Ma nouvelle amie

François Ozon

Avec Romain Duris (David/Virginia), Anaïs Demoustier (Claire), Raphaël Personnaz (Gilles), Isild Le Besco (Laura)

Couleurs - 2014

L'intrigue

A la suite du décès de Laura, Claire, sa meilleure amie se rapproche de David, son mari et découvre qu’il se travestit. Claire l’accompagne dans la recherche de son identité.

  • Isild Le Besco (Laura) et Anaïs Demoustier (Claire),

  • Anaïs Demoustier (Claire)

  • Romain Duris (David/Virginia)

  • Romain Duris (David/Virginia)

  • Anaïs Demoustier (Claire) et Romain Duris (David/Virginia)

  • Anaïs Demoustier (Claire)

  • Romain Duris (David/Virginia)

  • François Ozon et Anaïs Demoustier (Claire)

  • François Ozon

  • François Ozon

Transsexualisme, la métamorphose impensable

« La métamorphose impensable » est le titre de l’ouvrage de Pierre Henri Castel sur le transsexualisme (( PIERRE HENRI CASTEL, « La métamorphose impensable, essai sur le transsexualisme et l’identité personnelle », Paris, Gallimard, 2003 )).
Une nouvelle fois Ozon nous propose un petit chef d’œuvre de cinéma. Comme à son habitude, il ne transige pas avec son sujet et va droit au but. Peu importe que le spectateur ait « aimé » ou qu’il ne soit pas « rentré dedans », Ozon ne cherche pas à plaire, il ne propose pas un produit de consommation culturel comme les autres. Il est rare de voir au cinéma une oeuvre aussi explosive, dérangeante et subversive. Aussi, ne boudons pas notre plaisir… Fût-il amer.
Sans doute aussi se devait-il de corriger l’impression laissée par son film précédent, « Jeune et jolie » qui faisait l’apologie de la différence des sexes et de sa transgression. « Ma nouvelle amie » est plus conforme à « l’esprit du temps » et à l’idée que les « trans » veulent faire passer de leur question.
Le film fait songer à certains films d’Hitchcock. Ozon, comme Hitchcock, s’affranchit d’emblée de la question de la réalité. Dès les premières images, il dessine un décor volontairement artificiel, celui idéalisé de la classe moyenne occidentale, un monde où les résidences sont secondaires, les bureaux en open-space, les voitures sympas et colorées et où la vie consiste à faire du shoping, du jogging et à se rendre au restaurant ou à jouer au tennis. Cette convention narrative permet de concentrer l’attention sur le sujet du film ; la difficile quête de Claire et David pour s’affranchir des codes et des habitudes de leur milieu et de leur éducation afin de reconnaître et d’accepter leur identité sexuée différente et singulière. C’est un long chemin semé d’embuches, de fausses pistes et d’impasses qui n’est parcouru que grâce à l’obstination et la persévérance des deux personnages.

Ozon expose dans toute sa crudité et sa force, la déroutante banalité de la réponse apportée par les transsexuelles à la question de l’identité sexuée : Qu’est-ce qu’être une femme ? Alors que pour la plupart de celles qui sont nées « femelles », devenir une femme n’a rien d’une évidence, pour David, l’héroïne transsexuelle du film, qui est née « mâle », c’est étrangement simple. Elle sait… Elle sait d’autant mieux que c’est son choix. Pour David, être une femme c’est montrer dans un geste transgressif et jouissif qu’on en a l’apparence. C’est se rendre dans une galerie marchande avec une perruque, du rouge aux lèvres, vêtue d’une robe pour choisir des vêtements, un sac à main et des parfums. David n’existe que dans cette laborieuse et jouissive transgression de la monstration de son appartenance au sexe opposée. Son geste à la fois existentiel, parodique et un peu dérisoire, se vit comme un énoncé et porte en lui même sa justification. Ce qui trouble avant tout dans la mutation transsexuelle, c’est qu’elle ne suscite pas d’interrogation de la part de son auteur. Elle est sa propre fin et n’appelle pas de développement. On cherche en vain un sens, une profondeur, un message, un symbole, un discours. L’acte d’auto-engendrement transgressif de l’identité sexuelle se suffit à lui-même. Chez David et Claire, comme chez la plupart des trans, le problème de l’identité sexuée occupe tout l’espace. Le monde disparaît derrière cette question devenue vitale et tend à ne concerner que la communauté des semblables. Les autres, ceux qui sont différents, s’évanouissent dans le décor ou deviennent une menace : La fille de David, le mari de Claire, les parents de Laura sont au mieux inexistants, au pire importuns. On peut s’interroger sur le fait que ce geste transgressif et identitaire prenne une telle importance et qu’il aille, chez bon nombre de transsexuelles, jusqu’à la nécessité de la mutilation du corps.

