A la folie pas du tout

Laetitia Colombani

Avec Audrey Tautou (Angélique), Samuel Le Bihan (Docteur Loïc le Garrec) , Isabelle Carré (Rachel, Mme Le Garrec), Clément Sibony (David, l’ami)

Couleurs - 2002 - DVD

Où trouver ce film ?

http://www.priceminister.com/mfp/207814/a-la-folie-pas-du-tout-laetitia-colombani-dvd#pid=100527719

L'intrigue

Angélique est étudiante aux beaux arts et vit une histoire d’amour romantique et passionnée avec Loïc, un cardiologue marié dont la femme est enceinte. Angélique fait tout pour que son amour grandisse et se réalise jusqu’à ce qu’on découvre que cette histoire n’existe que dans l’imagination de la jeune femme.

  • Sophie Guillemin (Héloise) et Audrey Tautou (Angélique)

  • Audrey Tautou (Angélique)

  • Samuel Le Bihan (Docteur Loïc le Garrec) et Audrey Tautou (Angélique)

  • Audrey Tautou (Angélique)

  • Audrey Tautou (Angélique)

  • Samuel Le Bihan (Docteur Loïc le Garrec)

  • Affiche: A la folie, pas du tout

  • Laetitia Colombani

  • Laetitia Colombani

Comment aborder le phénomène de l’érotomanie ? (2)

Le premier long-métrage de Laetitia Colombani commence comme un film romantique. Il s’ouvre sur le récit d’une histoire d’amour à l’eau de rose. Cette première partie du récit correspond au point de vue d’Angélique. C’est Audrey Tautou qui prête son visage d’ange à cette amoureuse folle, ou plutôt, cette adepte de l’amour fou. Assez rapidement les choses se corsent. Le film se rembobine et recommence au début et Colombani raconte la même histoire, mais vu du côté de Loïc, l’objet d’amour et « l’homme de bien » déniché par Angélique. Ce que nous avions cru être un paradis romantique peuplé de rose et d’amour, se révèle être l’enfer solitaire et glacé de l’érotomane.
Colombani montre parfaitement l’absence nécessaire de l’objet d’amour de l’érotomane. Angélique se croit aimée, sans aucun doute, elle en a même la certitude. Aime-t-elle? Rien n’est moins sûr, tant l’objet de son amour ne prend forme que sur fond d’absence. Angélique prend bien garde de ne pas se déclarer. Loïc ne sait pas qui l’aime même s’il éprouve les effets dévastateurs de cet amour fou.
Le dvd contient en bonus, un court métrage de Laetitia Colombani intitulé « Le dernier bip » qui narre les mésaventures d’une psychiatre avec un patient très spécial, une aventure tout à fait angoissante, et tragique.

