Persona
Ingmar Bergman
Avec Bibi Andersson (Alma), Liv Ulmann (Elisabet Vogler)
L'intrigue
Une comédienne célèbre, Elisabet Vogler perd l’usage de la parole au milieu d’une représentation théâtrale. A l’hôpital où elle est soignée, son médecin la confie à Alma, une jeune infirmière et envoie les deux femmes se reposer dans sa maison à la campagne. Les symptômes persistent, Elisabet (la malade) reste mutique tandis qu’Alma (l’infirmière) parle et se confie à sa patiente. La « cure de repos » prend une forme de plus en plus originale et instable.
Photos et vidéos extraites du film
Une thérapie à l’envers
Publié le par Pascal Laëthier
Dès ses premiers films, au début des années cinquante, Bergman devient un habitué des festivals de cinéma internationaux.1 Il est très attentif aux travaux des autres cinéastes. De sa Suède lointaine où il tourne un ou deux films par an, il ne cesse de varier les genres et d’expérimenter des formes nouvelles. Dans les années 60 le cinéma européen est en pleine mutation. Antonioni, Fellini, Resnais, Losey font un cinéma qu’ils veulent différents et inventent d’autres manières de raconter des histoires. Bergman s’y essaie à plusieurs reprises, mais sans convaincre vraiment : « A travers le miroir » (1961), « Les communiants » (1963), « Le silence » (1963), « Toutes les femmes « (1964) sont des films intéressants, mais encore trop prisonniers de « l’ancienne manière ». Avec Persona Bergman réussit la mutation qu’il bégaie depuis quelques films et s’avance dans une zone jusque-là inexplorée de son cinéma.2 Il entre de plain-pied dans son époque et réalise un film moderne, provocant, destiné à un public jeune. Il opte pour un récit éclaté et donne l’impression que le cinéma est devenu un mode d’expression autonome qui ne doit rien à la littérature et au théâtre. « Persona » surprend par son audace et son inventivité. Avec son opérateur, Sven Nykvist, il est passé maître dans l’art de créer une ambiance en studio avec deux feuilles de décor et un morceau de tissu. Bergman intègre à son film, des plans de reportage, des photos d’archives, des plans documentaires, qu’il mélange à des scènes de fiction, sans autre préoccupation que celle de l’effet produit et son impact sur le spectateur.3 Il expérimente différents procédés de mise en scène : monologue intérieur face à la caméra, fausse interviews, récit de souvenir érotique, répétition du même dialogue filmé de deux points de vue différents et se libère du formalisme austère de ses films précédents. Il n’encombre plus son film avec des comédiens masculins et des réflexions philosophiques sur la mort de Dieu et le vide de l’existence. Il filme ce qui lui importe, deux femmes parlant crûment de leur désir, de sexe et d’avortements dans un face à face introspectif. Le monde entier découvre stupéfait que l’on peut faire un film avec des femmes qui parlent sans tabou et c’est un homme qui, pour la première fois, fait entendre cette parole inouïe au cinéma.
Bergman a choisi le titre de son film en référence au concept jungien de « persona », nom donné au « moi collectif » ou de « moi social » cher à Jung, qui s’oppose à la réalisation du « soi ».4 Bergman n’ignore pas les concepts de transfert et d’identification qu’il manipule, mais il s’est peu expliqué sur les rapports entre la psychanalyse et son cinéma.5 « Persona » est le récit d’un travail psychothérapeutique original, puisque c’est l’inverse du dispositif habituel de la cure analytique, c’est la patiente qui écoute et la « soignante » qui parle. De ce point de vue, Persona peut être vu comme le récit d’une analyse sauvage qui dérape.
Documents
Interview de Liv Ullman supplément au dvd de « Persona », collection les films de ma vie.
Liv Ullman : « En 1965, Ingmar Bergman se préparait à faire un film, mais juste avant le tournage, tout fut annulé parce qu’il était tombé malade. Il fut hospitalisé. Je devais avoir un tout petit rôle dans ce film. Bibi Andersson, l’actrice principale et moi-même, nous sommes parties en pleurant en Tchécoslovaquie et en Pologne. Elle jouait aussi dans un film qui venait d’être annulé. On voulait voir du pays et oublier Ingmar Bergman et le film et à notre arrivée en Tchécoslovaquie, l’ambassade nous a gardées. Ils avaient reçu un télégramme d’Ingmar Bergman. A l’hôpital, il regardait les journaux et il avait vu deux photos de Bibi et de moi et il avait été stupéfait par l’étrange lumière sur nos visages. Pendant qu’il était à l’hôpital, en deux semaines, il écrivit le scénario de Persona inspiré directement de ces deux photos et le télégramme disait : « Rentrez immédiatement, le film se fera quoiqu’il arrive ». Il quitta son lit d’hôpital… (…) Nous sommes partis à Faro (une île) au milieu de la mer Baltique. Là-bas on a lu le scénario, le découpage était fait et on a tourné le film. On se disait : « Quel film étrange, mais on s’amuse bien. Personne n’ira voir ce film, mais pour nous, il restera toujours notre plus belle expérience cinématographique ». Puis, Persona est sorti et ce fut un pas de géant dans un genre complètement nouveau. A cette époque, personne n’avait fait de film qui ressemblait à ça ».
- Bergman obtient l’oscar du meilleur scénario en 1960 avec « Les Fraises sauvages » et il est récompensé au festival de Canne en 1957 avec « Le septième sceau » et en 1958 avec « Au seuil de la vie ». [↩]
- Dans le bonus du dvd de l’édition française de « Persona »,, Editions Opening, collection les films de ma vie, une brève interview de Liv UIllman raconte la genèse du film. [↩]
- L’audace de Bergman n’est pas exempte de roublardise. Il n’hésite pas à se servir les images spectaculaires du bonze en feu et de la célèbre photo du jeune garçon dans le ghetto de Varsovie. [↩]
- JUNG Carl Gustav, Dialectique du moi et de l’inconscient, Editions Folio, Coll Essais. [↩]
- Quelques années avant Persona, Bergman a réalisé « Le visage » (1958), un film sur les rapports entre l’occultisme, l’hypnose et la science. [↩]