La cérémonie

Claude Chabrol

Avec Sandrine Bonnaire (Sophie, la bonne), Isabelle Huppert (Jeanne, la postière), Jacqueline Bisset (Catherine Lelièvre), Jean-Pierre Cassel (Georges Lelièvre), Virginie Ledoyen (Melinda Le lièvre)

Couleurs - 1995 - DVD

Où trouver ce film ?

http://www.priceminister.com/mfp/209437/la-ceremonie-claude-chabrol-dvd#pid=61761278

L'intrigue

Les Lelièvre cherchent une bonne pour s’occuper de leur résidence principale située à proximité de Saint Malo. Ils engagent Sophie, une jeune femme discrète et timide. Ils pensent avoir trouvé la perle rare. Pendant ses moments de repos Sophie se lie avec Jeanne, la postière du village qui envie et hait les Lelièvre. La postière se rend régulièrement chez eux pour rendre visite à Sophie. Une étrange amitié se noue entre les deux femmes et précipite le drame.

  • Isabelle Huppert (Jeanne, la postière)

  • Sandrine Bonnaire (Sophie, la bonne)

  • Jacqueline Bisset (Catherine Lelièvre) et Virginie Ledoyen (Melinda Le lièvre)

  • Valentin Merlet (Gilles Lelièvre), Jacqueline Bisset (Catherine Lelièvre), Virginie Ledoyen (Melinda Le lièvre) et Jean-Pierre Cassel (Georges Lelièvre)

  • Sandrine Bonnaire (Sophie, la bonne) et Isabelle Huppert (Jeanne, la postière)

  • Sandrine Bonnaire (Sophie, la bonne) et Isabelle Huppert (Jeanne, la postière)

  • Sandrine Bonnaire (Sophie, la bonne)

  • Isabelle Huppert pendant la cérémonie des césars

  • Jean-Pierre Cassel (Georges Lelièvre)

  • Claude Charbrol

  • Ruth Rendel, l'auteur du roman

  • La cérémonie: jacquette du dvd

La folie à deux

Le scénario de « La cérémonie » est écrit par Claude Chabrol et Caroline Eliacheff qui est psychiatre, psychanalyste et auteur de nombreux ouvrages sur l’anorexie, la petite enfance et la relation mère fille. Il s’agit de la libre adaptation d’un roman de Ruth Rendel publié en France en 1978 sous le titre « L’analphabète » (( RENDELL Ruth, L’analphabète, titre original anglais : « A judgement in stone », Paris, 1977, Librairie des Champs Elysée, coll. Le masque, n°1532 )). Rendell s’est inspiré du crime des sœurs Papin, un fait divers sanglant qui a défrayé la chronique en France en 1933. Les sœurs Papin étaient deux bonnes qui ont assassiné leur maîtresse et sa fille dans d’horribles circonstances. Le roman de Ruth Rendell, à la différence du script, ne joue pas sur le suspens et on connait le dénouement du drame dès les premières pages, de ce fait c’est une formidable présentation de la psychose et de sa difficile perception par les gens « normaux ». Le drame est bien le produit de la rencontre entre Jeanne la postière paranoïaque et Sophie, la « bonne à tout faire » psychotique, mais rien n’aurait été possible si les Lelièvre avaient pu concevoir que leurs valeurs, leur monde et la perception qu’ils en avaient n’avaient rien de commun avec celle de Sophie et de Jeanne. Rendell démontre que la folie n’est pas qu’une faillite de la conscience, mais le produit d’une logique d’un autre ordre que celle de la « normalité ».
Chabrol, mi ironique, mi sérieux, prétend avoir réalisé « le dernier film marxiste » (( Extrait du dossier de presse de « La cérémonie », cité par Olivier Père sur son blog :http://www.arte.tv/sites/fr/olivierpere/2010/12/21/saluer-claude-chabrol/ )). D’après Chabrol, le film raconte la lutte des classes à une époque ou il n’y a plus de lutte entre classes sociales, mais juste deux mondes qui vivent côte à côte et s’ignorent : Celui des nantis qui possèdent le pouvoir, l‘argent, la culture et qui on les moyens de maîtriser leur existence et les autres dont l’ouverture au monde se limite à la télévision et qui subissent leurs conditions. Les problèmes se posent quand les barrières entre les classes sociales sont franchies comme dans « La cérémonie ». Chabrol justifie l’analyse sociale ou marxiste de ce qu’il met en scène en mettant dans la bouche d’un des invités des Lelièvre une citation de Nieztsche extraite de « Ainsi parlait Zarathoustra : « Il y a chez vos gens de bien, beaucoup de chose qui me répugnent, et certes non le mal qui est en eux » (( Vous trouverez une version complète de ce passage de « Ainsi parlait Zarathoustra » sur le site de Pierre Archambault : https://sites.google.com/site/pierrearch/nietzsche-criminel pour une autre traduction de ce passage : http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2012-4-page-981.htm
Dans le roman, puis dans le film, l’analphabétisme est utilisé comme révélateur du rapport particulier au monde de Sophie, c’est le « symptôme » de la psychose et de son impossible rapport aux autres. Dans une scène décisive, Mélinda, la fille des Lelièvre, découvre par inadvertance l’analphabétisme de la bonne. Cette révélation suscite de la pitié chez Mélinda et provoque « une sidération générale » aux conséquences psychologiques catastrophique (( Propos de Caroline Eliacheff dans les bonus du dvd )).

