Stella

Sylvie Verheyde

Avec Léora Barbara (Stella), Melissa Rodrigues (Gladys), (Benjamin Biolay , Karole Rocher (La mère), Guillaume Depardieu (Le copain)

Couleurs - 2008 - DVD

L'intrigue

Stella, une jeune fille de milieu modeste, ses parents sont propriétaires d’un café, se retrouve, par les hasards de la carte scolaire affectée en sixième dans un lycée « de riches ». Seule au milieu de gens différents, elle essaie avec difficulté de s’adapter. Stella se lie d’amitié avec Gladys, une jeune émigrée Argentine qui lui fait partager et découvrir ses passions et le monde de la culture, une porte s’ouvre.

  • Melissa Rodrigues (Gladys) et Léora Barbara (Stella)

  • Léora Barbara (Stella)

  • (Benjamin Biolay (Le père)

  • Karole Rocher (La mère), et (Benjamin Biolay (Le père)

  • Melissa Rodrigues (Gladys) et Léora Barbara (Stella)

  • Sylvie Verheyde

  • Stella, jacquette du DVD

  • Stella affiche du film

S’ouvrir au monde : un plaidoyer pour l’école laïque

Le film de Sylvie Verheyde, construit à partir de souvenirs d’enfance, fait le récit de son entrée en sixième dans un lycée du 13ème arrondissement de Paris. Verheyde raconte son film à la première personne et décrit avec une particulière acuité l’évolution des différentes étapes de cette aventure qui a changé sa vie. En raison des aléas du découpage de la carte scolaire, elle qui habite un quartier populaire du fin fond du 13ème (le quartier de la gare aujourd’hui disparu) est « affectée » à une école de « bourgeois » de son arrondissement. Les adultes qui l’entourent lui disent que c’est sa chance, ce qui, dans un premier temps ne veut rien dire pour elle, puisque son univers se résume au milieu familial et professionnel de ses parents : « Chez moi c’est un café, c’est pour ça que j’ai plein de copains, ça fait hôtel aussi, 10 chambres, les mecs ils paient au mois, des clodos, alcoolos… La pluparts ils viennent de l’assistance. Les clients c’est presque que des habitués, ils laissent presque tous leur paie au café, ils meurent vite, la cirrhose et autre. Ca fait un roulement, doucement. »
A cause de l’école, Stella quitte sa mère, son père, le bar et ses habitués pour affronter l’inconnu. Sa première impression est mitigée, elle se retrouve en milieu hostile, elle n’a pas les codes du monde qu’elle découvre. Sa première réaction est la crainte, elle se défend et agresse quand on la menace ou qu’on s’approche. C’est Gladys, sa future amie, qui doucement et comme on s’approche d’un animal perdu, vient lui dire « bonjour » et lui parle. La scène d’approche et de premier contact entre Gladys et Stella sur le quai du métro est particulièrement bien observée par Verheyde. Qu’est-ce qui motive Gladys à ce moment là ? Son intérêt pour Stella n’est sans doute pas sans rapport avec la situation de ses parents, qui sont émigrés juifs et Argentins. Grâce à l’admiration qu’elle porte à Gladys, Stella ne se sent pas trop atteinte et blessée par cette différence. Gladys lui fait découvrir autre chose, un autre univers, un regard sur le monde différent, qui cesse d’être indifférent ou hostile et qui devient exotique et digne d’intérêt. Stella devient curieuse.
A l’école, ça ne se passe pas bien. Stella parvient à peine à donner le change, mais ça n’est pas suffisant et ses résultats scolaires sont désastreux. Stella est absente au monde de l’école et ne comprend pas ce qu’on lui demande. C’est alors qu’elle rencontre sa prof d’histoire, une femme belle et souriante qu’elle regarde soudain différemment. Elle se met à entendre les sons qui sortent de sa bouche, ce qu’elle n’avait jamais fait auparavant et découvre que ces paroles lui sont adressées. « La prof d’histoire, je l’aime bien. Je la trouve belle et je ne sais pas comment c’est venu. J’ai fini par écouter ce qu’elle raconte. C’est pas chiant quand on écoute. C’est un peu la vie des gens. Ca m’intéresse… » Moment magique, admirablement mis en scène par Verheyde où les objets du monde sortent de l’indistinction, de l’indifférenciation du réel1 pour accéder au sens.
Le monde n‘est pas donné, contrairement aux apparences, il faut d’abord qu’il « monte sur scène » affirme Lacan, pour qu’il soit ensuite « reconnu ». C’est par amour et grâce à ce que l’on appelle les « identifications » que les objets du monde sortent de l’informe du réel pour devenir des objets de désir et c’est par le transfert que cette opération s’opère comme le montre le film de Verheyde, moment magique où Stella entend sa professeur pour la première fois.2
Le pli est pris. Stella n’écoute pas seulement ses professeurs, elle les entend. Elle découvre la lecture et soudain les livres lui parlent. Elle se fait de nouveau amis : Cocteau, Balzac, Duras, etc. et rien ne sera plus comme avant. Elle accède à une autre perception du monde. Elle découvre le monde grâce au langage ou plus justement Stella prend place dans un monde de langage parce que « c’est le monde des mots qui crée le monde des choses » et non l’inverse. Les mots ne créent pas seulement la réalité, ils sont le seul mode d’accès à cette réalité.
Signalons le travail remarquable de l’opérateur, Nicolas Gaurin et de Christel Dewynter, la monteuse du film de Verheyde.

  1. Le « réel » en psychanalyse n’est pas la « réalité », ni le « réel » des sociologues. Il a plusieurs sens, mais ici, il signifie le monde avant qu’il ne soit pris dans les filets du langage. []
  2. L’inscription première, l’élection de ce premier objet est un moment mythique et énigmatique. C’est par son intérmédiaire que nous accédons au monde. Ceci implique que le monde n’est aucunement donné, il faut « le signifiant » qui permette son accès et c’est l’expérience que fait Stella. C’est en ce sens qu’être humain n’a rien de naturel, la nature de l’homme, c’est la culture. []