Ondine
Christian Petzold
Avec Paula Beer (Undine), Franz Rogowski (Christoph), Jacob Matschenz (Johannes)
L'intrigue
Ondine est l’adaptation d’une nouvelle de De Lamotte Fouqué datant du 19eme et d’un texte d’Ingebord Bachmann. Dans la version que propose Christan Petzold, Undine Wibeau est une jeune historienne qui travaille au musée de l’urbanisme de Berlin. Elle retrouve l’homme qu’elle aime dans un café proche du musée. Il lui annonce qu’il veut se séparer d’elle et qu’il en aime une autre. Undine lui répond : « Si tu me quittes, je vais devoir te tuer, tu le sais? » Quel sens donner à ce que retourne Undine à celui qui veut la quitter ?
Photos et vidéos extraites du film
Ondine revient
Publié le par Pascal Laëthier
Christian Petzold, chef de file de la « Nouvelle Vague » allemande (Ecole de Berlin) réalise l’adaptation d’un récit de la mythologie germanique dont l’écrivain romantique allemand Friedrich de la Motte-Fouqué a tiré une célèbre nouvelle en 1811. Petzold a réalisé plusieurs films remarqués dont Barbara (2012), Phoenix (2014)1 et Transit (2018) qui forment une trilogie. Ondine (2020)2 est le premier film d’une nouvelle trilogie sur l’eau, le feu et l’air.
Ondine, une nymphe qui prend corps
Je me suis référé à un texte de Christine Planté qui s’intitule Ondine, ondines – femme, amour et individuation pour écrire cet article3. Ondine est le récit d’une individuation, le récit de l’arrachement à l’indétermination de l’élément originel par le biais de l’amour. Ondine n’est pas un nom propre, je cite Christine Planté : « Pour les hommes, les Ondines sont tellement autres, qu’elles constituent l’Autre au sein duquel il n’est plus de différenciation possible. Chaque Ondine est l’Ondine ce qui suffit à la définir… Un peu comme chaque femme serait La femme ? »
Ondine est d’abord un conte écrit par de Lamotte Fouqué, un romantique allemand du 19eme, qui serait tombé dans l’oubli s’il n’y avait eu cette nouvelle louée par Goethe, Wagner et Poe. Plus récemment, Giraudoux en a écrit une adaptation théâtrale dans laquelle le Prince s’appelle « Hans ».
A l’origine, avant la nouvelle de Lamotte Fouqué, il y existait une croyance de Paracelse (médecin, philosophe Allemand du 16eme) pour qui les esprits des eaux, des airs et du feu, ne diffèrent des hommes que par l’absence d’une âme éternelle.
Dans la nouvelle de Lamotte Fouqué, le père d’Ondine est le Prince des eaux et elle n’a pas de mère, ou alors c’est l’eau qui est le lien maternel. Ondine est une naïade, une nymphe et c’est l’homme qui grâce à l’amour lui donne une existence. De ce fait, Ondine est entièrement soumise au pouvoir des hommes.
Le récit de la nouvelle de Lamotte Fouqué
La fille d’un couple de pêcheurs disparaît dans les eaux d’un lac sous les yeux de sa mère. Quelques années plus tard Ondine, une enfant, se présente dans leur chaumière et le couple de pêcheurs l’adopte. Ondine grandit et elle devient très belle. Le chevalier Huldbrand de Ringstetten débarque une nuit d’orage dans la maison du couple. Pourquoi vient-il dans ce coin si reculé et sauvage ? Pour montrer son courage à Bertalda, la fille adoptive d’un riche duc qu’il veut séduire, et c’est pour elle qu’il a traversé la forêt ensorcelée qui borde la chaumière. Le chevalier demeure quelque temps, tombe amoureux d’Ondine et décide de l’épouser. Ondine change de nature, cesse ses caprices et ses extravagances. Elle acquiert une âme et devient une épouse douce et aimante. Cependant, elle met en garde le chevalier : s’il la repousse, elle retournera vers les siens et il mourra. De retour dans son château avec sa nouvelle épouse, le chevalier retrouve Bertalda a qui Ondine révèle son histoire. Bertalda n’est autre que la fille du couple de pêcheurs disparue précédemment et qui a été adoptée par un riche duc. Mais elle ne supporte pas de découvrir son origine modeste. Ondine et le chevalier touchés par sa détresse, décident de la garder auprès d’eux. Le prince, toujours tiraillé et maussade, finit par regretter son union avec un « esprit élémentaire ». Au cours d’un voyage en bateau pour Vienne, il s’énerve et révèle à Ondine qu’il ne l’aime plus, elle plonge dans les eaux du fleuve. Ondine disparue, Huldbrand se console et épouse Bertalda. Ondine revient au chateau par le puit dont on a retiré la grille par mégarde (Ondine est une naïade, c’est-à-dire une divinité des sources et des rivières). Elle réalise sa prédiction et le prince meurt. Ondine ne le tue pas au sens propre, il est écrit : « Dans un baiser, elle le fait mourir de ses larmes« . C’est la tristesse de leur amour perdu qui tue le prince. Pendant la mise en terre de sa dépouille, une source jaillit du sol.