Pour un rappel de la carrière de Chabrol, le blog d’Olivier Père.
http://www.arte.tv/sites/fr/olivierpere/2010/12/21/saluer-claude-chabrol/

Pour écouter l’interview de Claude Chabrol par Michel Ciment :
http://www.ina.fr/audio/00054258

Le film de la série « les cinéastes de notre temps » consacré à Chabrol est consultable sur:

Documents

Dans la ville du Mans, le 2 février 1933, de retour à leur domicile après avoir assisté à une fête de charité, Mme Lancelin et sa fille sont sauvagement assassinées par leurs bonnes, Christine et Léa Papin. Le drame semble avoir été provoqué par un différent à propos d’une panne d’électricité. Christine et Léa étaient jusque là des employées modèles. Madame Lancelin et sa fille ont été assommées, énuclées, achevées à coups de marteaux, puis dénudées et leurs cuisses ont été lardées de coups de couteau. Après l’acte, Christine s’est mise au lit avec sa sœur dans l’attente de l’arrivée de la police, en disant « En voilà du propre ! », Par la suite, les sœurs Papin reconnaîtront les faits mais seront incapables d’expliquer leur geste. La presse s’empare du fait divers et l’affaire défraie la chronique. Pour Benjamin Perret et Paul Eluard, les bonnes sont des victimes de classe « La crainte, la fatigue, l’humiliation, enfantait lentement en elles la haine. (…) Le jour venu, Léa et Christine Papin rendirent sa monnaie au mal, une monnaie au fer rouge. » (( Le surréalisme au service de la Révolution, cité par ROUDINESCO Elisabeth, Histoire de la psychanalyse en France. 2, Paris, Seuil, 1986, page 140 )). « L’affaire Papin » passe en justice, le psychiatre de l’accusation déclare Christine et sa sœur responsables et les accuse d’être des simulatrices sous prétexte qu’elles sont incapables de prendre la mesure de leurs actes. Le psychiatre de la défense plaide l’irresponsabilité et diagnostique une “ anomalie mentale engendrée par une hystéro-épilepsie avec perversions sexuelles » (( ROUDINESCO Elisabeth, Histoire de la psychanalyse en France. 2, Paris, Seuil, 1986, page 140 )). Le docteur Lacan, qui n’a pas encore 32 ans au moment des faits, vient de publier sa thèse de médecine ((Jacques LACAN, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Paris, Seuil, Coll. Point, 1975 )) qui a été boudé par ses pairs et ses collègues, mais remarqué par les intellectuels et particulièrement les surréalistes. Lacan donne son analyse de l’affaire Papin la revue surréaliste « Le Minotaure » (( L’article est disponible sur internet : http://aejcpp.free.fr/lacan/1933-12-12.htm )). Il renvoie dos à dos les partisans de la thèse organiciste qui déclare les sœurs responsables parce qu’elles ne manifestent ni remords, ni culpabilité et celle des adeptes de la psychiatrie dynamique qui les déclare irresponsables parce qu’elles sont sous le coups d’un disfonctionnement d’origine biologique ou psychique. Lacan avance une autre hypothèse et propose une explication psychologique au crime. « Le crime des sœurs Papin est symbolique. « Le contenu intellectuel du délire apparaît comme une superstructure à la fois justificative et négatrice de la pulsion criminelle » (( Jacques LACAN, “le crime des sœurs Papin”, Le Minautore n°3/4, 1933/1934 )). « Il renvoie dos à dos les adeptes de l’irresponsabilité et ceux de la responsabilité. Selon lui, expliquer le crime, ce n’est ni le pardonner ni le condamner, ni le punir ni l’accepter. C’est au contraire « l’irréaliser », c’est à dire lui redonner sa dimension imaginaire puis symbolique » ((ROUDINESCO Elisabeth, Histoire de la psychanalyse en France. 