Transamerica

Ducan Tucker

Avec Felicity Huffman, (Sabrina « Bree » Osborne), Kevin Zegers (Toby, son fils), Fionnula Flanagan (Elisabeth, la mère), Burt Toung (Murray, le père)

Couleurs - 2005 - DVD

L'intrigue

Bree, une transgenre, doit se faire opérer pour devenir définitivement une femme, quand elle reçoit l’appel de Toby, son fils, emprisonné dans l’état de New York. Sur l’ordre de sa thérapeute, elle rejoint Toby pour lui venir en aide, mais n’ose pas lui avouer qu’elle était son père. Elle se fait passer pour une missionnaire chrétienne…

  • Felicity Huffman, (Sabrina « Bree » Osborne)

  • Felicity Huffman, (Sabrina « Bree » Osborne) et Kevin Zegers (Toby, son fils)

  • Kevin Zegers (Toby, le fils)

  • Kevin Zegers (Toby, le fils)

  • Felicity Huffman, (Sabrina « Bree » Osborne) et Kevin Zegers (Toby, son fils)

  • Felicity Huffman, (Sabrina « Bree » Osborne)

  • Kevin Zegers (Toby, le fils), et Felicity Huffman, (Sabrina « Bree » Osborne)

  • Felicity Huffman, (Sabrina « Bree » Osborne)

  • Felicity Huffman, (Sabrina « Bree » Osborne) et Kevin Zegers (Toby, son fils)

  • Burt Toung (Murray, le père) et Fionnula Flanagan (Elisabeth, la mère)

  • Transamerica: affiche

  • Transamerica: affiche

  • Felicity Huffman, (Sabrina « Bree » Osborne)

  • Fionnula Flanagan (Elisabeth, la mère)

  • Kevin Zegers (Toby, le fils),

  • Kevin Zegers (Toby, le fils), Fionnula Flanagan (Elisabeth, la mère) et Ducan Tucker (le réalisateur)

  • Ducan Tucker

  • Ducan Tucker

Les transsexuels sont-ils psychotiques ?

« Transamerica » est une comédie réaliste qui raconte la vie quotidienne d’une transsexuelle MF, (du masculin vers le féminin) confrontée à son passé (elle a été père avant son changement de sexe) et en but aux difficultés de la « vie réelle ». La vision du transsexualisme que propose Duncan est plutôt trash. Elle est à l’opposé de la vision rêvée et enfantine de Berliner dans son film : « Ma vie en rose » ou de l’idéal transsexuel et fantasmé décrit par Almodovar dans « La piel que habito ». Comme si cela ne suffisait pas, « Bree », l’héroïne du film est plongée au coeur de l’Amérique profonde, en contact avec de « vrais gens », ce qui ne manque pas de susciter les réactions les plus conventionnelles et attendues. En apparence, Ducan défend les transsexuels et soutient leur revendication, mais sa démonstration s’appuie sur une représentation de leur différence qui ne fait que conforter la norme. Le film de Duncan flirte avec la parodie et met en scène, sans grande finesse, l’éternel cliché du travesti et de sa différence devant un public d’hétéros outrés ou compréhensifs. Pour ne pas éloigner son public et froisser les spectateurs, Duncan tente d’élever le débat au-dessus son sujet, Duncan : « Le sujet du film n’est pas le transsexualisme, c’est l’histoire de Bree qui veut devenir une femme et qui apprend à devenir parent. (…) Ca a été douloureux, mais positif. (…) Elle a pu enfin devenir la mère que Toby attendait  » (( Interview de Duncan dans le bonus du dvd )) . Le point problématique du projet de Ducan est celui du choix d’une femme biologique pour jouer le rôle d’une transsexuelle. C’est Félicity Huffman, mère de deux enfants et oscarisée pour sa prestation, que Duncan a choisie pour jouer le rôle de « Bree ». Elle s’est enlaidie et virilisée pour rendre crédible son interprétation et raconte en détail comment elle a fait un travail de composition à rebours de celui des travestis. Elle à dû apprendre à jouer des caractères masculins (changement de voix, de démarche, de gestes, de posture, de port de tête, etc.) pour interpréter « Bree ». « Son jeu ne s’est jamais résumé à une série de tics » dit Duncan, ce que l’on ne peut qu’entendre comme une dénégation. Il s’agit de l’opposé de la démarche de metteurs en scène de théâtre contemporain qui font jouer les rôles masculins par des femmes pour tenter de donner corps à leur questionnement sur les rôles de genre. Ducan et Huffman cherchent avant tout à copier l’image qu’ils se font d’une transsexuelle FM. Un film ne peut se passer d’une interrogation sur les moyens de sa mise en scène.

