Tout va bien, the kids are all right

Lisa Cholodenko

Avec Annette Bening (Nic, un parent), Julian Moore (Jules, un autre parent), Mia Wasikowska (Joni, la fille), Josh Hutcherson (Laser, le fils), Mark Ruffalo (L’amant)

Couleurs - 2010

L'intrigue

Nic, Jules, Joni et Laser forment une famille unie. Les deux parents sont deux femmes homosexuelles ayant chacune eu un enfant par insémination avec le même donneur. Arrivés à leur majorité, les enfants décident de contacter leur géniteur sans en informer les parents. Il en résulte une suite de quiproquos et d’aventures qui mettent la famille à l’épreuve.

  • Annette Bening (Nic) et Julian Moore (Jules)

  • Annette Bening (Nic) et Julian Moore (Jules)

  • Mark Ruffalo (L’amant)

  • Mia Wasikowska (Joni, la fille) et Josh Hutcherson (Laser, le fils)

  • La famille

  • Mia Wasikowska (Joni, la fille)

  • Josh Hutcherson (Laser, le fils)

  • Mia Wasikowska (Joni, la fille)

  • l'affiche
  • Jacquette dvd

  • Lisa Cholodenko

  • l'affiche

Une famille homo est une famille hétéro comme les autres…

Lisa Cholodenko fait partie de la nouvelle génération de réalisateurs américains indépendants qui émergent à la fin des années 90. Ses films précédents « High Art » (1998) et « Laurel Canyon » (2002) sont de remarquables films de fiction qui, bien qu’américains, regardent du côté de l’Europe et plus précisément du côté du cinéma d’auteur français. Lisa Cholodenko est une femme progressiste, libérale et lesbienne qui réalise une comédie militante pour montrer que dans une famille homo, tout va bien et que les enfants sont aussi bien élevés (ou pas plus mal) que ceux des autres familles. Elle y parvient correctement et son film est sympathique, emprunt d’une bonne humeur et d’une vitalité communicative. Cholodenko ne fait pas une thèse universitaire, mais une comédie de mœurs enlevée et comme à son habitude elle se joue des paradoxes et n’hésite pas à poser de manière pertinente les problèmes posés par la filiation dans une famille homoparentale.
On sourit avec sympathie quand un homme fait intrusion et sème un désordre bon enfant dans cette famille homoparentale. Cholodenko met la bonne question dans la bouche des enfants du couple à propos du statut de leur géniteur: « Qui est ce type pour nous ? ». On se demande où va le film quand l’une des mères attirée par un irrépressible désir pour le géniteur de son fils en fait son amant. On peut remarquer qu’en tombant dans les bras de cet homme la mère « fabrique » la scène primitive qui manque à son fils.
Si la question de l’autre sexe ne se pose pas, « en apparence », dans le couple homosexuel, elle ne peut être évacuée et niée dans la filiation sous peine de faire retour. C’est bien ce que montre le film de Cholodenko. Elle réussit à montrer qu’une famille homosexuelle peut être une famille unie, vivant en bonne intelligence et respectueuse des droits et des devoirs de chacun. Elle nous convainc qu’un couple homosexuel peut parfaitement aimer et bien élever ses enfants. Mais la famille, homoparentale ou pas, est toujours une famille différente avec son histoire particulière et sa singularité. Pourquoi cherche-t-elle  à démontrer que cette famille homoparentale est une famille « comme les autres » et surtout, fallait-il aller chercher « les autres » si loin et prendre à son compte et intégralement les valeurs caricaturales du couple parental hétérosexuel conservateur et républicain ? Fallait-il mettre dans la bouche du couple homoparental les propos les plus éculés et réactionnaires sur la famille pour qu’ils deviennent tout à coup pertinents ? Les valeurs de la famille se défendent d’elles-mêmes, pourquoi ne sont-elles acceptables que menacées par la lubricité d’un hétéro ? Les propos de Julian Moore qui dénonce l’adultère et défend les valeurs du mariage, de la famille et de la propriété devant sa compagne et ses deux enfants n’ont rien à envier à ceux des personnages des pires films du cinéma français des années cinquante. Les films contre lesquels la Nouvelle Vague s’est justement constituée.
Ce qui paraît évident et dans l’ordre de l’évolution, c’est que les homosexuels aient des droits, dont celui de fonder une famille et d’élever des enfants. Ce qui l’est moins c’est le besoin d’adosser cette revendication à une certaine idéologie conformiste qui repose sur la défense d’une vision du monde où les parents n°1 sont au travail, les parents n°2 au foyer, les enfants à l’école et où les amants sont éconduits au nom de la défense de la propriété et de l’ordre établi. Ce qui est paradoxal dans « Tout va bien, the kids are all right » ce n’est pas que les familles soient homoparentales, mais que le rôle de l’amant, glandeur, jouisseur, déconnant et contestataire, autrefois dévolu à l’homosexuel, soit aujourd’hui occupé par l’hétéro célibataire. Ca donne terriblement envie d’être du côté de celui qui empêche que ça tourne en rond dans les familles.

