Deux filles au tapis
Robert Aldrich
Avec Peter Falk (Harry), Vicki Friedrich (Iris), Laurene Landon (Molly), Burt Young,
L'intrigue
Les « California Dolls » Iris et Molly, sont deux catcheuses professionnelles que leur manager, Harry rêve de voir en haut de l’affiche. Tous les trois sillonnent les Etats-Unis dans une vieille voiture à la recherche de contrats et trouvent la consécration à Reno dans un combat mémorable contre les « Toledo Tigers ».
Photos et vidéos extraites du film
Soutenir son désir malgré tout
Publié le par Pascal Laëthier
Robert Aldrich est né en 1918 dans une famille de banquier. Après des études universitaires, il délaisse la voie royale qui s’offre à lui et entre en bas de l’échelle à la RKO1. C’est de cette manière qu’il devient assistant réalisateur sur les films de Renoir et de Wellman, mais aussi de Dmytryk, Polonsky, Rossen, Losey et Charlie Chaplin, des cinéastes qui seront tous victimes du maccarthysme. Son cinéma en gardera la marque indélébile.
A propos de Losey qui avait adhéré au parti communiste et dont il avait été l’assistant, Aldrich déclare en 1976 : « Si j’étais arrivé en Californie en 1936 et non en 1941, je serais entré au parti. Etre communiste, à l’époque (…) c’était une certaine disposition d’esprit, une attitude face à la politique, à l’industrie cinématographique, à l’administration Roosevelt. (…) Je pense que toute personne sensée, était destinée à cette époque à devenir communiste. (…) En 1941, ceux qui se reconnaissaient dans cette idéologie étaient les plus intelligents, les plus rapides et les meilleurs, ceux avec lesquels il était le plus stimulant de travailler ».2
Les années quarante sont pour Aldrich une période d’apprentissage. A partir des années cinquante l’Amérique est hantée par la « peur des rouges », c’est la chasse aux sorcières dans un pays devenu fou et paranoïaque qui pourchasse les réalisateurs, les scénaristes et les techniciens suspectés d’être communiste. En 1954, c’est la fin du maccarthysme, Aldrich en sort traumatisé. Il cesse d’être assistant et commence à réaliser des films avec une hargne et une énergie décuplée. Depuis, « Pendant près de trente ans, Robert Aldrich n’a jamais cessé de peindre (…) une Amérique en état de choc, névrotique et corrompue ».3
Ses premiers films font l’effet d’un coup de tonnerre, « Bronco Apache » (54), « Vera Cruz » (54) et « En quatrième vitesse » (55) sont adulés par la jeune critique française qui y admire une liberté et une inventivité qui lui serviront de modèle. Chabrol déclare en 1955 : Aldrich « est le metteur en scène le plus vivant de tous, celui chez qui on décèle davantage l’amour du cinéma et le plaisir d’en faire »4. Les années suivantes sont plus difficiles pour Aldrich qui connaît des réussites diverses. Il réalise son plus grand succès : « Les 12 salopards », mais il est lâché par la plupart des cinéphiles au début des années 70, pour « dérive commerciale »
Aldrich a un sens de l’efficacité hors du commun. Son style est nerveux, brutal, caustique, ses images sont agressives et sa lumière crue. Ses personnages transgressent les codes du cinéma hollywoodien, ce sont des héros déchus, blessés, ratés, incompris, victimes de la corruption qui défendent des valeurs dont ils doutent dans un monde qui va à la dérive
Au fur et à mesure que la manière d’Aldrich s’affirme, les films qui semblaient, audacieux et originaux aux critiques parisiens du début des années cinquante, deviennent « vulgaires » et « faciles » pour leurs successeurs… Pourquoi ? Parce que celui que l’on appelle le « gros Bob », avec un zeste de condescendance, se revendique comme un cinéaste authentiquement américain. Il n’a pas la plasticité de Losey ou l’habileté d’un Kazan ou d’un Huston qui renouvellent leur style dans l’adversité et trouvent un second souffle dans la nouvelle période qui s’ouvre dans les années 60. Au contraire, Aldrich s’enferre dans sa manière. Son cinéma ne regarde jamais vers l’Europe et reste viscéralement américain. Film après film, Aldrich devient encore plus énergique, plus généreux et plus audacieux, mais aussi plus provocant, plus ambigu, plus décalé et plus « trash ». Le divorce est complet entre la critique parisienne et celui qui ne cesse de remettre en cause les normes du cinéma traditionnel et reste profondément attaché aux valeurs populaires, brutales et violentes de l’Amérique profonde.
« Deux filles au tapis » est son dernier film réalisé en 1981. C’est une œuvre exemplaire et ignorée d’Aldrich qui ne recueille en France qu’un accueil mitigé. Il raconte l’histoire d’un manager raté et hâbleur, mais entêté qui défend avec énergie les valeurs de son art dans une Amérique à la déglingue. Bien sûr, il ne s’agit que de catch, mais comment ne pas reconnaître Aldrich derrière le personnage incarné par Peter Falk ? C’est la situation du cinéma américain dans les années 80 qu’Aldrich brossait à gros traits. Cette situation est devenue avec un peu de retard celle du cinéma français. Aldrich pose cette question obsédante et souterraine, qui transparaît à chaque plan du film : Comment soutenir son désir et son art dans d’un système où seuls comptent l’argent et la réussite, au sein d’une industrie où le marketing remplace le savoir faire et devant un public blasé et hypnotisé par le sexe et la notoriété ? A l’époque, la critique française a trouvé son dernier film vulgaire. La critique signée Emmanuel Carrère dans le Télérama du 13 février 1982, à propos de « Deux filles au tapis » en est la caricature, il écrit : « Cette manière de prendre le public pour un ramassis de demeurés, obéissant au doigt et à l’œil à un cabotin agité qui s’assure, non de sa complicité, mais de son abrutissement docile, voilà aujourd’hui le style de Robert Aldrich »5.
- Compagnie de production américaine indépendante [↩]
- Interview de Positif, n° 182 en Juin 1976, cité par Mahéo, dans Robert Aldrich, Marseille, Editions Rivages, 1987, p 55 [↩]
- Mahéo, Robert Aldrich, Marseille, Editions Rivages, 1987, p 55 [↩]
- Cahiers du cinéma, Chabrol – 1955 [↩]
- Cité par Mahéo, dans Robert Aldrich, Marseille, Editions Rivages, 1987, p 154 [↩]