Documents

Christine (Georges) Jorgensen en 1943, 1952 et 1975

Christine (George)Jorgensen 1943, 1952 et 1975

« Psychose », c’est le terme scientifique usuel qui sert à nommer la folie. Prétendre que les transsexuels sont psychotiques n’est donc pas une affirmation neutre et sans conséquence. Les militants intersexes (personne au sexe indéterminé), les transsexuels ou les transgenres (personne qui revendique une identité de genre différente du sexe de naissance) n’acceptent plus d’être traités comme des malades mentaux et luttent pour la reconnaissance et la défense de leurs droits. Ils refusent que le transsexualisme soit considéré comme « un désordre mental ». Pat Califia, un transsexuel FM, affirme : « Une nouvelle sorte de personne transgenre est apparue, celle qui aborde la réassignation sexuelle dans le même état d’esprit que si elle demandait un piercing ou un tatouage » ((PAT CALIFIA, « Le mouvement transgenre, changer de sexe », 2003, Paris EPEL, page 306, Cité par Colette Chiland )). Pour Colette Chiland, psychiatre spécialiste du transsexualisme en France, l’opération chirurgicale d’un transsexuel est « un traitement qui consiste a effectuer une mutilation, à transformer un organisme sain en un organisme nécessitant un traitement hormonal permanent de substitution, un corps normalement sexué en un corps intersexués. Il ne se justifie médicalement que si le sujet est amélioré dans sa santé psychique faute d’être amélioré dans sa santé physique, et qu’on n’ait pas trouvé de meilleur moyen d’y parvenir » (( COLETTE CHILAND, « Changer de sexe », chez Odile Jacob, 2011, Page 174 )).
La demande que le transsexuel ou la transsexuelle adresse aux médecins a une particularité. Quand une transsexuelle MF, (c’est à dire masculin vers féminin) ou qu’un transsexuel FM, (c’est à dire féminin vers masculin) adresse une demande de réassignation aux médecins, il ne demande pas à changer de sexe, il est de l’autre sexe. Il demande au psychiatre, au chirurgien et à l’endocrinologue de corriger l’erreur de la nature et de transformer son corps pour lui permettre de retrouver le sexe qui n’a cessé d’être le sien. Dans le cas d’une transsexuelle MF, il s’agit donc d’un individu qui a l’apparence d’un homme, avec un pénis, de la barbe, des chromosomes masculins (XY) et une identité masculine déclarée sur son état civil, qui affirme être une femme. Sa demande place le psychiatre dans une situation pour le moins inconfortable. Dans l’ouvrage de référence qu’il a écrit sur la question transsexuelle, Pierre-Henri Castel fait part de sa perplexité : « Voilà une pathologie dont on n’arrive pas à savoir si elle en est une, parce qu’elle est auto-diagnostiquée, que sa thérapie par les hormones ou la chirurgie est auto-prescrite, et que le résultat final sera évidemment aussi auto-évalué. Le médecin, endocrinologue ou psychiatre, peu importe, est complétement instrumentalisé au service d’une demande sur laquelle il ne peut se faire d’idée objective. Il est, en tous les points où il s’efforce de pénétrer et d’évaluer les propos du transsexuel, rejeté à l’extérieur par la courbure d’un cercle argumentatif parfaitement clos. Peu de psychiatres apprécient… Mais c’est peut être, encore une fois, l’aveu que le transsexualisme n’est pas leur affaire… » (( PIERRE HENRI CASTEL, « La métamorphose impensable, essai sur le transsexualisme et l’identité personnelle », Paris, Gallimard, 2003, Page 48 )).