La version de Ingebord Bachmann
Dans les années soixante, une autrice allemande proche de Max Frisch et de Paul Celan, Ingebord Bachmann écrit un texte intitulé Ondine s’en va qui commence par ces mots :
Homme ! Monstre !
Hans, nom de ces monstres, noms que je n’oublierai jamais.
(…)
Oui, telle est ma logique, un homme qui s’appelle Hans, c’est votre nom à tous, quel que soit votre nombre, car vous ne faites qu’un4
D’après Christine Planté « Bachmann retourne aux hommes l’indistinction dont ils prétendaient sauver Ondine« . Le prénom de Hans vient de Giraudeau, mais chez Bachmann, il désigne non pas le chevalier, mais l’individu ordinaire, l’homme que rien ne distingue des autres et qu’on peut aimer. Hans qui vient donc signifier la non-individuation, « tous les hommes sont Hans » et rejoignent en quelque sorte l’éternel masculin. Il y a donc inversion par rapport à la nouvelle de Lamotte Fouqué. Le texte de Bachmann à la forme d’une longue plainte écrite à la première personne.
Dans une interview, on demande à Bachmann, si elle a écrit une profession de foi féministe : « C’en est une si on veut. Mais je crois qu’il y a suffisamment de malentendu là-dessus. Les lecteurs, les auditeurs identifient immédiatement le « Je » à l’auteur puisque la nouvelle est écrite à la première personne. Ce n’est pas du tout le cas. Ondine n’est pas une femme, ni même un être vivant (…). C’est de l’autre côté qu’il faut chercher l’auteur, moi en l’occurrence, parmi ceux qui s’appelle Hans.» Comme l’écrit Planté : « L’amour pourrait être auxiliaire de l’individuation sans pour autant passer par la soumission et la négation de l’autre. Dans l’exigence difficile d’une non clôture du sujet. (…) Bachmann qui refuse son identification à Ondine, ne peut pas non plus être identifiée avec tous les autres, du côté de Hans. Cette position intermédiaire en devenir, comme celle d’Ondine, esquisse la promesse d’une ouverture de l’humanité sur de nouveaux possibles. Ondine rouvre l’espace de la rencontre ».
Ondine le film de Petzold
Voilà ce que dit Petzold : « Bachmann a écrit un conte de fée intitulé « Ondine s’en va ». Elle a déconstruit Ondine qui dit : « je suis possédée. Je n’ai qu’une identité à cause de toi, mais je veux avoir une identité par moi-même, et ce n’est pas possible« . Il ajoute : « C’est cette balance entre cette possibilité et cette impossibilité qui est mon point de départ pour raconter cette histoire. » ((Helen Hoehne interviewe Christian Petzold dans une vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=xLMg3c2TXmg,que vous pouvez voir avec ce lien)).
Questions à Frédéric Dahan
Je tiens à remercier Pascal Laethier de m’avoir proposé de parler à propos de ce film remarquable qu’est Ondine et de me proposer sept questions afin de me faciliter une transcription au moins partielle de ce que j’ai énoncé et de la discussion après la vision du film de Christian Petzold.
Question: Tu as dit, si je me souviens bien, qu’Ondine est un film qui fait corps pour chacun, peux-tu expliquer ce que c’est que faire corps pour un film ?