Documents

Elisabeth Roudinesco dans son livre «  La famille en désordre », analyse au conditionnel, les bouleversements qu’ont engendrés pour la famille, l’usage possible des nouvelles techniques d’insémination, de fécondation de procréation assistée. (( ELISABETH ROUDISNESCO, La famille en désordre, Paris, Fayard, Col. Histoire de la pensée, 2002, Pages 200 et 201 ))

« Si l’on pouvait désormais se passer de l’acte sexuel pour fabriquer des enfants, et si l’on savait reproduire la fécondation hors du corps de la mère et à l’aide d’une semence qui n’était pas celle du père, cela voulait dire que l’institution mariage devait être repensée de fond en comble. Car celle-ci reposait sur l’idée que l’acte sexuel a pour corollaire la procréation, et que la paternité sociale est inséparable de la paternité biologique. Or, la contraception, d’une part, et la procréation médicale assistée de l’autre, semblaient apporter un démenti flagrant à tout cet héritage judéo-chrétien sur lequel s’était construit la famille moderne. Non seulement le père géniteur risquait d’être réduit à une semence, mais il cessait d’être « incertain ». Son nom (…) ne servait plus de preuve irréfutable à une paternité désormais « prouvée » par la science. Quant à la mère, elle se voyait dépossédée par une éprouvette (ou « fivette ») de l’origine corporelle de la fécondation. En outre elle était en passe d’être incertaine au moment même où le père cessait de l’être ».  

Dans un livre intitulé « Fonction maternelle, fonction paternelle », Jean-Pierre Lebrun définit ce qui a changé, ou plus exactement ce qui n’a pas changé, dans le rôle des pères et des mères. (( JEAN-PIERRE LEBRUN, « conclusion », Fonction maternelle, fonction paternelle, Bruxelles, Fabert, Col Yapaka, 2011, pages 53 et 54 ))

« Même si la parentalité donne à penser le contraire, les fonctions de la mère et du père restent bien différenciées. (…) L’enfant a d’abord un lien avec un premier autre qu’on appelle la mère, qui inclut une intimité, un corps à corps, une manière d’être parlé par cet autre… et ensuite, un lien avec un deuxième autre, qui se soutient davantage de la dimension symbolique, simplement parce qu’il n’a d’existence que par les mots. Il n’y a de père que dans le langage.
Pour soutenir cette tâche, le père, dans son intervention concrète, a besoin de l’appui de la reconnaissance de la mère, mais aussi d’une légitimité qui lui vient d’ailleurs. C’était pendant des siècles, le patriarcat. Le règne de celui-ci est terminé et le père d’aujourd’hui peine à trouver une nouvelle légitimité dans la démocratie, souvent confondue avec un « égalitariat ». On pourrait dire que sous le patriarcat on ne voulait pas se passer du père, alors que sous « l’égalitariat » on ne veut pas s’en servir. Autrement dit, sa légitimité tient à ce qu’exige l’humanisation mais, aujourd’hui, elle se voit récusée parce qu’elle vient rappeler la dissymétrie irréductible qu’introduit le langage dans le sexualité humaine.
S’ensuit une défense inédite contre le sexuel qui consiste à prôner la parité, légalité, la virginité d’un hors sexe, la symétrie qu’exigerait l’égalité démocratique, toute cela pour éviter le hiatus et pour ne pas avoir à se mouiller dans cette affaire.
(…)
C’est ce changement qui favorise ce que j’ai appelé la mèrversion, et qui provoque de plus en plus fréquemment le tableau clinique d’un enfant qui n’est plus que de sa mère, même si le père est toujours présent ».