Freud avait étudié le cas du Président Schreber, un notable, président du tribunal de Dresde qui à la suite d’un effondrement psychique et d’une crise effroyable, était parvenu à se stabiliser grâce à un délire dans lequel il affirmait être devenu la femme de Dieu et avait pour mission de donner au monde une nouvelle race d’homme. L’élaboration théorique de Freud sur Schreber est devenue le modèle d’étude des cas de paranoïa (et de psychose) pour les psychanalystes. Mais rien de semblable chez les transsexuels, ils ne connaissent pas l’anéantissement caractéristique de Schreber, leur demande n’émerge pas d’une transformation psychique et ne semble pas résulter d’une élaboration complexe. Pierre-Henri Castel : « On l’a dit et redit, il est exclu de qualifier tous les transsexuels de délirants aux sens psychiatrique : sauf exception, nulle voie hallucinatoire, nul grossier déni de la réalité, ne les affectent. » (( PIERRE HENRI CASTEL, « La métamorphose impensable, essai sur le transsexualisme et l’identité personnelle », Paris, Gallimard, 2003, Page 351 )).
Lacan est le premier en France à avoir suivi un transsexuel en psychothérapie de 1952 à 1954. La relecture qu’il opère de la théorie freudienne du cas Schreber dans le séminaire “Les psychoses” (1955- 1956) en porte la marque. D’après Pierre Henri Castel, Lacan substitue “ à l’interprétation littérale de « l’homosexualité refoulée » du malade, selon Freud, une théorie, sans équivalent, de la transformation psychotique. (…) Loin de se vouer à expliquer en termes psychanalytiques le syndrome transsexuel tel qu’on l’objective en médecine, Lacan a construit sa théorie de la psychose autour du mécanisme spécifique de la transsexuation, mécanisme affleurant dans toute psychose – dans l’ébranlement du lien inconscient d’un sujet au sexe et à la mort » (( PIERRE HENRI CASTEL, « La métamorphose impensable, essai sur le transsexualisme et l’identité personnelle », Paris, Gallimard, 2003, Pages 351 et 352 )).
Pierre Henri Castel risque une explication à partir des travaux du psychiatre américain Kernberg sur les états limites: « Pour Kernberg les pathologies narcissiques sont la vérité métapsychologique de la condition dite des « états limites » (borderline), autrement dit de ces états à la frontière de la psychose et de la névrose, qui mettent en difficulté la cure-type (où l’interprétation du transfert est interprétation du rôle d’objet qu’a l’analyste dans la cure.) (…) Les états limites ont conservé en général un investissement objectal (au sens d’un rapport à la réalité environnante) presque normal : on ne peut pas les considérer comme désadaptés par un délire. Mais chez eux, le passage à l’acte surgit très vite, comme si la mentalisation était difficile, voire interdite. On ne trouve pas de symbolisation riche, et leur propos est fonctionnel, sans métaphores. Enfin leur corps est frappé de symptômes non conversifs, psychosomatiques. La faiblesse du self est la clef de ces symptômes. Tout se passe comme si ces patients manquaient du pivot d’identité qui permet la réidentification de leurs investissements objectaux, leur intériorisation et leur appropriation personnelle. D’où l’échec thérapeutique de l’interprétation, et surtout de l’interprétation standard du transfert, puisque l’espace interne où la faire résonner fait défaut, malgré la conservation de l’épreuve de réalité » (( PIERRE HENRI CASTEL, « La métamorphose impensable, essai sur le transsexualisme et l’identité personnelle », Paris, Gallimard, 2003, Pages 262 et 263 )).
Plus simplement, Kate Bornstein, une artiste et performeuse transsexuelle (MF), donne son avis éclairé sur la question :
« Changer de sexe ? Mais c’est aussi simple que d’apprendre à voler : On se jette en avant, et on rate le sol… ».