Documents

Cet article (un peu ardu) complète celui qui figure à la suite du commentaire sur « Anna M. », le film de Spinosa.
François Perrier aborde le phénomène de l’érotomanie dans un article écrit en avril 1966 et publié en 1967 dans un ouvrage collectif intitulé « Le désir et la perversion ». (( Après sa rupture avec Lacan, François Perrier sera l’un des fondateurs d’une société de psychanalyse : « Le quatrième groupe » )).
Perrier s’interroge sur l’érotomanie, cette relation amoureuse particulière dans laquelle l’objet d’amour est idéalisé et absent et ou le lien social disparaît au profit de la vie fantasmée du sujet. Il commence par commenter l’histoire particulière des érotomanes, ce que l’on appelle l’anamnèse :
« Le statut narcissique de la femme pré-érotomane est sûrement précaire. Les anamnèses en font foi : raté de la situation oedipienne (ou faite pour l’être) ; pères incestueux ou démissionnaires, mauvaises mères asservies, abêties ou fornicatrice. En déduire que quelque chose dans la structuration du corps, comme premier terrain d’action de la machine signifiante, a laissé à désirer quant à l’aptitude à la fille au désir, n’est pas hypothèse audacieuse, la clinique en donne confirmation. » (( PERRIER François, « L’érotomanie », dans Le désir et la perversion, ouvrage collectif, Paris, Seuil, Col Points essais, page 138 )) Il s’agit pour Perrier de quelque chose qui n’a pas fonctionné « de la structuration du corps » de l’érotomane dans le rapport avec le père et la mère et de son rapport au désir. Il poursuit :
« Tout se passe comme si devait manquer chez l’érotomane ce qui dans le corps, comme petite chose séparable ou pas, comme objet virtuel, réel, perdu ou invisible, peut être lieu de symbolisation de l’objet partiel, comme support de la signifiance du désir. Alors qu’il ne lui manque pas l’intuition de la permanence d’elle-même comme sujet. En d’autre terme, sont-ce des femmes qui n’en sont pas passées par la phase phallique, comme commune généralement aux garçons et aux filles ? » (( PERRIER François, « L’érotomanie », dans Le désir est la perversion, ouvrage collectif, Paris, Seuil, Col Points essais, page 138 et 139 )) Perrier fait référence à la « phase phallique » ou « stade phallique » qui correspond à la phase oedipienne de l’enfant (3 a 7 ans) et que Freud défini comme identique pour les deux sexes. Pour Freud, « La sexualité des petites filles a un caractère entièrement masculin. Bien plus, si l’on était capable de donner un contenu plus précis aux concepts de « masculin et féminin », il serait possible de soutenir que la libido est, de façon régulière et conforme à des lois de nature masculine, qu’elle se manifeste chez l’homme ou chez la femme, et abstraction faite de son objet, que celui-ci soit l’homme ou bien la femme. » (( FREUD Sigmund, « Métamorphoses de la puberté », dans Trois essais sur la théorie sexuelle, 1905, Paris, Gallimard, Col. Connaissance de l’inconscient, 1987, page 161. Et pour être plus précis, dans une note ajoutée en 1915, Freud définit les notions « les plus confuses » de masculin et féminin au sens d’activité et de passivité, puis au sens biologique et au sens sociologique. Il conclut : « Chaque individu présente bien plutôt un mélange de ses propres caractères sexuels biologiques et de traits biologiques de l’autre sexe et un amalgame d’activité et de passivité, que ces traits de caractère psychiques dépendent des caractères biologique ou qu’ils soient indépendants. » Dans cette note de 1915, Freud amende son texte de 1905, sans renoncer sur le principe )). Mais si cette phase phallique « est identique pour les deux sexes », comment ça se passe pour la fille ? Laplanche et Pontalis nous donne une réponse : « Il existe une organisation phallique chez la fille, la constatation de la différence des sexes suscite une envie du pénis ; celle-ci entraîne, du point de vue de la relation avec les parents, un ressentiment envers la mère, qui n’a pas donné le pénis, et le choix du père comme objet d’amour, en tant qu’il peut donner le pénis ou son équivalent symbolique, l’enfant. L’évolution de la fille n’est donc pas symétrique à celle du garçon (il n’y a pas pour Freud de connaissance du vagin par la petite fille) ; elles sont également centrées l’une et l’autre sur l’organe phallique » (( LAPLANCHE Jean et PONTALIS Jean-Bertrand, article sur « le stade phallique », dans le Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, Col Quadrige, 1967, page 460 )). On imagine aisément le tollé que suscite ce point contreversé de la théorie psychanalytique. Cette vision « phallocentrée » de la constitution de l’identité sexuelle de la femme a été vivement contestée tant à l’intérieur du mouvement psychanalytique qu’a l’extérieur… Poursuivons : D’après Perrier, « La mère de l’érotomane a donné à sa fille (la) version hideuse, perverse et débile de ce qui en elle a participé génitalement aux besoins sexuels de son mâle sans prestige. La rupture s’est faite précocement et radicalement entre fille et mère, pour rendre impossible toute structuration hystérique du désir féminin : nous entendons par là cette triangulation qui implique indentification narcissique à l’homme pour accès, par son intermédiaire, à l’interrogation et au culte du moi idéal homosexué. Le mythe de la féminité, pour la langue d’amour de l’érotomane, ne sert pas à fonder ou à sonder l’énigme du moi idéal, mais à s’en passer. Tout ici est mis en œuvre pour une méconnaissance systématique de l’autre femme comme modèle ou rivale. C’est comme castré de tout désir érotique pour cette autre femme que l’homme de bien advient comme éligible ». (( PERRIER François, « L’érotomanie », dans Le désir est la perversion, ouvrage collectif, Paris, Seuil, Col Points essais, pages 148 et 149 )). Perrier donne ensuite de précieuses indications pour la clinique de la psychose : « C’est pourquoi le « wo es war, soll Ich werden » (( Phrase de Freud traduit par Lacan : « Là où c’était, le « je » doit advenir » )) doit, pour le projet du thérapeute de psychose, se transformer en « wo Ich nicht war, soll Es werden ». (( « Là ou le « je » n’est pas, ça doit advenir ». )) On ne peut pas faire advenir un psychotique à son passé, mais lui faire assumer pour un autre advenir le fait que son « Ich » n’y a jamais eu de place possible. Le trauma du moment fécond n’est pas actualisation, il est l’actuel d’une naissance qui adviendra à ses conjectures , si un autre (le thérapeute) sait se présenter comme tel ». (( PERRIER François, « L’érotomanie », dans Le désir est la perversion, ouvrage collectif, Paris, Seuil, Col Points essais, pages 147 )).