Mommy
Xavier Dolan
Avec
L'intrigue
Anne élève seule son fils, Steve, qui vient de se faire expulser du centre de rééducation où il avait été placé après le décès de son père. Leur relation oscille entre amour, tendresse, agressivité et insultes et trouve un fragile équilibre.
Photos et vidéos extraites du film
Hyperactivité et Ritaline
Publié le par Pascal Laëthier
Xavier Dolan réalise une fois de plus un film émouvant, brillant et parfaitement dans l’air du temps. Au premier abord, le face à face pathétique entre Anne, une femme seule et Steve, son fils qui bascule dans la folie, n’a rien de réjouissant. C’est tout le talent de Dolan de parvenir à transcender ce récit pour en faire une épopée moderne et incandescente. Dolan ne retient que la vision romantique et exaltée de ce fait divers. Il n’est pas réaliste, il montre une vision du monde qui correspond à ce que Anne et Steve vivent et ressentent. Est ce que cela correspond à la « réalité » des autres ? Est-ce un rêve ? Un délire ? On ne sait pas et peu importe. Dolan fait un film, pas une thèse. Il raconte l’amour hors norme d’une mère paumée et lumineuse pour son fils dans sa crudité, sa violence, sa dinguerie, sans retenue et heureusement sans faire de psychologie. Il montre l’impossible séparation de deux êtres, la progressive et lente rupture avec ceux qui les entourent, il montre l’enfermement dans la passion duelle et finalement la psychose qui débarque. Le monde de « Mommy » est « fou » sans doute, mais dans le sens de l’amour « fou ».
Œdipe, le héros de Sophocle, a au moins un point commun avec Steve, il ignore tout du complexe qui porte son nom. Ces deux jeunes hommes vivent une passion aveuglante pour leur mère qui les transporte au cœur de la plus grande confusion, ils le paient au prix fort d’une angoisse qui les laisse sans repos. Ils sont « hyperactifs » comme diagnostiquent aujourd’hui les « spécialistes ».
Steve aime sa mère, une femme extraordinairement vivante et séduisante et ne parvient pas à dépasser cette relation jouissive et mortifère. Steve n’est pas Georges Bataille, il n’a pas l’écriture comme échappée et son affaire va logiquement à son terme c’est à dire dans le mur. Dolan en fait son miel.
Steve et sa mère vivent dans l’univers de la toute puissance de l’enfance. Ils évoluent dans un monde binaire, un monde kleinien, celui du tout ou rien, du collé ou jeté, l’arrachement ou la fusion. La demande qu’Anne adresse aux autres est informe et impossible à prendre en compte. Elle trouve finalement une réponse (psychotique) à son problème et se décide pour la solution psychiatrique. Elle impose la séparation à Steve et s’en débarrasse comme on dépose un paquet à la consigne.
Anne et Steve vivent dans l’actuel de notre monde, celui de la communication et du consumérisme entièrement occupé par la recherche de l’identité de soi. La folie n’y a pas sa place. Elle n’est envisageable que comme un bug, un dysfonctionnement ou un handicap. Elle se traite par la pharmacie, la contention et la compassion. Sur ce point particulier, il est difficile de prétendre qu’il s’agit d’un progrès.
Documents
Pour certains spécialistes comportementalistes et cognitivistes, l’hyperactivité est diagnostiquée comme un « trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) » (( Selon ces « spécialistes », Steve, le héros du film de Dolan, n’est pas hyperactif puisqu’il est capable de se concentrer pour réaliser des exercices scolaires, mais d’après ces mêmes spécialistes, ce trouble « touche 5% de la population générale, voir 25% si on y ajoute « les surdoués, les hyper-sensibles, les créatifs (Sic !), les procrastineurs, et ceux qu’on appelle les cerveaux droits ». Steve est donc diagnostiqué hyperactif )). Elle est considérée comme « un trouble neurobiologique ».1. Selon ces thérapeutes, la réponse à apporter a ce « trouble » doit être médicamenteuse. Pour soigner il suffit de d’absorber une substance (Ritaline, Concerta… ) pour palier à ce « disfonctionnement » de l’appareil neurobiologique et soulager la souffrance. En complément, un accompagnement psychologique peut être envisageable, mais la psychanalyse est très fortement déconseillée.2