Librement ou à notre corps défendant, observé comme un signe ou un symptôme, le transsexualisme bouleverse ce que nous concevons de notre identité sexuée et modifie en profondeur la conception de la sexualité. Henry Frignet, psychiatre et psychanalyste, s’interroge sur les effets et les changements provoqués par le transsexualisme depuis l’apparition de ce phénomène dans les années cinquante. Quel est le sens des réponses apportées par les psys, les médecins et les juristes à la demande de ceux qu’on appelle aujourd’hui les « trans », réponses qui privilégient la mise en acte sur le questionnement et l’opération chirurgicale sur les mots? Frignet reprend à son compte la dissociation faite par Lacan en 1971 entre transsexuel et transsexualiste:  » Les « transsexuels » sont enracinés dans la psychose alors que pour les transsexualistes, l’intervention chirurgico-hormonal est une transgression qui constitue une réponse à leur refus de la différence des sexes.  » (( HENRY FRIGNET, « Le transsexualisme », Paris, Desclée de Brouwer, Coll. Psychologie, 2000, P.17 )). Le transsexualisme a aujourd’hui cessé d’être considéré comme une pathologie, pour le corps social c’est le lieu d’où il est possible de décider du choix de son identité sexuelle. Il semble même qu’aux Etats-Unis et en Europe du Nord la possibilité de changer de sexe apparaisse comme une victoire de la liberté individuelle. « Cette fascination qu’exerce le transsexualisme lorsqu’il produit sur la scène un sujet, héraut (def : messager) à son insu, d’une liberté sans limites à l’endroit de ce qui fait notre infirmité : notre rapport au langage dans la sujétion (def : assujettissement à une contrainte ou nécessité) qu’il comporte au réel, y compris sexuel : « Je (homme ou femme) parle depuis mon propre sexe, d’un sexe que je ne connais pas. » De ce rapport, le transsexualisme nous dit qu’il est affranchi : le transsexuel prétend pouvoir parler, en vérité, de sexe, à partir de l’assise de certitude que lui donnerait la connaissance du sien. Une telle position est soit folie – chez les transsexuels – soit duperie – chez les transsexualistes ».
L’expansion du transsexualisme, rapproché, en tant que phénomène social, de la toxicomanie, est révélatrice de ce « malaise dans la civilisation » qu’annonçait Freud en 1929, et que Lacan a stigmatisé à son tour en annonçant dix ans plus tard, le déclin de l’imago paternelle. Ce que recouvre cette expression et la référence qu’on trouve tout au long de l’œuvre lacanienne, n’est pas à entendre comme le regret nostalgique de la disparition d’un pouvoir paternel presque sans limites, tel que l’incarnait le « pater familias » des cultures gréco-romaines, et tel qu’il existe encore de nos jours dans d’autres sociétés. Il est plutôt à percevoir comme la perte d’efficience (def: efficacité) dans notre société occidentale, et maintenant mondialement du fait de la diffusion massive de la culture dominante, de ce qui assure la spécificité d’un sujet : nous tendons à devenir des « pareils », qui utilisent les mêmes gadgets, regardent les mêmes chaines de télévision, mangent les même nourritures et boivent les mêmes boissons, portent les mêmes jeans… Cette uniformisation des conduites s’accompagne d’un déclin de la subjectivité qui transparait dans nombre de secteur de notre vie sociale comme dans l’orientation de nos destins individuels. On peut se demander si la poussée du phénomène « trans » aux Etats-Unis n’est pas une réaction contre cette uniformisation imposée par le modèle dominant, l’originalité subjective étant alors recherché par ceux qui s’en réclament et y militent dans le refus radical de la bipartition sexuelle communément acceptée «  (( HENRY FRIGNET, « Le transsexualisme », Paris, Desclée de Brouwer, 2000, Coll. Psychologie, Page 150 )).