la femme libre

Paul Mazursky

Avec Jill Clayburgh (Erika, la femme) Michael Murphy (Martin, le mari), Alan Bates (Saul, l’amant)

Couleurs - 1977 - VOD

L'intrigue

Erica et Martin sont mariés depuis 16 ans, ils ont plus de 35 ans et une fille de 15 ans. Ils habitent New-York. Erica travaille à mi-temps dans une galerie d’art et lui à Wall Street. Martin annonce brusquement à sa femme qu’il la quitte pour une femme plus jeune. Passé le choc, Erica découvre une nouvelle vie et un nouvel horizon

  • Alan Bates (Saul) et Jill Clayburgh (Erika,)

  • Jill Clayburgh (Erika)

  • Alan Bates (Saul) et Jill Clayburgh (Erika)

  • Jill Clayburgh (Erika) séquence de fin

  • Chez la psy

  • Réunion des amies

  • Jill Clayburgh (Erika)

  • Michael Murphy (Martin) et Jill Clayburgh (Erika)

  • Paul Mazursky

  • Paul Mazursky

  • Affiche La femme libre

  • Affiche Un Unmarried Woman

L’anti-bovary

Coursodon et Tavernier débutent ainsi leur article sur Paul Mazursky dans l’ouvrage de référence qu’ils ont écrit sur le cinéma américain : Cinéaste sympathique, sans prétention mais non sans ambition, il possède un univers, un ton, une morale que l’on retrouve de film en film (( Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, 50 ans de cinéma américain, Col Omnibus, Nathan, Paris, 1991)) ». Mazursky réalise des comédies douces amères aux éléments souvent autobiographiques qui sont autant d’études psychologiques décomplexées sur les modes, les mœurs, les habitudes et les pratiques sexuelles de la classe moyenne américaine.
An unmarried woman (titre américain de La femme libre) a été remarqué par le public et apprécié par la critique à sa sortie. Le film a été nominé aux Oscars et Jill Clayburgh a été récompensée par le prix d’interprétation féminine à Cannes en 1978, mais le film a étrangement disparu des écrans. (( Longtemps introuvable La femme libre sera disponible en VOD sur le site de filmoTV: https://www.filmotv.fr/film/la-femme-libre/7403.html )).
Il s’agit de la chronique d’une rupture conjugale simple et banale. L’histoire se passe en 1977 : la parenthèse des années soixante s’éloigne et la vague libérale n’a pas encore déferlé sur le monde. La crise se présente et l’inflation galope, mais les voitures sont encore énormes et gourmandes, l’affaire du Watergate est terminée depuis 3 ans, les missions Apollo et la conquête de la lune ont cessé depuis 1975, la même année l’armée américaine a été défaite et humiliée au Vietnam, la musique devient punk et s’ouvre une période certes confortable, mais fébrile, incertaine et déjà nostalgique. Une des amies d’Erika confie : C’était plus facile dans les années soixante, avec le Vietnam, les assassinats et les black panters, au moins on savait quoi faire
Au premier abord, le film de Mazursky semble égrener une succession de clichés. Erica fait partie d’un club de femmes où elle retrouve ses amies pour discuter de problèmes conjugaux, se raconter leurs aventures sexuelles et commenter leurs orgasmes, la fille d’Erika vit une histoire d’amour avec un garçon de sa classe, mais elle précise à sa mère qu’elle est toujours vierge, Martin, le mari, fond en larmes au détour d’une rue et annonce à sa femme qu’il la quitte pour une femme plus jeune, Erica va voir son médecin qui lui donne des conseils et lui fait des avances, elle décide d’aller voir une psy qui « se met à sa place », lui parle de son propre divorce et fait du « coaching ». Finalement, après avoir constaté que le monde ne s’est pas écroulé autour d’elle et que la vie continue, Erica prend des amants et « fait des expériences » en faisant bien attention de ne pas retomber dans les mêmes travers. Apparemment rien de très nouveau et original dans cette affaire, cependant Paul Mazursky n’est pas Claude Lelouch, il ne contente pas de faire des images et d’en jouer pour émouvoir. Erica n’est pas Madame Bovary, si elle fait face au machisme ordinaire de son milieu et doit repousser des hommes agressifs dont elle subit les assauts, elle n’est pas ravalée au statut exclusif d’objet sexuel dans un monde qui serait uniquement masculin et qui constituerait la totalité de son univers. Elle travaille, elle est indépendante, elle habite seule un appartement, s’occupe de sa fille et la fin de sa vie conjugale ne signe pas la fin de son existence, bref… Elle est libre comme le suggère le titre français. Et ce qu’elle découvre et met à jour par le biais de la tragédie sentimentale minuscule qui l’occupe, ce n’est pas une impasse et une impossibilité (comme l’héroïne de Flaubert), mais une perspective et un horizon nouveau. Erica découvre des ressources et un possible qui n’existaient avant la rupture et dont elle ne soupçonnait pas l’existence. L’époque a changé et Erica dispose des moyens pour être à la hauteur des enjeux qui se présentent. Elle ouvre une voie, invente et découvre une perspective qui n’était pas visible et concevable avant.
Le film de Mazursky s’intitule en anglais : An unmarried woman expression particulièrement signifiante et négative pour dire « une femme célibataire ». Le titre a été traduit par La femme libre en français (( Le film est sorti en France sous le titre « la femme libre » sans doute en raison du film homonyme de Godard de 1964 )). Ce qui préoccupe Mazursky et le sujet de son film tient justement dans le passage de : An unmarried woman à La femme libre.
Une fois séparée de son mari Erica découvre qu’elle est redevenue un objet de convoitise pour les hommes de son entourage qui littéralement lui saute dessus et essaie de la forcer à « faire du sexe », comme si c’était là sa seule et unique fonction. Elle déclare à sa psy : La vie d’une femme mariée est donc celle d’une putain ? Elle rencontre Saul, un artiste New-yorkais en vogue qui semble plutôt sympathique et s’intéresse à elle. Elle se laisse séduire, mais hésite. Pourtant ses amies la préviennent : Tu sais que les hommes comme Saül sont rares, par rapport à tous les crétins qu’on rencontre. Elle interroge son amant : Pour toi, je ne suis qu’un objet sexuel ? Saül est bien ennuyé, c’est la liberté et le détachement d’Erica qui l’attire et l’intrigue, mais il est « egosexuel » comme dit une des amies d’Erica et cette nouvelle conquête pèse peu en regard de l’intérêt qu’il porte à sa propre personne. C’est un artiste, elle n’est qu’une bourgeoise, il ne faudrait pas que cette relation mette en cause, son confort, son statut viril, sa capacité d’emprise sur les femmes et le conduise dans une zone où l’intérêt qu’il a pour cet objet d’amour se mue en angoisse. Il propose à Erica de venir passer l’été avec lui dans le Vermont où il a une maison pour travailler. Erica n’est pas disponible et se demande ce qu’elle va bien pouvoir faire dans le Vermont.

