L’amour l’après-midi

Eric Rohmer

Avec Françoise Verley (Hélène), Zouzou (Chloé), Bernard Verley (Frédéric), Daniel Ceccaldi (Gérard)

Couleurs - 1972 - DVD

L'intrigue

Tous les matins Frédéric quitte sa femme et ses enfants pour rejoindre son bureau dans le quartier de Saint Augustin à côté de la gare Saint Lazare. Il dévisage les femmes dans la rue et fantasme sur de possibles rencontres. Frédéric rêve d’une vie moins réglée et plus aventureuse, jusqu’à ce que Chloé débarque dans son bureau. C’est l’ancienne petite amie d’un de ses anciens copains perdus de vue. Chloé revient d’un long séjour en Amérique du Sud, elle ne connaît plus personne et a besoin de Frédéric pour reprendre pied. Frédéric l’observe d’abord intrigué, puis intéressé…

  • Zouzou (Chloé) et Bernard Verley (Frédéric)

  • Zouzou (Chloé)

  • Bernard Verley (Frédéric) et Frençoise Verley (Hélène)

  • Bernard Verley (Frédéric) et Françoise Verley (Hélène)

  • Bernard Verley (Frédéric) et Zouzou (Chloé)

  • Zouzou (Chloé) et Bernard Verley (Frédéric)

  • Daniel Ceccaldi (Gerard) et Bernard Verley (Frédéric)

  • Eric Rohmer

  • L'amour l'après-midi (Affiche)

Un certain malaise...

L’amour l’après-midi à fait l’objet d’une projection cinepsy du mardi 4 octobre 2022 à l’Entrepôt et a été discuté par Maryan Benmansour.