Il me faut d’abord préciser l’embarras dans lequel je suis de parler d’un film. Embarras qui touche au réel de l’incorporation. Embarras donc pour de multiples raisons qu’il m’importe de situer brièvement :
Je ne suis pas cinéphile et je peux rester des années sans aller au cinéma et je n’ai aucune culture (technique et métaphysique) cinématographique – ce que je regrette. Quand j’aime un film, ce qui est le cas d’Ondine, ça produit d’abord un silence, puis dans un après-coup, il y a des scènes du film qui reviennent et qui s’incorporent et qui deviennent ma production intime mais que je reconnais suscitée par une étrangeté intime et extérieure. Ce qui illustre bien que l’amour se supporte d’un certain rapport entre deux savoirs inconscients et qui questionne si ce rapport n’est pas l’expression d’un vrai amour comme le produit Ondine. J’en profite pour demander qu’on me lise en s’installant dans l’équivoque littorale du «et» : Ondine, c’est dans mon propos le film de Petzold et la femme. Ondine, c’est de l’inconscient qui s’incorpore sans sujet.
S’il y a rapport entre deux savoirs inconscients, alors il y a de l’écriture que je situerai dans les lettres qui composent le nom d’Ondine sur le pilier au fond de l’eau. Serait-ce de ces lettres que ça ruisselle et que s’entend, à deux reprises, la voix d’un appel (venant de l’objet scaphandrier dans l’aquarium ?) : «Ondine!» ?
Aussi, malgré l’exemplaire rigueur et richesse du film dans son déroulé continu (son Bien-dire), j’ai fait le choix de ne pas procéder à une lecture de ce continu. Je retiens d’ailleurs la remarque technique très juste qui m’a été faite, à savoir l’absence de raccord entre les plans qui donne une priorité métonymique sur la métaphoricité du récit et qui favorise et accompagne la dimension très onirique de Ondine comme expression d’un désir.
Mon propos est donc partiel sinon partial et je l’espère discutable…
J’ai donc vécu ce film comme mon rêve.
Ondine : je dirais, première approximation, que c’est l’objet a incarné, soit selon Lacan « ce qui réalise ce que la structure impose, à savoir permettre au sujet de l’inconscient (Christophe et le spectateur ?) de le prendre pour cause de son désir »
Qu’Ondine soit un rêve, ça met le spectateur à être-en-acte de lecture de son inconscient.
Question: Tu as parlé de « littoral ». Qu’est-ce que le littoral et en quoi Ondine est un film littoral sur le littoral ?
Je reprendrai ton propos, cher Pascal, quand tu relatais un énoncé de Petzold juste avant la présentation du film, à savoir, je te cite donc citant Petzold : « Dans ce film, je n’ai pas cessé de balancer entre le possible et l’impossible ».
Balance comme trou qui ne cesse pas de (ne pas) se lire et qui en fait le jeu entre possible et impossible.
On ne peut pas mieux dire le littoral et mieux résumer ce que j’ai à en dire. Je mettrais l’impossible du côté de l’Un et le possible du côté du deux en tant qu’il ouvre la possibilité de l’impossible. (Ce qui nous rapproche d’une tentative métaphysique classique de la mort)
Je reprends : en tant que spectateur, je suis soumis à plusieurs contraintes de vivre Ondine comme mon rêve. Ces contraintes sont des points intensifs de la littoralité en tant qu’ils ne font pas frontière entre deux éléments.
Ainsi c’est à partir d’un récit visuel et sonore d’un autre, ici Petzold, que je rêve.
De plus le dispositif cinématographique (ou plutôt l’enchevêtrement de dispositifs d’écritures qu’est sans doute le cinéma ?) répète de la littoralité d’une façon remarquable puisque durant la représentation dans le noir, nous les spectateurs, nous vivons le même film comme nos rêves singuliers impartageables – où je retrouve ce qui s’impose du silence.
Le littoral est silencieux et je m’excuse de ce bavardage. Comme dans une analyse, c’est le silence qui se transmet d’une séance de cinéma. C’est le reste, c’est ce qui passe. Sans ligne de passage qui ferait office d’une frontière avilissant ce qui passe dans du commentaire.
« Est-ce Un – est-ce deux ? » c’est ce que présentifie en mouvement et d’une façon peut-être trop paradigmatique une bande de Moebius. Ce n’est pas encore du Un ce n’est déjà plus du deux .
C’est le temps de l’inconscient hors durée comme le temps présentifié par Ondine.
