Eva en aout
Jonas Trueba
Avec Itasso Arana (Eva), Vito Sanz (Agos), Isabelle Stoffel (Olka)
L'intrigue
Eva profite du mois où les madrilènes quittent la capital pour investir l’appartement d’un ami. Elle déambule dans Madrid et fait des rencontres.
Photos et vidéos extraites du film
Le monde d’aujourd’hui
Publié le par Pascal Laëthier
Eva en août est sorti sur les écrans parisiens en août 2020. La critique était enthousiaste et le public plus circonspect.
Il est des films qui font du bruit et se prévalent de la nouveauté alors que d’autres, comme Eva en août (Titre espagnol : La virgen de agosto) révèlent simplement notre quotidien sous un jour jamais vu et surprenant. On savait que la place des femmes n’était plus la même dans le jeu social et dans les rapports avec les hommes, mais les films qui tentaient de nous le montrer jusqu’à présent, ne faisaient qu’en illustrer le discours. Trubea ne filme pas une femme qui représente le changement, Eva est le changement.
On se souvient de la polémique estivale (2020) à la suite de la publication par le Monde d’un article de Marzarine Pingeot Le mortel ennui qui me vient1 qui dénonçait la nouvelle donne dans les rapports entre les hommes et les femmes et s’en plaignait en faisant état de son ennui. La remarque n’est pas anodine et mérite considération. Freud constate qu’on ne quitte facilement pas une position pour une autre et que le changement à un coût psychique important. C’est ce que nous constatons avec nos patients quand un possible apparait et qu’une porte s’ouvre. Rien n’est moins facile de s’y engager quand bien même il semble évident que la solution d’avant ne convient plus.
Dès le début du film il est fait référence à Stanley Cavell, philosophe et critique américain auteur de plusieurs livres sur le cinéma2 dans lesquels il est question de ces femmes actrices du cinéma américain (Barbara Stanwyck ou Katharine Hepburn) qui ont marqué les films de leur empreinte et qui incarnent un changement de regard, voire même un changement de la place des femmes dans le jeu social et sexuel.
Dans le dossier de presse du film, Jonas Truebas parle du personnage principal et de l’actrice de son film : « Elle a décidé de rester à Madrid. Elle est décidée à se permettre de douter. Dans ce sens, elle rejoint ces personnages du cinéma classique hollywoodien. La première séquence du film nous permet d’établir un dialogue avec ces personnages féminins tellement forts, charismatiques, indépendants et surprenants. Ces actrices étaient ainsi dans la vie réelle, des femmes avec une forte personnalité et cette personnalité transparaissait dans les films. Les cinéastes se mettaient alors à leur service. Et dans mon cas, c’est aussi ce qui s’est passé. Je me suis mis au service d’Itsaso et de sa personnalité. Et j’aime qu’elle s’approprie le film, que ce ne soit pas moi qui détermine le personnage mais que ce soit elle. C’est elle qui détermine le personnage, le film et la mise en scène.”3.
S’en suit une situation à la fois jouissive et étrange. On regarde un film qui présente des femmes laissant libre cours aux aléas, non pas de leur désir, ce serait déjà trop dit et trop pris dans une logique qui n’est pas celle que met à jour le film, mais de leurs déambulations, de la contingence et de leur fantaisie. On comprend que les hommes que croise Eva soient un peu en dessous et peinent à suivre le tempo. Ce qui est caractéristique et différent dans l’attitude d’Eva et de ses amies – c’est là où le film « Eva en aout » montre quelque chose de différent au cinéma – c’est qu’il n’est jamais fait usage de la pulsion d’emprise. Invariablement dans le film, les rencontres entre femmes et hommes et entre femmes et femmes sont sexualisées sans que jamais ne prédomine un rapport de force, de domination ou de possession et on ne l’a jamais vu au cinéma, même et surtout dans le cinéma de Rohmer, puisque c’est la référence purement formelle et un peu paresseuse que citent la plupart des critiques.
Les psychanalystes font peu de différence entre pulsion d’emprise et pulsion sexuelle (libido), sans doute étaient-elles confondues dans le monde d’avant, mais il est temps de remettre l’ouvrage sur le métier. Allez voir Eva en aout et vous découvrirez que c’était le monde d’avant qui respirait l’ennui, dans celui qui nous arrive tout est à inventer.
- Mazarine Pingeot publie un article intitulé « Le mortel ennui qui me vient » dans le Monde du 28 juillet 2020 à propos des nouveau combats féministes. [↩]
- Stanley Cavell, A la recherche du bonheur – Hollywood et la comédie de remariage, Paris, Les Cahiers du cinéma, 1993. [↩]
- Entretien réalisé par Nicolas Azalbert le 2 mai 2020 dans le Dossier de presse. [↩]