’est Roman Jakobson, qui lorsqu’il venait à Paris, venait toujours Porte de Saint-Cloud où résidait l’émigration russe avec laquelle ses parents étaient très liés; et l’autre c’est Alexandre Koyré. Tout ceci a joué jusqu’à un certain moment, je dirais probablement jusqu’au moment où s’est enclenchée la phase qui n’était pas la dernière, c’est-à-dire sa rencontre après la guerre avec Heidegger. Je pense que ce qui a précédé Heidegger a été déterminant dans la formation de Jacques Lacan psychanalyste. S’il n’y avait pas eu tout ça, Lacan serait resté un psychiatre remarquable, sans plus. Il n’y a pas l’ombre d’un doute que ce sont eux qui l’ont formé. Formé en quel sens ? Formé au sens où cela a été déterminant dans mon attachement à Lacan et dans le fait que je l’ai suivi. Je veux dire qu’ils ont été pour lui, non pas des professeurs, ni des moniteurs, mais des enseignants.
Par enseignants j’entends quoi ? Si je n’ai jamais eu le moindre respect pour mes professeurs ou pour le monde des professeurs, c’est en raison de leur forme d’existence qui consiste à donner des cours qui suivent un programme, c’est à dire qui leur faut d’une certaine façon, savoir bien à l’avance ce qu’ils vont dire, vu qu’il ne peuvent pas éviter la répétition, à la limite, je dirais, d’une année sur l’autre. Ca implique un certain mode d’investissement de quelque chose, dans sa vie et un certain mode d’investissement de cet objet-là. Si, à propos de Lacan, on a utilisé un terme odieux – non pas spécialement quand ça vise Lacan, mais quand ça vise n’importe qui, y compris moi, d’ailleurs – si on a parlé a un certain moment de charisme, cette ignominie en fait, qu’est-ce qu’elle désigne ? Elle désigne l’ignorance que certains veulent maintenir de leur conscience du mode d’investissement de l’objet par l’enseignant. Quand l’objet investi d’une certaine manière qui n’est pas celle du professeur, eh bien, celui qui parle devient un enseignant. Lacan en ce sens l’a été dans ma vie, marquée par une succession falote de professeurs. Alors, y compris naturellement dans l’Institut de la rue Saint-Jacques (la SPP), où il y avait des gens très gentils, très honnêtes, la question n’est pas là. Lacan surgissant, surgissait, en ce sens un enseignant. Et les personnes de Kojève, Jakobson et Koyré ont été, en ce sens, pour lui, des enseignants. Ils l’ont fait. Ils ont fait de lui l’analyste qu’il est devenu, exactement comme Lacan a fait de moi l’analyste que je suis devenu, même si je ne l’ai pas suivi jusqu’au bout de son trajet ».4
- Elisabeth ROUDINESCO, Jacques Lacan, Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée, Paris, Fayard, 1993 [↩]
- Jacques LACAN, séminaire de Caracas, (juillet 1980) [↩]
- Elisabeth ROUDINESCO et Michel PLON, « Dictionnaire de la psychanalyse », Paris, Fayard, 1997, p 603 [↩]
- Wladimir GRANOFF, « Lacan, Ferenczi et Freud », Paris, Connaissance de l’inconscient, Gallimard, 2001, P 34 à 36 [↩]