Le littoral, c’est encore l’extériorité intime du cinéaste metteur en scène de mon rêve et c’est l’intériorité extime de mon inconscient comme metteur en scène de mon rêve.
Ce mouvement littoral ne cesse pas de se répéter comme une écriture qui ne cesse pas de ne pas s’écrire. Ondine touche à ce réel là que structurent les répétitions qui produisent la mise en scène.
Ça produit ce réel par le jeu de répétitions qui scandent et qui touchent ce que Freud appelait l’ombilic du rêve. L’ombilic est ce trou intensif du littoral où les associations du rêveur ruissellent dans des nouages à l’infini.
Lacan : « c’est de ce qui n’était pas que ce qui se répète procède » L’ombilic du rêve, je dirais que c’est les prémisses de l’élaboration de la pulsion de mort.
De quelle mort il s’agit ? « de celle que porte la vie ou de celle qui la porte ? » Deux plans du temps qui font le littoral et qui sont mis en scène par Ondine.
L’unité de ce film est littoralité : Christophe et Johannes, Berlin marécageux et Berlin asséché, Ondine et les autres femmes, l’avant dernier plan : le cri d’appel de Christophe et le cri d’appel de sa compagne enceinte, la voix d’Ondine conférencière et la voix de l’autre conférencière, le dernier point de vue entre eau et air, etc…
Question: Tu as fait remarquer qu’il était difficile de s’identifier à Ondine, pourquoi ? Et qui est Ondine, quelle est la psychologie de son personnage ?
Tu as émis l’hypothèse suivante : ce que propose ce film va au-delà de ce qu’énonce Lacan sur les femmes ? Peux-tu préciser ?
Qu’est-ce que désire Ondine et en quoi son désir est différent de celui de Christophe ?
Je prétends en effet que Ondine exprime une subversion (plutôt qu’un au-delà) des thèses lacaniennes en tant qu’elles représentent le risque d’être en position de grand Autre qui bouchonne.
Ondine «témoigne sans témoin» et cela confirme que mon énoncé peut être (non) discutable. Ondine témoigne de ce que je prétends être le reste et l’ombilic d’une analyse. Ou encore le symptôme de tout analyste, soit la passion de l’ignorance du désir x et infini de l’analyste. Cette passion, c’est l’amour de son inconscient comme soi-même. C’est dans cette passion que s’incorpore Ondine.
Freud : « Là où c’était, je dois advenir », ça concerne avant tout l’analyste nous dit Lacan. En tant que ça ouvre la possibilité en acte d’être dans une précession en tant qu’objet a pour l’analysant.
Il y a une précession d’Ondine, elle existe depuis toujours. Elle est le temps, hors durée, de l’inconscient.
Ondine, c’est un hymne à l’amour vrai qu’elle vectorialise en se faisant pulsion de mort.
Or pulsion (de mort de surcroît) et amour (vrai de surcroît) sont deux mythes fondateurs.
Si le mythe c’est la tentative de donner forme épique à ce qui s’opère de la structure, alors Ondine déconstruit le mythe en étant le littoral qui rend possible l’impossible ou encore en exprimant la structure en intension, c’est-à-dire de façon fonctionnelle.
Ondine propose une expression inédite qui articule l’amour, le désir (objet a ?) et la jouissance (pulsion de mort ?). «Seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir» nous dit Lacan et cela trouve dans Ondine un nouage exemplaire des trois dimensions. (Nouage qui se dissout dans l’eau ?)
Ondine fracture le bord réel du trou. Elle est l’être-Femme, sans identité. Centrée absolument sur le désir d’un homme pour elle.
Voilà quelques expressions qui subvertissent les dogmes lacaniens. Ondine échappe à toute expression psychologique définitoire.
Si La femme n’existe pas, ça n’exclut pas, nous dit Lacan, qu’on en fasse l’objet de son désir.
Ici, retournement et déplacement métonymique : Ondine fait exister La femme.
Et l’homme (Christophe et nous) lui donne son objet. Ou se donne comme objet ? L’énigme de l’objet du petit scaphandrier dont je parlerai plus loin.
Cela n’est pas sans conséquence sur la question du rapport sexuel et de son inexistence.