La projection du film de Rohmer, L’amour l’après-midi suscite un certain malaise. Le talent et l’art de de Rohmer ne sont pas en cause et c’est bien la question morale du dernier des « contes moraux » qui rend le film « malaisant » comme on dit aujourd’hui. Disons le tout net les stéréotypes de personnages de femmes qui sont présentées rendent ce film impossible. Non pas qu’il faille débusquer le « mâle » partout où il se trouve, mais au moment où enfin le questionnement sur la place des femmes dans le jeu social et sexuel devient effectif dans nos vies, qu’il n’est plus un horizon lointain, une idée, une utopie, le film de Rohmer apparait profondément conservateur, voir réactionnaire au sens propre du mot ((Réactionnaire, définition du Larousse : qui se montre partisan d’un conservatisme étroit ou d’un retour vers un État social ou politique antérieur. Le mot réactionnaire n’est pas qu’une insulte, il définit un position critique précise. L’amour l’après-midi est réalisé en 1972 dans un moment de reflux de l’après 68, Pompidou est au pouvoir, le film est une critique voilée de la libéralisation des mœurs et il fait avec finesse et de manière spécieuse l’éloge de la fidélité conjugale.)).
Au moment de la sortie du film les critiques n’ont guère apprécié L’amour l’après-midi : dans Les lettres Françaises, revue dirigée par Louis Aragon pourtant favorable à la Nouvelle Vague, on écrit : ce cinéma de chambre est l’équivalent du boulevard et Jean-Louis Bory, dans un premier moment mouvement, écrit dans le Nouvel Observateur : Le conte moral se fait moralisateur et réactionnaire.
L’amour l’après-midi
fait partie d’une série de six films, celui des contes moraux : La boulangère de Monceau (1963), La carrière de Suzanne (1963), La collectionneuse (1966), Ma nuit chez Maud (1968), Le genou de Claire (1970) et enfin L’amour l’après-midi (1972). D’après Antoine de Baecque et Noel Herpe dans la biographie qu’ils ont consacré à Rohmer ((Antoine de Baecque et Noel Herpe, Rohmer biographie, Stock, 2014)) les trois derniers films cités font environ trois millions d’entrées et place Rohmer dans une position avantageuse par rapport à ses collègues et amis de la Nouvelle Vague et des Cahiers du cinéma : Truffaut est à la peine pour trouver des financements, Godard entame sa période maoïstes qui l’éloignera pendant quelques temps de Paris, Rivette fait des films longs qui ne font pas d’entrées et Chabrol réalise des films de commande pour continuer de tourner au rythme qui est le sien. La position de Rohmer semble donc tout à fait satisfaisante, mais le succès du dernier des contes moraux repose sur un malentendu et Rohmer ne s’en cache pas puisqu’il place l’équivoque jusque dans le titre de son film qui semble se présenter comme un plaidoyer pour liberté sexuelle alors qu’il fait en réalité l’apologie de la fidélité conjugale.
A la suite de L’amour l’après-midi et pendant une dizaine d’années Rohmer cessera de réaliser des « fictions contemporaines » pour se consacrer à l’enseignement, au théatre et à la mise en scène au cinéma de texte littéraire: La marquise d’O (1976) et Perceval le Gallois (1978), avant de revenir avec le succès que l’on sait dans les années quatre-ving aux « fictions modernes » avec entre autres, la série remarquable des « contes des quatre saisons » et celle des « comédies et proverbes ». Le cinéma de Rohmer devient alors moins « sentencieux » et moralisateur ou plus exactement propose au public, plus spécialement aux femmes, une image que l’on peut discuter, mais qui semble moins phallocentrée et dans laquelle elles peuvent se reconnaitre.
Faut-il pour autant balancer le film et le considérer comme le vestige d’un passé révolu, un reste du patriarcat ? On peut lire aujourd’hui Madame Bovary ou La cousine Bette comme des œuvres du passé, il est possible de replacer les situations et les personnages dans le contexte de l’époque sans que la description de ces femmes ne pose problème, sauf si le « male gaze » est devenu une obsession et sa critique la seule grille de lecture possible sur le monde.
Les films sont faits avec des images et des sons, qu’ils soient documentaires ou de fiction ils montrent et présentent quelque chose à notre regard. C’est en ce sens qu’ils sont la vérité, alors que les livres sont écrits avec des mots et représentent la réalité dans un monde de significations. Rohmer joue sur l’équivoque dans ses « contes moraux », il utilise les méthodes du documentaire pour rendre ses fictions et surtout ses thèses véridiques. En réalité il ne montre pas le monde, il le met en scène et porte un jugement sur lui, son regard est celui d’un moraliste qui construit des situations dans lesquelles les femmes sont assignées à des places qui déjà à l’époque étaient caricaturales.  
Le paradoxe, c’est que les femmes présentées dans L’amour l’après-midi, que ce soit les deux secrétaires (les deux personnages de femmes les plus assurées présentées dans ce film), Chloé (la pseudo maîtresse) ou Hélène (la femme de Frédéric) sont des personnages riches et complexes. Elles font preuve d’une inventivité et d’une créativité remarquables parfaitement observées par Rohmer qui les met en scène et les observe se conformer à leur rôle à la fois social et sexuel avec admiration et un certain respect. Le regard de Rohmer sur les femmes tranche avec celui qu’il porte sur Frédéric, le mari, qui est montré comme un bourgeois, suffisant et autocentré. Néanmoins Rohmer reconduit le schéma classique de l’adultère dans le couple bourgeois du 19ème, sans les clichés du théâtre de boulevard (quiproquo, disputes, portes qui claquent et amant dans le placard), alors que les stéréotypes de rôles de femmes conformés par l’imaginaire masculin sont bien présents : la mère de famille que Frédéric respecte et observe à distance et la femme libre et désitante à qui il parle, pour laquelle il a une attirance uniquement sexuelle et qu’il ne considère ni ne respecte.   
Pendant les rencontres de Conques organisées en 2022 autour du cinéma et de la psychanalyse sur le thème de la dialectique maitre/serviteur de Hegel, le philosophe et psychanalyste Maryan Benmansour a présenté les films Reprise du travail aux usines Wonder (1968) (( Le film Reprise du travail aux usines Wonder de Pierre Bonneau et Jacques Willemont (1968) est visible sur youtube : https://www.youtube.com/watch?v=ht1RkTMY0h4, on y voit une femme qui tente de faire entendre sa parole dans contexte où les hommes ont les pleins pouvoirs)) et le film du groupe Medvenkine intitulé A bientôt j’espère (1967) réalisé à l’usine Rodiaceta à Besançon par Chris Marker et Mario Marret : Maryan a présenté l’hypothèse féconde des féministes de la deuxième vague selon laquelle la voix des femmes et leurs discours se présentent comme une alternative au rapport maître/serviteur qui organise depuis toujours un monde d’hommes.
La position de la femme a changé dans le jeu social, cette affaire concerne principalement les sociétés occidentales où la femme a été pensées pendant des siècles par les hommes à partir de la mère, alors qu’aujourd’hui nous sommes dans un moment d’un renversement dialectique dans lequel les femmes peuvent être mère selon leurs souhaits et surtout sans les hommes. Ce sont les femmes qui prennent le pouvoir et c’est une nouvelle partie qui se joue…

