Des gens sans importance
Henri Verneuil
Avec Jean Gabin (Jean), Françoise Arnoul (Clothilde), Pierre Mondy (Pierrot)
L'intrigue
Jean est chauffeur routier et père de famille, il fait régulièrement le trajet Bordeaux-Paris et rencontre Clothilde qui travaille comme serveuse dans un routier. Jean quitte sa famille et perd son travail pour tenter sa chance à Bordeaux avec Clothilde.
Photos et vidéos extraites du film
La vie d’avant
Publié le par Pascal Laëthier
Difficile d’imaginer ce qu’était la vie dans les années cinquante quand on n’a connu que la consommation de masse et qu’on vit connecté. La vie n’était vraiment pas drôle pour ceux qui n’étaient pas nés du bon côté de la barrière. C’est ce monde d’avant que nous présente Verneuil dans ce film de 1956 qui s’inscrit dans la suite des grandes réussites du cinéma français des années trente Le Jour se lève (1939) ou Quai des brumes (1938) et qui correspond à la fin du courant esthétique appelé le « réalisme poétique ».
La seconde guerre mondiale est terminée depuis dix ans, l’économie peine à repartir, les ouvriers et les employés travaillent 45 ou 46 heures par semaine pour un salaire qui permet juste de survivre, au bureau et à l’atelier c’est le règne des petits chefs, les façades des immeubles de Paris sont noires, en banlieue on élève des lapins dans les cours d’immeuble, ça sent la sueur et la crasse dans le métro et pendant l’hiver rigoureux de 54 l’abbé Pierre dénonce la crise du logement qui se résorbera avec la construction des grands ensembles, les femmes vivent dans la peur de tomber enceinte et meurt parfois en se faisant avorter. La vie est morne et grise et l’existence définitivement plombée pour ceux qui n’ont accès aux études et qui sont nés pauvres. Jacques Lourcelles écrit à propos des héros du film : « Jeunes ou vieux, les personnages paraissent n’avoir connu qu’un horizon bouché et une totale absence d’espoir. Victimes de leur milieu, de leurs habitudes, ils sont (…) condamnés à l’échec et à la séparation dans la mort »1. C’est ce monde qui sera progressivement recouvert dès le début des années soixante par la consommation de masse, la libéralisation des mœurs, le progrès, l’inflation, les supermarchés, la DS, la Caravelle, l’Express et la Nouvelle Vague. Verneuil raconte l’histoire d’un brave routier à la vie triste qui travaille comme un damné et que le destin accable. Quatre en plus tard, en 1960, Jean-Luc Godard dans « A bout de souffle » racontera l’histoire d’un jeune type qui pique une voiture américaine à Marseille, tue un flic, monte à Paris pour retrouver sa petite amie et tente de la convaincre de partir à Rome pour vivre sa vie avant d’être abattu dans une rue de Paris. Bien que le film de Godard se termine tragiquement, il marque un changement d’époque et d’ambiance, c’est la fin de grisaille et le début d’une vie nouvelle.
Le film de Verneuil n’a pas été un grand succès, seulement 2 400 000 entrées, ce qui n’est pas beaucoup pour celui qui a réalisé 14 films à plus de 3 millions d’entrées. Les spectateurs n’ont pas souhaité se reconnaître dans le miroir que lui tendait le réalisateur. Lourcelles : « La maturité, le classicisme minutieux, le naturalisme épuré de la photo et de la mise en scène (long plans séquences invisibles, justesse et intensité de la direction d’acteurs) dont témoigne ce film ne se retrouvèrent plus par la suite chez Verneuil ».2