Lacan : «il n’y a pas de rapport sexuel parce que la jouissance de l’Autre prise comme corps est toujours inadéquate
perverse d’un côté (côté homme) en tant que l’Autre se réduit à l’objet a
et de l’autre (côté femme), je dirai folle, énigmatique »
Il y a là, sinon un au-delà, une subversion de cet énoncé de Lacan en tant qu’Ondine nous propose une concrétude fictionnelle qui supporte des effets de vérité à lire.
En effet, il ne s’agit pas d’une réduction d’Ondine à l’objet a. Ondine est l’objet a. Christophe et Ondine n’ont pas à la réduire.
Il y a de l’Un : la jouissance folle et énigmatique et l’objet a font l’Un qu’est Ondine.
Ce qui serait une expression du désir hors fantasme.
Ondine, dans cette hypothèse, serait l’amour vrai qui ouvre la voie d’un contournement du fantasme pour Christophe (et nous) en tant qu’Ondine est traversée du fantasme. Traversée que produit le littoral entendue comme la dissolution de la frontière que constitue le fantasme entre idéal et désir.
Si le fantasme est un complexe qui branche sur le désir, il en constitue aussi un obstacle. Et c’est bien ce que présentifie Johannès.
Ondine est La femme (qui n’existe pas), elle est hors monde, elle est hors temps d’être le temps de l’inconscient, elle est l’ombilic du récit qu’elle produit.
Ondine est le trou du script, ce qui ne s’entend pas dans le récit qui en découle comme le bruit de l’eau. C’est le littoral de la lettre et du signifiant.
Ondine, c’est le littoral du littéral du nom sur le pilier dans l’eau (qui nécessite des soudures ?).
Petzold dit du cinéma : «c’est une fenêtre sur le monde et soi-même »
Ondine est ce trou qui défenestre en portant le désir qui tient le récit, trou lieu-tenant de la mise en scène.
En ces sens, Ondine ne peut pas être une femme du monde.
C’est là que réside la vertu fondamentale de l’équivocité (que je n’ai pas su tenir) de Ondine comme film et comme Femme. En tant que cette équivocité contient une fonction du neutre qui littoralise comme Un : le masculin du film et le féminin du personnage.
Cette équivocité des genres (ratée dans mon énoncé) n’abolit pas les fonctions plurielles et non dépliées de la question énigmatique du phallus (fonction et objet) et n’abolit pas la différence sexuelle : Ondine exprime son désir sexuel et Christophe choisit d’entendre sa voix parlant de Berlin ! Tant il est sûr que l’objet voix d’Ondine surmonte l’intérêt du texte de la conférencesur Berlin.
Un certain savoir textuel et référentiel, en position de grand Autre fait bouchon au déploiement des énigmes des écrits de Freud et Lacan. Ondine ôtece bouchon dès le fracas de l’aquarium duquel s’instaure le rapport avec Christophe. Ce fracas comme rapport nous submerge d’hypothèses (entre autres sur les questions du phallus) qui restent à lire… Cette submersion est subversion du sujet analyste.
Question: Le film se termine plusieurs fois comme s’il y avait plusieurs fins possibles. Es-tu d’accord avec ces interprétations et que penses-tu du plan de fin ?
Quand j’ai vu une première fois le film, je l’ai vécu (à ma surprise) comme ayant deux fins dans une répétition qui produisait un en-plus qui diffère de l’identique.
Première fin : Ondine rentre dans l’eau après avoir tué Johannès et avoir vu Christophe «mort» à l’hôpital. Cette rentrée, je l’ai vécue comme ce qui réinscrivait la frontière de la réalité, frontière qui abolit le littoral qui précédait.
Deuxième fin : Christophe rejoint Ondine en rentrant dans l’eau après deux années de vie commune en couple avec une femme qui est enceinte. Cela refait vivre la pulsion de mort en ouvrant le dernier (dernier plan) point de vue littoral de Ondine entre eau et air, d’où l’on voit partir le couple sur le pont, pas-sans l’objet scaphandrier.
Quand j’ai vu une deuxième fois le film, (nécessairement ?) je l’ai vécu comme n’ayant qu’une fin, la deuxième. Alors cela signifierait-il que la première fin prend une autre signification : Ondine, en rentrant dans l’eau reste une sorte d’achèvement du Temps qui porte le temps qui le précède.
