Breakfast on Pluto

Neil Jordan

Avec Cillian Murphy (Patrick Kitten Brady), Liam Neeson (Le Père Liam), Stephan Rea (Bertie, le magicien), Branda Gleeson (John Joe Kennedy)

Couleurs - 2006 - DVD

Où trouver ce film ?

http://www.priceminister.com/mfp/211079/breakfast-on-pluto-neil-jordan-dvd#pid=49043449 http://www.canalplay.com/cinema/film/prod320029.html?codeOrig=ALLO

L'intrigue

Patrick Brandeen, un enfant abandonné, est élevé par une famille d’accueil. Il découvre qu’il est le fils du prêtre de la paroisse et de la bonne de cure et grandit dans un village catholique d’Irlande au début des années 70 dans une ambiance de guerre civile. Patrick aime s’habiller en fille et se travestir. Il décide de rejoindre Londres pour retrouver sa mère et vivre une existence plus conforme à ses aspirations.

  • Cillian Murphy (Patrick Kitten Brady)

  • Cillian Murphy (Patrick Kitten Brady)

  • Cillian Murphy (Patrick Kitten Brady)

  • Cillian Murphy (Patrick Kitten Brady)

  • Cillian Murphy (Patrick Kitten Brady)

  • Cillian Murphy (Patrick Kitten Brady)

  • Cillian Murphy (Patrick Kitten Brady) et Liam Neeson (Le Père Liam)

  • Cillian Murphy

  • Neil Jordan et Cillian Murphy

  • Affiche - Breakfast on Pluto

  • Neil Jordan

  • Patrick MacCabe

Vivre la recherche de son identité

Comment survivre dans un monde étriqué et violent quand on découvre que l’on n’est pas un garçon comme les autres ? Fuir vers la fantaisie, les paillettes, l’humour et le glamour au risque de se perdre. Après « The butcher boy » (1998) réalisé d’après le roman de l’écrivain irlandais Patrick McCabe, Michael Jordan décide d’adapter à l’écran une autre de ses œuvres intitulée « Breakfast on Pluto » (( Patrick MCCABE, « Breakfast on Pluto », Paris, Asphalte, traduction de Audrey Coussy, 2011 )). Jordan écrit le scénario avec MacCabe et souhaite « faire un film dans la veine du « Candide » de Voltaire ; Un jeune homme innocent qui traverse la vie, persuadé que tout finira par s’arranger alors que ses diverses expériences devraient le convaincre du contraire. Tout au long de sa vie, il s’accroche à cette conviction qui est absurde. Pour moi, j’ai vu ce que l’histoire pouvait devenir, parce qu’elle était liée à beaucoup d’aspects de ma vie dans l’Irlande des années 70. C’est quelque chose de très spécifique (…) le sentiment de ne pas être à sa place, les actes d’intolérance, la tension politique et la violence qui sous-tend tout cela » (( Dossier de presse du film disponible sur : http://filmographie.fondation-jeromeseydoux-pathe.com/29552-breakfast-on-pluto )). Pour Cillian Murphy qui interprète le rôle de Patrick « Kitten » Brady, son personnage ne cherche pas à cacher qui il est : « C’est un travesti optimiste, pur, qui n’a pas une once de méchanceté. (…) C’est un genre de mécanisme de défense contre l’univers dans lequel il vit, contre la brutalité, la violence et les préjugés. Sa seule façon de tenir le coup et de survivre, c’est d’être elle-même… » (( Interview de Cillian Murphy dans les bonus du dvd )). Le film n’a pas été bien reçu en France. Le regard que Jordan et McCabe pose sur le travestissement ne correspondait sans doute pas a ce qu’en attendait cette partie de l’Europe. D’après Mathias Lebargy « Breakfast on Pluto » est : « un film sur l’Irlande, où le travestissement, sous des formes diverses, est omniprésent. » Il y voit « une personnalisation de l’Irlande, abusée par l’Eglise, tentée par la culture anglo-saxonne, emprisonnée dans une situation politique désastreuse, et coupable de ses envies de liberté. Le film offre à son protagoniste la chance de voir sa mère et de retrouver son père. Dans le roman, la mère reste aussi mystérieuse que le père absent. Patrick reste seul, à feuilleter des magazines de mode et à rêver d’une famille » (( Mathias Lebargy est universitaire et spécialiste de littérature Anglaise et Irlandais. Il a écrit sur Mac Cabe et l’adaptation de ses romans au cinéma )).