Elisabeth Roudinesco définit les nouveaux enjeux de la famille d’aujourd’hui. (( ELISABETH ROUDISNESCO, La famille en désordre, Paris, Fayard, Col. Histoire de la pensée, 2002, Pages 238 à 240 )) définit les nouveaux enjeux de la famille d’aujourd’hui.

« Il faudra bien admettre un jour que les enfants de parents homosexuels portent comme d’autre la trace singulière d’un destin difficile. Et il faudra bien admettre aussi que les parents homosexuels sont différents des autres parents. C’est pourquoi notre société doit accepter qu’ils existent tels qu’ils sont. Elle doit leur accorder les mêmes droits qu’aux autres parents, mais aussi leur réclamer les mêmes devoirs. »
(…)
« L’enfance des homosexuels occidentaux du XX siècle fut mélancolique. Il y eut d’abord, dès le plus jeune âge, le sentiment d’appartenir à une autre race. Il y eut ensuite la terrible certitude que l’inclinaison maudite ne pourrait jamais être réprimée. Il y eut enfin la nécessité de l’aveu, l’obligation de dire à des parents incrédules, et parfois violement hostile, qu’ils avaient engendré un être sans avenir, voué à une sexualité honteuse et sauvage et surtout incapable de leur offrir une descendance. (…) Nombreux furent ceux qui se haïrent eux-mêmes, cherchant dans le suicide ou le semblant la fin de leur calvaire ou dans l’anonymat des villes, la fierté d’exister pour une « autre famille »: celle de la culture gay. (( Elisabeth Roudinesco cite en référence le livre de Didier Eribon : « Réflexions sur la question gay » Fayard, 1999 )) C’est alors que le sida décima toute une génération née entre 1945 et 1960, au moment même où elle finissait de conquérir sa liberté. (…) Faudrait-il donc qu’en devenant parents les homosexuels d’aujourd’hui se mettent à effacer de leur mémoire les traces de ces souffrances afin que leurs enfants n’en héritent pas ? Faudrait-il qu’ils rejettent leur inclinaison sexuelle et les révoltes de leur jeunesse pour ne pas les donner en exemple à leurs enfants sommés de ne jamais leur ressembler ? Plutôt que d’obéir à une telle injonction, on peut penser qu’il est préférable pour chacun d’être parent avec son histoire et avec son inconscient. » 

Dans la suite de la récente relecture de l’Anti-Oedipe de Deleuze et Guattari, Didier Eribon, dans un ouvrage polémique et récent intitulé « De la subversion », règle violemment ses comptes avec la psychanalyse ((DIDIER ERIBON, De la subversion, Paris, Edition Cartouche, 2010 )). Cet article n’a pas pour but d’alimenter la controverse, aussi je m’en tiendrai au sujet qui nous occupe. Didier Eribon définit les nouveaux enjeux que posent le mariage homosexuel et la famille homoparentale, et ébauche une manière différente de poser le débat.

« Quand on entend poser aujourd’hui la question – et on l’entend beaucoup en ce moment en France : « Pourquoi les homosexuels veulent-ils se marier, pourquoi veulent-ils élever des enfants ? », comme s’il s’agissait d’une extraordinaire nouveauté, il est assez facile de répondre qu’ils l’ont toujours fait. Tous ces discours qui nous disent qu’autrefois les gays et les lesbiennes étaient subversifs et que, aujourd’hui ils deviennent conformistes, n’ont aucun sens. Les revendications juridiques actuelles se situent à la rencontre de deux réalités qui ont cohabité jusqu’ici et qui cherchent désormais à coïncider ; le couple durable de même sexe (des couples qui se sont pensés comme mariés : on pourrait ici évoquer Gertrude Stein et Alice Toklas, Benjamin Britten et Peter Pears, pour ne parler que des couples célèbres, mais cela a concerné, évidemment un très grand nombre de couples) et le mariage des homosexuels dans le cadre de couple hétérosexuels (et qui ont élevés des enfants). Si le couple homosexuel a été une réalité vécue par d’innombrables individus, et qu’il est donc une réalité vivable, viable, si le mariage des homosexuels l’a été tout autant, pourquoi le mariage homosexuel  ne pourrait pas le devenir au point même d’être déclaré non seulement impossible, mais impensable par des cohortes d’idéologues (évêques, psychanalystes, anthropologues, « sociologues » de la famille, etc.) ? (( DIDIER ERIBON, De la subversion, Paris, Edition Cartouche, 2010, page 58 et 59 ))