Ondine, dans cette immersion finale, resterait donc la pulsion de mort (trou, suspens) qui ouvre la possibilité de l’horizon littoral de l’impossibilité pour un sujet (Christophe et sa compagne sur le pont) de vivre la pulsion ? C’est là ma lecture du dernier plan du film. On incorpore le point de vue littoral d’Ondine entre eau et air. C’est ce qui ne s’oublie pas de l’oubli du rapport de Christophe à Ondine – pas-sans l’objet scaphandrier qu’emporte le couple marchant sur le pont.
Alors la deuxième fin qui est devenue la seule fin pose plusieurs questions. Je n’en retiens qu’une seule : c’est la dernière question (la 7) que m’adresse Pascal.
Question: Quel est le statut du plongeur dans le film de Petzold ?
J’imagine que la question concerne strictement l’objet : le petit scaphandrier.
C’est la question la plus difficile. (Je peux aussi supposer que la question concerne le plongeur Christophe. Riche question que je laisse en suspens bien qu’elle soit en lien avec celle de l’objet, puisque tous les deux sont en lien métonymique. L’objet : Christophe et Ondine ?)
Je considère cet objet comme la plus belle et énigmatique trouvaille de Petzold. Elle représente très bien comment l’artiste nous précède dans la production inédite de l’objet a. L’objet : commande ou agent de la production d’Ondine.
Loin d’épuiser la richesse nodale de la fonction de cet objet dans ce film, je voudrais tenir un seul fil d’interrogations.
Dans ce que j’ai appelé la deuxième fin qui est la seule fin, comment lire la récupération de cet objet que Christophe donne à sa compagne (enceinte) retrouvée après sa dernière sortie de l’eau ?
Christophe ne donne t’il pas là ce qui ne peut pas être du registre de l’avoir : l’oubli d’Ondine, c’est-à-dire durapport sexuel avec elle qui ne s’oublie pas ?
La première voix qui appelle Ondine et que seule, elle entend devant l’aquarium avant qu’il se brise, proviendrait-elle de l’objet scaphandrier ?
Comment lire le trajet de l’objet : de l’aquarium à Christophe, puis de Christophe qui le donne à Ondine, puis d’Ondine qui le donne à Christophe dans la dernière scène sous-marine, et enfin de Christophe qui le donne à sa compagne sur le pont ?
Comment ne pas lire cette dernière donation comme donner quelque chose de la rencontre (du rapport) avec Ondine ? Ce quelque chose serait-il ce qui n’abolit pas lapulsion de mort comme vecteur d’un a-venir de la pulsion à vivre du couple sur le pont ?
Durant la possession de cet objet par Ondine, mon propos laisse unreste en suspens de tout ce qui se passe pour cet objet ?
(…)
Alors, je propose d’une façon fragmentaire cette hypothèse :
Dès le début dans l’aquarium, le scaphandrier présentifie en acte, c’est-à-dire, en immersion dans l’aquarium, Christophe.
Cette immersion aurait comme signification la nécessité d’en passer par le lieu (eau) d’où appeler Ondine pour lui signifier, dans un appel, que cet objet est le rapport entre Ondine et Christophe. Que cet objet est agent de la production du rapport sexuel entre eux.
L’invention de Petzold : l’objet a littoral qui guide la production littérale de Ondine? Cela ne va pas sans une subversion du sujet réalisateur.
En ce sens cet objet métonymise Christophe durant la possession par Ondine. Cette métonymie produit une précession qui bouscule la linéarité du temps. Temps de la pulsion de mort.
Mais cet objet cesse t’il d’être ce rapport entre Christophe (nous) et Ondine sous les transformations qu’il traverse durant son trajet ?
L’objet scaphandrier serait-il le corps par lequel les lettres d’Ondine sur le pilier du fond des eaux prennent voix ?
- Phoenix a fait l’objet d’une séance cinepsy, le 11 septembre 2018, la discussion était animée par Georgui Katzarov. [↩]
- Ondine a fait l’objet d’une séance cinepsy le 10 janvier 2022, la discussion était animée par Frédéric Dahan. [↩]
- PLANTE Christine, « Ondine, ondines – femme, amour et individuation » dans Romantisme, revue de 19eme siècle »,1988, disponible avec ce lien : https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1988_num_18_62_5550 [↩]
- BACHMANN Ingeborg, « Ondine s’en va » dans Oeuvres, Actes Sud, 2009, page 251 [↩]