Documents
La manière dont Neil Jordan et McCabe abordent le travestisme ne satisfait ni les homosexuels, ni les queers, ni les transsexuel qui trouvent le film sympathique, mais complaisant et trop éloigné de la réalité de ce qu’ils vivent. Les deux auteurs ont pris quelques libertés et l’identité « magnifiée » de Patrick « Kitten » Brady emprunte autant au travestisme qu’au transsexualisme.
Un psychanalyste américain, Robert Stoller, a écrit à partir des années soixante sur le transsexualisme et le transvestisme. Pour Stoller, le travesti « ne désire pas être une femme biologique, à ses yeux c’est un état inférieur que consciemment (…) il peut dépasser. On ne peut être travesti sans connaître, aimer et exalter l’importance de son phallus (( Stoller utilise de manière indifférenciée le mot pénis et phallus, alors que pour les psychanalyste lacanien, le phallus est un signifiant qui signifie différemment selon qu’on l’a où qu’on l’est. C’est le signifiant (cause du) désir et à ce titre n’a qu’un rapport symbolique avec le pénis. )). Pour le transsexuel, la situation est inverse. L’insigne de son état provoque son désespoir. Il ne souhaite pas être une « femme » phallique. Il souhaite être une femme biologiquement normale. Tous ses actes visent à corriger ce qu’il ressent comme une erreur génétique qui a tragiquement pris au piège un psychisme femelle dans un corps mâle. » (( Robert STOLLER, Recherches sur l’identité sexuelle, (1968), Paris, Gallimard, Coll. Connaissance de l’inconscient, 1978, p. 222 )). Moustapha Safouan a écrit dans le années soixante-dix un article sur le travestissement dans lequel il reprend et réinterprète les travaux de Stoller : « Le travesti impose au réel la forme de son fantasme, et à ce titre imaginarise le réel, d’où le « jeu » de ses manèges, le transsexualiste, lui, réalise l’imaginaire, comme l’atteste la demande. Le premier légifère au gré de son désir ou de ce que ce désir entraîne comme angoisse de castration, et au mépris de la classification commune. Le transsexuel lui, accepte apparemment cette dernière, mais conteste la place qu’elle lui assigne. » (( Moustapha SAFOUAN, “Psychanalyse du transsexualisme”, dans Etude sur L’Œdipe, Gallimard, Coll. Le champ freudien, 1974, p. 76 et 77 )). Les conceptions de Stoller et de Safouan sont distinctes. Celle de Stoller s’inscrit dans la visée pragmatique et normative de la psychanalyse américaine, tandis que celle de Safouan est lacanienne et structurale et s’appuie sur le constat du refus de la castration. (( La castration pour Freud est ce moment particulier et refoulé ou l’enfant découvre la différence des sexes en fonction de la présence ou de l’absence de pénis chez lui, sa mère, son père et les autres a une importance capital pour l’organisation ultérieure de sa vie sexuelle et psychique )) Pour Safouan et les lacaniens, la castration est un modèle universel et une structure qui permet au désir des deux genres de s’organiser et de prendre corps dans une opposition distinctive.
Dès lors, où situer et que faire de ceux qui dès le plus jeune âge s’assimile à ceux qui, à la naissance ont un organe sexuel impossible à définir comme femelle ou mâle (intersexués), et qui revendiquent l’appartenance à un autre sexe que celui auquel on les a assigné (transexuels) ou de ceux qui, bien qu’étant des garçons, se revendiquent comme une femme phallique, c’est à dire une femme avec un pénis qu’il exhibent et dont ils sont fiers (travestis) ? Sont-ils simplement des personnes qui pratiquent une sexualité différente? Sont-ils déviants ou psychotiques ? Autrement dit comment comprendre et entendre la demande d’intervention chirurgical qu’ils adressent aux médecins dans le but de changer de sexe? Stoller considère que les transexuels ne sont pas psychotiques et font partie d’une catégorie intermédiaire. Il pose la question : A-t-on le droit de comparer un transsexuel a celui qui se prend pour un roi et qui a qui on refuse l’accès à un trône ? « Les deux cas ne sont pas identiques. Les psychotiques qui veulent un trône ne deviennent pas moins perturbés parce qu’il deviennent roi, mais la plupart des transsexuels sont moins déprimés et moins anxieux, plus sociables, plus tendres, etc. après le « changement ». De plus, très peu de transsexuels sont cliniquement psychotiques. (J’en ai entendu parler, mais je n’en ai jamais rencontré qui fût psychotique, bien que j’ai vu un ou deux cas limites). Leur « délire » se place dans un contexte d’épreuve de réalité intactes » (( Robert STOLLER, Recherches sur l’identité sexuelle, (1968), Paris, Gallimard, Coll. Connaissance de l’inconscient, 1978, p. 287 )). Pour Safouan, le rejet de la masculinité est psychotique. « Il s’agit d’une psychose sans délire apparent. La castration est forclose, non symbolisée et elle apparaît dans le réel, cela signe, pour lui, la présence du délire et de la psychose. » ((Agnès FAURE-OPPENHEIMER, Le choix du sexe, A propos des théories de R. Stoller, PUF, Coll. Voix nouvelles en psychanalyse, 1980, p 95 )).