A la lecture des ouvrages de psy concernant la question, on doit reconnaître que le transsexualisme pose problème aux psys. Ils semblent gagnés par les symptômes du phénomène qu’ils décrivent. Ils sont en panne et ne parviennent pas à mettre des mots sur ce qui se passe dans cette mutation transsexuelle. Henri Delay parle de « délire partiel » (( PIERRE HENRI CASTEL, « La métamorphose impensable, essai sur le transsexualisme et l’identité personnelle », Paris, Gallimard, 2003, page 34 )), André Green « d’état boderline », Chiland de « psychose, blanche ou froide ou enkystée, encapsuler » (( COLETTE CHILAND, « Changer de sexe », chez Odile Jacob, 2011, Page 218 )). Seul Lacan déplace la question sur un autre terrain : « Le drame du transsexuel », dit-il, « c’est qu’il confond l’organe avec le signifiant ». La plupart des psys en conviennent, les transsexuels ne sont pas fous, pourtant, pour beaucoup, le transsexualisme reste une idée folle (( COLETTE CHILAND, « Changer de sexe », chez Odile Jacob, 2011, Page 24 )).
Ce qu’il y a de troublant dans le transsexualisme, c’est l’engouement que connaît ce phénomène apparu aux Etats-Unis à la fin des années cinquante et qui s’est répandu sur la planète en même temps qu’un certain mode de vie américain, mais c’est aussi le fait que dans bon nombre de sociétés occidentales, le combat des transsexuels pour le libre choix de leur sexe se confond avec l’avant-garde du mouvement de défense des libertés individuelles.

Documents

Pierre-Henri Castel dans l’ouvrage qu’il a consacré au transsexualisme s’interroge sur la norme, le droit et la question transsexuelle : « L’entrée fracassante du transsexualisme sur la scène juridique a plusieurs vertus. Elle guérit tout d’abord de l’illusion qu’un phénomène marginal peut être renvoyé à sa marginalité sans qu’on s’intéresse à la normativité qu’elle inquiète. Indépendamment de la question de savoir si les militants transsexuels qui réclament leur « droit » ont raison ou tort, il est patent qu’ils ne sont, de toute manière, que l’avant-garde spectaculaire des bénéficiaires ou des victimes de décisions bioéthiques qui vont désormais s’accumuler. (Je pense a tout ce qui concerne la manipulation biologico-technique du corps humain). (…) Mais ce n’est pas tout. Par l’acte même de se présenter devant les tribunaux (et de leur propre chef : il ne s’agit plus aujourd’hui, comme dans les années soixante, d’obtenir des magistrats la permission d’opérer) les transsexuels font un pas décisif : ils démédicalisent leur condition. C’est un acte d’autonomie qui a son principe dans leur condition même, telle du moins qu’ils l’envisagent. Et cet acte est tel qu’il n’admettent pas plus la question préalable du psychiatre (sont-ils sains d’esprit) que la réserve finale imposée par le juge (sont-ils vraiment de l’autre sexe ?)
Quand on parle de « privacy » ou de « self-ownership », on retire ainsi au magistrat le pouvoir de concéder un droit ; il n’a plus qu’à le reconnaître. « Changer de sexe » devient une liberté aussi primitive que le droit d’aller et de venir
Mais quelle est la structure de cette auto-production de soi par soi, dont, pour quelques transsexuels, le remodelage du corps et la conquête d’un nouveau statut civil ne sont que des manifestations exemplaires ? Je crois qu’il ne s’agit plus ici, du droit de « changer de sexe », et il ne s’agit même plus d’entériner la métamorphose comme un droit de l’homme. Il s’agit du fait primordial que l’identité, y compris sexuelle, est le produit d’une « fabrique de soi » agissante en chacun – et s’il y a des décisions juridiques en aval, elles reposent sur cette assomption »  (( PIERRE-HENRI CASTEL, « La métamorphose impensable, essai sur le transsexualisme et l’identité personnelle », Paris, Gallimard, 2003, Pages 132 et 133 )) .

Lire l’interview de François Ozon dans le dossier de presse : http://www.faiencerie-theatre.com/pdf/cinema/dossiers_de_presse/Une_nouvelle_amie_dp.pdf