Quelle est la nature du différend qui oppose la psychanalyse à ces pratiques thérapeutiques qui se disent pragmatiques et efficaces et qui se revendiquent « scientifique » par opposition à la psychanalyse, considérée à tort, comme intellectuelle, dogmatique et compliquée ? Parmi les arguments mis en avant il y a l’accusation de dénigrement systématique du comportement des mères qui seraient considérées comme « réfrigérentes » par la psychanalyse. Cet argument, qui fait florès sur les sites comportementalistes, fait référence aux propos de Léo Kanner, un médecin américain (qui n’était pas psychanalyste !) et qui à la même époque qu’Asperger en Autriche, a diagnostiqué les symptômes de « l’autisme infantile précoce » en 1942. Les travaux de Kanner et d’Asperger ont permis préciser la nature des troubles spécifiques de l’autisme et de les différencier de la déficience mentale, de la psychose et de la schizophrénie avec lesquels ils étaient jusqu’alors confondus. « Kanner suggère la possibilité d’un handicap biologique analogue aux autres handicaps physiques ou intellectuels innés, empêchant l’établissement de relations affectives. Il s’interroge seulement sur une éventuelle « contribution » des parents à la conditions des enfants ».3. Des recherches novatrices de Kanner, les thérapeutes comportementalistes et cognitivistes ne retiennent aujourd’hui que ses propos sur le comportement des mères d’enfants autistes, propos regrettables, mais qui se justifiaient à l’époque (1942) par l’état des connaissances sur l’autisme.4 Il est inexact et mensonger de prétendre que les psychanalystes continuent de stigmatiser l’attitude des parents. Aujourd’hui les psychanalystes qui travaillent avec des enfants autistes, Marie et Claude Allione5, Graciela Crespin6, préconisent d’associer intimement les parents aux thérapies des enfants autistes.
Une majorité des psychologues cognitivistes se revendiquent des recherches récentes en neurobiologie et propose une approche différente des troubles psychiques. Ils proposent de traiter les “pathologies psychologiques” comme des « neuropathologies” pour Gérald Edelman, directeur de l’institut de neurobiologie de « La Jolla » en Californie et prix Nobel de médecine: « les neurosciences sont la clé des processus d’apprentissage, des comportements sociaux, des dysfonctionnements neurologique et mentaux » (( GERALD EDELMAN, Colloque sur “La biologie de la conscience. Neurosciences, neuropsychiotrie, cognition” Paris, 2002, cité par Alain Ehrenberg dans son article: le sujet cérébral )). Une telle vision et un tel programme ne vise rien de moins qu’à établir une biologie de l’esprit, « une neurobiologie de la personnalité »7 . Pour Alain Ehrenberg, “ Si la recherche en neurobiologie moléculaire est évidemment nécessaire ” ce programme “fort” des neurosciences “ est un sous-produit typique d’une de nos croyances individualistes, à savoir que l’homme est d’abord enfermé dans l’intériorité de son corps, lieu de sa vérité, et qu’il entre ensuite, grâce à son esprit, en relation avec autrui pour former, par contrat, imitation ou contrainte, une société. (…) les neurosciences ont tendance à fétichiser le cerveau ”8. Peut ont traiter le cerveau comme s’il était “une âme matérielle” ?9 Ou réduire le psychisme à un fonctionnement biologique? Peut-on sans conséquence, « mélanger les affaires du philosophe et celles du savant ? » (( ALAIN EHRENBERG, “Le cerveau cérébral”, Esprit, n°304, page 138 )). Antonio Damasio, professeur de neurologie en Californie écrit dans un de ses ouvrages : “ Pensez à ce qu’aurait pu dire le prince Hamlet, s’il avait pu contempler (à l’imagerie cérébrale) ses propres trois livres des cerveau agitées de pensées confuses, plutôt que le crâne vide que lui avait tendu le fossoyeur » (( ANTONIO DAMASIO, “L’erreur de Descartes”, Paris, Odile Jacob, 1995, page 47, cité par Alain Erhenberg dans son article: “Le sujet cérébral” )) .“ Rien de plus! ” Lui répond Alain Ehrenberg,“ Il est envisageable d’individuer Hamlet par son cerveau, comme on pourrait le faire avec ses empreintes digitales. On obtiendrait ainsi son empreinte cérébrale, mais elle nous servirait surtout à dire « c’est Hamlet », à le désigner par son cerveau. L’identité biologique est une individuation. On pourrait éventuellement voir qu’Hamlet est jaloux, mais on ne pourrait dire de qui, ni pourquoi il est jaloux, car il faudrait qu’il nous le dise ou qu’on nous le raconte. Il y a peut être un relai biologique de la jalousie au niveau moléculaire, mais le réseau neuronal, le mécanisme cérébral ne pourrait être déclenché que si je sujet a des raisons d’être jaloux, et d’être jaloux avec quelqu’un avec qui il est en relation, dans un contexte qui lui donne des raisons, (bonnes, mauvaises, fausses, illusoires) de l’être. La jalousie est ressentie par moi parce que je suis dans une relation signifiante avec quelqu’un d‘autre. Le jaloux et le jalousé forment une paire, il sont relatifs l’un à l’autre en référence à l’objet de la jalousie. Peut-on détacher la jalousie du jaloux ? »10.