Les militants transsexuels et les théoriciens « queer » refusent ces catégorisations psychologiques, qu’ils jugent discriminantes et destinées à remettre de l’ordre dans le sexe, il s’agit de rendre conforme les pratiques sexuelles différentes en rupture avec l’ordre hétérosexuel. Pascale Molinier, critique l’usage que Stoller fait du concept de « genre » et affirme dans l’introduction de la nouvelle édition de « Cinq sexes » d‘Anne Fausto Sterling : « Comme on peut le constater, le genre en psychologie n’est pas seulement un concept descriptif, il a été surtout opératoire en tant que concept normatif, outil pour la disciplinarisation des corps et des psychés, puisque cet écart ou cette distinction, une fois dûment repérés, doivent être réduites par tous les moyens possibles de la chimie des hormones, de la chimie, et/ou de la psychothérapie. En d’autres termes, une fois que les psychologues ont eu dit que le « genre et le sexe pouvaient suivre des voies différentes », ils se sont empressés d’ajouter que ce qui était possible n’était toutefois pas souhaitable.
On ne pourrait pas être à la fois un homme et une femme et l’on ne pourrait pas imaginer d’autres configurations ou possibilités que le « il » ou le « elle », sans créer un vent de panique et une angoisse majeurs chez les parents de l’enfant nés intersexe. Bref, on ne pourrait prendre soin convenablement et veiller au bon développement d’un enfant que si ce dernier est clairement identifié fille ou garçon. (…) Toute altération initiale ou transformation secondaire de l’identité de genre serait vécue comme un séisme identitaire où le sujet risquerait d’être annihilé. Autrement dit, les individus ne pourrait tenir la cohérence de leur moi (leur identité) que d’une assignation franche et définitive à un seul genre ». (( Pascale MOLINIER, introduction de« Les cinq sexes » de Anne FAUSTO-STERLING, Payot, 1993, p. 24 et 25 ))
Elle ajoute : « La situation des intersexes joue comme une loupe grossissante pour mettre en lumière la normativité des psychologues et le rôle de gardiens de l’ordre patriarcal qu’un certain nombre d’entre eux ont joué et jouent encore aujourd’hui. “ (( Pascale MOLINIER, introduction du livre : « Les cinq sexes » de Anne FAUSTO-STERLING, Payot, 1993, p. 24 et 25 p. 32 )).
Dans la somme documentée publié sur la question transsexuelle, Pierre-Henri Castel décrit de la manière suivante le paradoxe paradoxe clinique du transsexualisme : « Voilà une pathologie dont on n’arrive pas à savoir si elle en est une, parce qu’elle est auto-diagnostiquée, que sa thérapie par les hormones ou la chirurgie est auto-prescrite, et que le résultat final sera évidemment aussi auto-évalué. Le médecin, endocrinologue ou psychiatre, peu importe, est complétement instrumentalisé au service d’une demande sur laquelle il ne peut se faire d’idée objective. Il est, en tous les points où il s’efforce de pénétrer et d’évaluer les propos du transsexuel, rejeté à l’extérieur par la courbure d’un cercle argumentatif parfaitement clos. Peu de psychiatres apprécient… Mais c’est peut être, encore une fois, l’aveu que le transsexualisme n’est pas leur affaire… » (( PIERRE-HENRI CASTEL, « La métamorphose impensable, essai sur le transsexualisme et l’identité personnelle », Paris, Gallimard, 2003,, Page 48 )). Pierre-Henri Castel voit dans le transsexualisme et les questions nouvelles posées par l’identité personnelle, la naissance d’un nouveau paradigme qui redéfinit  » le noeud obscur qui attache ce corps à ce je « : « Ce que le transsexualisme à de funeste, (…) on le devine. Car même le parricide et l’inceste réclame une différenciation sexuelle préalable : l’opposition verticale entre les générations présuppose l’opposition horizontale entre les sexes, qu’elle reconduit à la génération suivante. Détruisant la possibilité de cette opposition encore plus fondamentale des sexes, le transsexualisme s’en prend au principe de l’humanisation comme tel. C’est la troisième figure anté-oedipienne si l’on peut dire « du mal absolu ». L’humanité serait par là renvoyée à une sorte de continu animal, où luirait comme des éclairs fugaces les volontés d’individus à qui ni une filiation, ni même un sexe ne garantissaient plus apriori leur individuation différenciante ; ils seraient donc contraints de se la forger eux-mêmes dans l‘angoisse et la peine que l’on imagine. Mais surtout, faute d’index du « mal absolu » lié à l’humanisation même (donc à ce qu’on se doit à soi-même comme aux autres au nom de la simple appartenance à l’humanité par la filiation et par l’alliance), il s’ensuivrait un radical absence de culpabilité, ou mieux de culpabilisation possible devant les actes les plus arbitraires de pareilles volontés. A l’horizon, il y a évidemment davantage que ce qui concerne le seul transsexualisme : Il y a pour l’humanité de se manipuler comme humanité, dans ses formes biologique par exemple. La question que pose les transsexuels excède largement, à cet égard, celui de leur statut médico-juridique. Ils sont à la pointe avancée d’un processus universel d’auto-manipulation non coupable de l’homme par l’homme. » (( PIERRE-HENRI CASTEL, « La métamorphose impensable, essai sur le transsexualisme et l’identité personnelle », Paris, Gallimard, 2003, Page 120 )).