  • Saul : Viens avec moi ?
  • Erica : Je ne peux pas.
  • Tu es une femme libre ?
  • J’essaie de l’être.
  • Une femme méchante ?
  • Non, honnête.
  • Elle me rendra cinglé

Le film se termine par une scène exemplaire, une scène de comédie. Saul demande de l’aide à Erica pour descendre le long de la façade de son atelier une toile grand format qu’il vient de peindre. Il demande à Erica maintenir la toile debout sur le trottoir et se dirige vers sa voiture, puis part pour le Vermont laissant Erica seule avec ce « cadeau ». Erica est bien embarrassée avec cet objet dont elle ne sait que faire et qui lui va comme des guêtres à un lapin. Le film se termine sur la déambulation d’Erica dans New-York avec la toile de Martin. Métaphore ou plus simplement parabole de la situation d’une femme des années soixante-dix, qui défait le carcan qui l’enserre et se dégage d’elle-même mais qui s’encombre encore avec ce qui importe aux hommes. 
Le film de Mazurky n’est pas un chef d’œuvre et ne cherche pas à l’être et c’est peut-être ce qui fait son intérêt. Sa mise en scène n’est pas à la recherche d’une vérité formelle, idéique, esthétique ou romantique comme celle que cherchent les cinéastes français de son époque qui filment des femmes. Son travail est plus pragmatique, plus pratique et plus terre à terre. Mazursky est américain, il est hostile à toute fuite dans l’abstraction et à tout dogmatisme. Il regarde, observe et rend compte de l’histoire singulière de son personnage, reste à sa hauteur et ne cherche pas à en faire un idéal, un exemple, un modèle ou un archétype. On peut lui faire le reproche d’ignorer les rapports de classe, mais il est attentif à la question de race puisque Jim la patronne de la galerie où travail Erica est noire, ainsi qu’à la question homosexuelle puisque la psychanalyste d’Erica est lesbienne. Mazursky respire son époque qui est influencée par les travaux des féministes américaine qui deviendront ce que l’on appelle aujourd’hui les études de genre. Il est facile d’en rendre compte aujourd’hui alors que leurs travaux sont devenus une référence, voir une nouvelle norme. Quelques cinéastes y ont été sensibles dans les années soixante-dix. Mazursky est de ceux-là.