2, Paris, Seuil, 1986, page 141. Le terme « irréaliser » est emprunté par Lacan au vocabulaire de Georges Bataille )). Pour Lacan, si le criminel est un monstre il n’en reste pas moins humain. « Le crime paranoïaque n’a pas pour cause la haine de classe, ou la vengeance du guerrier, mais la structure psychotique à travers laquelle le meurtrier frappe l’idéal du maître qu’il porte en lui, obéissant à son insu à cette « réalité aliénée » telle quel la définit la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave » ((ROUDINESCO Elisabeth, Histoire de la psychanalyse en France. 2, Paris, Seuil, 1986, page 142 ))
Dans cet article, Lacan anticipe ce qu’il appellera « le complexe d’intrusion » qui fait partie de son article intitulé « Les complexes familiaux » et publié en 1936, où il présentera pour la première fois, par écrit, la théorie du stade du miroir. Nous sommes en 1933 et Lacan cite Freud a propos de l’homosexualité des soeurs Papin : « Lorsqu’aux premiers stades maintenant reconnus de la sexualité infantile, s’opère la réduction forcée de l’hostilité primitive entre frères, une anormale inversion peut se produire de cette hostilité en désir, et que ce mécanisme engendre un type spéciale d’homosexuels chez qui prédominent les instincts et activités sociales. En fait ce mécanisme est constant : cette fixation amoureuse est la condition primordiales de la première intégration aux tendances instinctives de ce que nous appellerons les tensions sociales. Intégration douloureuse, où déjà se marquent les premières exigences sacrificielles que la société ne cessera plus jamais d’exercer sur ses membres : tel est son lien avec cette intentionnalité personnelle de la souffrance infligée, qui constitue le sadisme. Cette intégration se fait cependant selon la loi de moindre résistance par une fixation affective très proche encore du moi solipsiste, fixation qui mérite d’être dite narcissique et où l’objet choisi est le plus semblable au sujet : telle est la raison de son caractère homosexuel. Mais cette fixation devra être dépassée pour aboutir à une moralité socialement efficace. (…) Chez nos malades cette évolution ne dépasse pas son premier stade, et les causes d’un tel arrêt peuvent être d’origines très différentes, les unes organiques (tares héréditaires), les autres psychologiques : La psychanalyse a révélé parmi celles-ci l’importance de l’inceste infantile. On sait que son acte ne semble pas avoir été absent de la vie des sœurs » (( LACAN Jacques, « Motif du crime paranoïaques, Le crime des soeurs Papin », 1933, Le minotaure, disponible sur le site http://aejcpp.free.fr/lacan/1933-12-12.htm ))