24 heures à New-York

Vuk Lingulov-Klotz

Avec Lio Mehiel (Feña), Cole Doman (John, l’ex petit ami), Mimi Ryder (Zoé, la sœur), Alejandro Goic (Pablo, le père)

Couleurs - 2023 - En salle

L'intrigue

Feña est un jeune trans latino-américain qui vit à New-York. En l’espace de 24 heures il retrouve ses proches qu’il n’a pas revus depuis sa transition. Il accueille son père qui vient du Chili pour le voir, il croise par hasard John son ex-petit ami dans un bar et retrouve sa jeune sœur sur son lieu de travail. Comment faire la paix avec son passé tout en faisant face aux défis de sa nouvelle identité ?

  • Lio Mehiel (Feña)

  • Cole Doman (John, l’ex petit ami) et Lio Mehiel (Feña)

  • Lio Mehiel (Feña) et Mimi Ryder (Zoé, la sœur)

  • Lio Mehiel (Feña), Mimi Ryder (Zoé, la sœur) et Cole Doman (John, l’ex petit ami),

  • Lio Mehiel (Feña) et Mimi Ryder (Zoé, la sœur)

  • Alejandro Goic (Pablo, le père) et Lio Mehiel (Feña)

  • 24 heures à New-York Affiche

Un événement

Vuk Lingulov-Klotz est Chilien et Serbe et il vit aux Etats-Unis, ce qui n’est pas sans importance pour un cinéaste qui réalise un film dont le héros est au carrefour de plusieurs identités. Vuk Lingulok-Klotz est trans, comme Feña, le héros de son film il constate les effets de sa transition sur son entourage. Feña ne remet pas en cause la différence des sexes avec laquelle il joue et invente, mais il n’accepte pas l’assignation unique et exclusive à l’un des deux sexes avec ses conséquences et ses effets normatifs.

24 heures à New-York est sorti cet été au milieu du mois d’août. Il a été peu vu et peu considéré par la presse et pourtant c’est un film remarquable. Il est tourné en 1/33, un cadre moins utilisé que le 1/66 ou le 16/9ième qui sont devenus la norme des films, des séries et des images que nous regardons sur nos écrans et nos smartphones. L’utilisation de ce cadre, plus carré, est moins courante aujourd’hui, résulte d’un choix du réalisateur qui n’est pas sans rapport l’objet de son film. Mathew Pothier, l’opérateur du film doit faire preuve d’une inventivité et d’une créativité renouvelées, les questions pratiques qui concernent la mise en scène – Où je mets la caméra ? Qu’est-ce que je montre ? Qu’est ce que je rentre dans l’image et où je coupe – qui font la différence entre la mise en scène et la mise en image se pose avec une acuité renouvelée.

24 heures à New-York n’est pas un film à thèse, ce n’est pas un film qui illustre un discours, c’est un film qui montre. Godard cite souvent la phrase d’Auguste Lumière : Le cinématographe est une invention sans avenir. On pourrait penser que Lumière s’est trompé en regard du succès rencontré par son invention, mais Lumière ne parle pas du cinéma, mais du cinématographe, de l’instrument qui s’apparente au microscope, de cet appareil qui sert à regarder, à voir et à montrer ce qu’on ne voit pas à l’œil nu. Le cinéma selon Godard ne sert pas à raconter des histoires, c’est le rôle assigné à la littérature, mais à montrer ce qu’on ne voit pas. Et c’est justement ce que fait Vuk Lingulov-Klotz quand il montre heure par heure le quotidien d’un jeune homme trans.