Je vous propose l’extrait d’un texte de Jean Richard Freymann sur la femme libérée extrait de son livre : «L’amer amour».  
Derrière l’amour de la prostituée, se cache chez l’homme, de manière latente, quelque chose de beaucoup plus radical : l’amour du fantasme de la femme libérée et désirante. Là où Freud s’en va du côté de la transgression du social, nous, qui avons cent ans de recul par rapport à lui, pouvons dire la chose suivante : toute cette affaire avec d’un côté l’attirance vers la putain et de l’autre côté la question de l’amour ou du désamour de la femme légitime, tout cela tourne autour du fantasme fondamental chez l’homme qui est le fantasme de la femme libérée et désirante… qui l’inquiète au plus haut point, et qui est, nous dit Freud, une vraie catastrophe psychologique pour ce mâle. Pourquoi ? Parce que, nous dit-il, on ne saurait rêver d’une mère libérée. (…) Ce fantasme de la femme libérée et désirante, c’est justement l’envers radical d’une position de la mère œdipienne que vous auriez toute pour vous. C’est exactement ce que la mère n’est pas, en tous les cas, dans son positionnement de mère. C’est ce que l’on n’attend pas de la mère : il ne faut surtout pas qu’elle bouge, il faut qu’elle se réfère au minimum au père, surtout pas trop, sinon on va lui donner un coup de serpe au passage, qu’elle ne s’occupe pas trop des autres enfants, mais que son regard soit tout entier sur l’enfant merveilleux que je constitue.
L’amour du fantasme de la femme libérée, vous vous rendez compte de ce que c’est que ce fantasme ? On fantasme au niveau inconscient, exactement l’envers de ce qui est demandé consciemment ». (…) On va dire que l’homme institue la mère à l’endroit où il craint de ne pas satisfaire la femme. L’homme met en place la mère face à l’angoisse que provoque la question du féminin. (…) C’est bien ce qui se passe au niveau de nombre de couples. Pour ne pas avoir à affronter la femme en tant que telle, on se débrouille pour très vite, mettre en place les insignes d’une maternisation avancée. Ce en quoi, très souvent, la femme est ravie parce qu’elle a le même problème, de manière un peu différente que l’homme, ne vous imaginez pas que son rapport à la féminité soit d’une simplicité extraordinaire. Le contrat familial des couples, très souvent, marche des deux côtés : la demande de maternisation d’un côté, comme angoisse majeure par rapport à la femme libérée et désirante se retrouve chez la femme qui elle, vient combler la question de l’énigme féminine, qui gît en elle, en mettant l’autre en position d’enfant. Donc tout le monde est content ! Ce qui fait que vous apercevez dans la pratique que la génitalité des couples dans l’ensemble a une évolution moyenne.
((Jean Richard Freymann, L’amer amour, Eres, 2002, pages 61 à 63.))