Pour Erhenberg : “ Les raisons sociales du succès populaire des neurosciences tiennent moins à leurs résultats scientifiques et pratiques qu’au style de réponse apportée aux problèmes posés par notre idéal d’autonomie individuelle généralisée. Elle permettent aujourd’hui de consoler ceux qui (…) ont des difficultés à faire face à ce monde de décisions et d’actions qui s’est édifié sur les ruines de la société de discipline, celle qui connaissait ce respect de l’autorité dont la perte fait l’objet de lamentations quotidiennes. (…) L’extension des frontières de soi que recouvre la normativité de l’autonomie (valorisation de soi, de l’action individuelle, de la « self-ownership ») fait que les conditions semblent réunies pour qu’une représentation de soi comme cerveau malade constitue une référence sémantique appropriée. C’est déjà le cas aux Etats unis au travers des transformations de l’autisme et de l’hyperactivité avec déficit de l’attention chez l’adulte. Le critère qui rend possible l’usage d’une pathologie cérébrale est l’incapacité sociale : c’est l’un des critères diagnostiques de l’autisme et le critère de l’hyperactivité… »11. Il ajoute : “ Supposons que l’on découvre un jour les mécanismes biologiques de la culpabilité, de la honte, de l’angoisse. N’aurions-nous pour autant plus aucune raison (sociale et morale) de nous sentir coupables, honteux, angoissés ? Ces sentiments jouent un rôle logique et anthropologique aussi indispensables à l’être humain pour vivre dans son corps. Nous sommes donc équipés biologiquement pour vivre comme des êtres sociaux. Cela implique de prendre comme critère du mental non l’intériorité, mais la signification, autrement dit la normativité sociale : sans corps, il n’y a pas d’être humains, mais sans vie sociale, sans monde commun non plus. ”12. Dans un article récemment publié intitulé « A quoi servent encore les hôpitaux de jour pour enfants ? »13, Marie Allione s’interroge sur l’usage de plus en plus fréquent qui est fait de médicaments comme la Ritaline destinés à calmer les enfants catalogués hyperactifs. La Ritaline est prescrite « si l’enfant bouge trop et n’est pas assez attentif, s’il est trop agité », mais aussi si “les parents agacés, eux-mêmes pressés par des rythmes de vie stressants, par un enfant turbulent et demandent un médicament pour le calmer. Les deux échappent au sens à donner à un signal que l’enfant envoie. Et tout cela profite aux laboratoires. On ne se pose pas la question par exemple de savoir combien de temps il passe devant ses jeux vidéos ni même si cet « allaitement télévisuel (( L’expression est de Pierre Delion )) le remplit d’excitations et encore moins si les parents arrivent à poser des limites, ce en quoi ils ne sont pas encouragés par la pression sociale, ou s’ils sont capables de se montrer eux-mêmes soumis à des limites. (…) L’histoire de l’hyperactivité avec déficit de l’attention est un des exemples les plus éclairants de la mainmise des laboratoires pharmaceutiques sur la santé, les diagnostics et les traitements qui en découlent. Le TDAH a été « inventé » aux États-Unis, par le psychiatre Léon Eisenberg (…) dont le médicament le plus connu est la Ritaline. Or, Léon Eisenberg a déclaré, sept mois avant sa mort : «TDAH est un exemple-type de maladie imaginaire »14. A propos de l’usage qui est fait de la Ritaline, Marie Allione commente une étude récente faite en Allemagne: « L’usage annuel de ce médicament en Allemagne est passé de 34 kg en 1993 à 1760 kg en 2011, ce qui représente une augmentation de 5076 % en seulement dix-huit ans. Peut-on sérieusement penser qu’en une génération le taux d’hyperactivité (c’est-à-dire d’enfants instables, dissipés, qui ont des difficultés de concentration) dans la population ait pu être multiplié par un facteur supérieur à cinquante ? Souvenons nous aussi qu’en l’espace de vingt ans le nombre d’autistes a été multiplié par plus de 20 passant de 4 à 5 cas pour 10000 à 1/100 et même 1/80 voir 1/50. »
Lire l’article sur Patrick Landman dans le Figaro : http://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/02/11/23373-dr-landman-lhyperactivite-existe-pas-tdah