L’événement le plus marquant de ce début de siècle est celui de la prise en compte d’une partie des revendications féministes. Ce que disent les féministes de la condition des femmes n’est pas une nouveauté, mais leur discours a été soudainement entendu et s’est mis à produire des effets à la suite de MeToo, et ça c’est nouveau. A la recherche d’un évènement passé et vécu correspondant à ce changement, je me suis souvenu de la chute du mur Berlin en 89. Il se passait quelque chose de soudain et d’espéré dont je me réjouissait, mais non sans une certaine crainte, et en vérité je ne savais pas trop quoi penser sur le moment. A l’époque, j’étais dans une école de cinéma et mes professeurs étaient pour la plupart d’anciens communistes. Ils ne l’étaient plus, mais ils l’avaient été. Je me souviens de ce que l’un d’eux me disait : Pascal, si le mur a été érigé, c’est pour de bonnes raisons et ces raisons n’ont pas disparues. J’ai eu la chance peu de temps après de voir le documentaire de Marcel Ophuls November days sorti en 1990. Ophuls s’est précipité à Berlin après la chute du mur pour filmer l’évènement et ses conséquences immédiates. Dans ce film il interroge des intellectuels et les hommes politique de RDA (L’interview d’Heiner Muller est troublant d’étrangeté et d’ambiguïté), mais surtout on y voit des milliers de gens venus des deux Allemagnes qui se précipitent dans les bras les uns des autres. On est témoin de cet élan, de ce rêve de se retrouver enfin réalisé. Face à ce que montre Ophuls, tous les raisonnements, tous les discours, toutes les constructions intellectuelles à propos de la chute du mur ne tenaient plus. Ophuls en avait fait la preuve par l’image. C’était visible, palpable, massif et indiscutable. Les images disaient la vérité, elles imposaient l’évidence. Le mur n’allait pas se remonter et il fallait faire avec. C’était un évènement au sens structural du terme. Le monde avait changé, il fallait en prendre acte et inventer d’autres raisonnements, d’autres théories, d’autres élucubrations. Pour autant, comme la suite l’a prouvé, les difficultés et les problèmes n’avaient pas disparus, simplement nous étions dans un autre moment, différent de celui qui précède.
Je fais le rapport entre ce que montre le film d’Ophuls à propos du mur et ce que montre Vuk-Linguloz-Klotz à propos du phénomène trans.
Patrice Maniglier dans son livre : La philosophie qui se fait (( Patrice Maniglier, La philosophie qui se fait, Les éditions du Cerf, 2019 )), insiste sur la différence entre un fait et un événement. Un événement modifie de la structure sociale, provoque des remaniements et ouvre de nouveaux possibles, tandis que les faits sont contingents et n’affectent pas la structure. Patrice Maniglier analyse un évènement dont personne n’a mesuré l’importance au moment où il s’est produit : en 1992 les députés du parlement ont voté une loi qui donnait des droits identiques aux enfants légitimes et à ceux nés hors mariage. Le père, d’après la loi, devenait celui que le test ADN désignait comme étant le géniteur. C’est la technique qui tranche, ce qui n’était pas le cas avant puisque le père d’un enfant était le mari de la mère et ce, quelque soit son géniteur. Cette simple loi, décorrélait le mariage de la filiation et le rendait possible pour un autre usage. Patrice Maniglier voyait dans cet évènement une des causes qui ont rendu possible le mariage pour tous. Le mariage avait perdu sa fonction première et, décoléré de la filiation, devenait disponible pour un autre usage plus conforme à l’esprit de l’époque.
Si la catégorie femme ne contient plus les objets d’échange qui fondent le lien social d’après Lévi-Strauss, ils deviennent disponibles pour un autre usage plus conforme auxs nécessité de l’époque. C’est que révèle le phénomène trans.  

Dominique Coquard a écrit à propos de 24 heures à New-York :

Pour un jeune trans, les grandes mégapoles comme New-York sont des lieux où il est possible de vivre, de s’intégrer dans une communauté, d’avoir des ami(e)s, de travailler et d’afficher sans danger sa transidentité, malgré la confrontation constante avec sa différence. L’ex-petit-ami évoque l’homosexualité de Feña: Ça y est, tu es sortie de ta période de lesbienne radicale ? C’est le genre de remarque que les personnes trans reçoivent régulièrement comme des leçons de morale: C’est une mode, c’est transitoire, c’est un caprice, ça va passer. Feña n’a pas choisi. Ce n’est pas juste une femme qui s’est transformée en homme parce qu’elle aime les femmes puisqu’en l’occurrence, elle aime un homme avec lequel elle a une relation que l’on pourrait qualifier d’hétérosexuelle, d’ailleurs elle a conservé son sexe de femme : Je n’ai pas besoin d’une bite pour être un homme. Ces mots ont toujours, bien sûr, l’effet d’une déflagration. C’est le fameux mur de Berlin qui tombe même si les raisons pour lesquelles il a été construit n’ont pas disparues. Feña n’accepte pas d’être considéré, regardé en fonction de son sexe biologique. C’est peut-être à une autre catégorie qu’il se réfère : celle du neutre, comme le prénom qu’il s’est choisi ? Feña se sent homme et femme ou les deux et refuse l’assignation à un sexe, il préfère naviguer « entre », pour lui le sexe n’a pas de genre, La sexualité continue et continuera d’échapper à toutes normes, il n’y a pas de trace de la différence des sexes dans l’inconscient et c’est plutôt bon signe.

Une des plus belles scènes du film est celle de la reconnaissance paternelle attendue par Feña qui fait tant d’efforts pour que son père considère ce qu’il est devenu. Il le reconnaît comme son fils et rétablit la filiation. Une seconde naissance donc même si l’étape du changement d’état civil n’a pas encore été franchie.