Feu follet
Louis Malle
Avec Maurice Ronet (Alain Leroy), Léna Skerla (Lydia), Alexandra Stewart (Solange), Jeanne Moreau (Eva)
L'intrigue
Alain Leroy est en cure de désintoxication. Décidé à mettre fin à ses jours et quitte la clinique pour retrouver une dernière fois ses amis.
Photos et vidéos extraites du film
Reflets dans un miroir
Publié le par Pascal Laëthier
Jacques Rigaut, figure de la vie mondaine parisienne des années 20, est un écrivain dilettante qui a laissé quelques écrits épars. Toujours tiré à quatre épingles, proche des dadaïstes, séducteur, attachant, toxicomane et alcoolique, c’est un homme séduisant qui refuse le travail et qui a le goût de l’argent et du luxe. Il est gigolo à ses heures, engagé volontaire pendant la guerre de 1914, mais affecté à l’arrière, il est l’ex-mari d’une Américaine richissime, Gladys Barber. Le 6 Novembre 1929, Jacques Rigaut se suicide au revolver dans une clinique de Chatenay Malabry pendant une cure de désintoxication.
Deux ans après son suicide, son ami et confident, Drieu la Rochelle écrit « Le feu follet »1. Ce bref roman est une minutieuse reconstitution des dernières heures de la vie d’Alain Leroy, alias Jacques Rigaut. Mais « Le feu follet » de Drieu est plus que le portrait de l’ami disparu. A travers le récit du suicide de Rigaut, c’est la fin des années vingt (les années « folles ») que décrit Drieu, période trouble, incertaine et confuse qui se termine dans l’angoisse et l’incertitude des années 30 : (crise de 29, nazisme, fascismes, crises des droites…). Drieu reprendra et développera quelques années plus tard sa pensée sur cette période dans un roman plus abouti et « problématique » intitulé « Gilles » (1939)2. Il se suicidera en 1945 après quatre années de collaboration avec l‘occupant.
En 1962, Louis Malle, jeune homme de bonne famille, riche, cinéaste surdoué, à qui tout réussit, habitué de la vie nocturne parisienne, un peu paumé et « au fond du trou » comme il le dit lui-même, travaille sur le sujet de son cinquième film : « L’histoire d’un homme qui fait le bilan de sa jeunesse », quand il lit (ou relit) le roman de Drieu. Il abandonne le travail en cours et se lance dans l’adaptation de « Feu follet ».
Louis Malle conserve l’alcoolisme, oublie la toxicomanie et modernise le récit. Il fait de son « Feu follet » un film des années cinquante tout en restant très proche du texte de Drieu. Le tableau désespéré des années folles de Drieu se transforme en une minutieuse introspection existentielle dans l’esprit du Saint Germain des Prés d’après-guerre.
Louis Malle propose à Maurice Ronet, l’ami avec qui il a tourné son premier film, « Ascenseur pour l’échafaud », de tenir le rôle d’Alain Leroy, alias Jacques Rigaut. Il exige de Ronet, alcoolique, qu’il perde une vingtaine de kilos avant le début du tournage. La ressemblance physique entre Drieu, Malle et Ronet a souvent été remarquée par la critique.
Dans l’interview qu’il donne à la sortie du film et avec cette allure naïvement empruntée qui l’a fait longtemps ressembler à un adolescent attardé, Louis Malle déclare : Feu follet est un film « entièrement personnel, volontairement personnel, incroyablement proche de moi. (…) Je venais d’avoir trente ans. (…) Je pensais que ma jeunesse était terminée, comme Alain Leroy, le personnage du livre et du scénario. J’étais Alain Leroy ».
Le film qui sort le 15 octobre 1963 sur les écrans parisiens est le résultat d’un troublant jeu de miroir où se confonde l’image de Malle, de Drieu, de Rigaut et de Ronet. Avec le style de mise en scène qu’il affectionne et qui le caractérise, à la fois précis, méticuleux, froid, détaché et presque mécanique, Louis Malle observe « au scalpel » l’intimité de son héros. Il lui importe de se maintenir à la bonne distance de son personnage. Pas trop proche pour ne pas être envahi ou déçu et pas trop loin pour ne pas se perdre de vue soi-même.
Dans le film réalisé par Louis Malle, les femmes, l’argent, la drogue, l’alcool ne compte pas. Ce ne sont que les accessoires d’un jeu ou les prétextes d’une partie qui se joue ailleurs, entre garçons. Cette affaire entre hommes est considérée par les protagonistes avec le plus grand sérieux. Il s’agit de ne pas de se compromettre, de ne pas s’aliéner au monde, de rester toujours en de ça de son désir, de se maintenir dans le paradoxe et dans un espace d’indécision où rien ne se réalise, mais où tout reste possible et il s’agit finalement de prolonger le temps de l’enfance. Cette monstration obsessionnelle à caractère homosexuelle consiste à ne décider de rien, ou plutôt à faire et défaire, à dire et dédire, à s’engager et se retirer pour finalement jouir de passivement de l’équivoque et souhaiter cette suspension éternelle jusqu’à ce qu’elle se confonde avec la mort. Comme l’affirmait Rigault : « Il n’y a pas de raison de vivre, mais il n’y a pas de raison de mourir non plus »3
http://atheles.org/centpages/cosaques/lejourselevecavousapprendra/index.html ))