Récréations

Claire Simon

Avec Avec les enfants d’une classe de maternelle à Paris

Couleurs - 1992 - DVD

L'intrigue

Claire Simon montre les histoires et les drames que vivent les enfants d’une maternelle parisienne à l’heure de la récréation

  • Affiche

  • Claire Simon

Existe-t-il une nature humaine ?

Claire Simon, la réalisatrice de « Récréations » répond à Gérard Copans, le producteur, qui la questionne sur ses motivations (( Entretien entre Richard Copans, le producteur et Claire Simon, réalisé à Paris en mars 2003, filmé par Michel Toesca et monté par Catherine Gouze et disponible dans les suppléments du dvd édité par Doriane film et les films d’ici. )) : «  Je pense que j’étais arrivée à l’âge ou je pouvais regarder ça… Je pense que c’est terrible, pour tous les enfants, ce qui se passe dans la cour, c’est très beau, mais c’est terrible et toute la vie on a honte de ça. Il faut arriver un jour à le regarder. (…) La première fois que j’ai emmené Manon, ma fille, dans cette école et que j’ai vu la cour… Et je me suis dit, si elle s’en sort là, elle s’en sortira partout. » (( Les propos de Claire Simon ont été « mis en forme » par mes soins pour les besoins de cette publication. )) Pour Claire Simon, la cour de récréation est un endroit très particulier : « Je voulais que l’on voit ce lieu comme un lieu philosophique, comme un lieu abstrait… Que ce soit pour les enfants, pour les humains de manière générale, pour moi les regardant, pour tout le monde, un lieu d’expérience philosophique ». Pour la réalisatrice, la cour de récréation est le lieu qui permet de mettre à l’épreuve les questions les plus essentielles : « Comment je fais avec l’autre ? (…) Comment vit-on ensemble ?… Est-ce qu’il y a une alternative à vivre ensemble, comme l’état de nature ou je ne sais pas quoi ? Je ne crois pas… Donc non ! On est là et on joue la vie avant de la vivre. C’est là qu’on va la vivre au plus fort, dans un endroit dont on sait qu’il est relativement peu dangereux. Donc c’est une scène de théâtre ». Elle ajoute : « Il faut que ce soit libre la récréation, c’est fondamental. Pour les enfants, c’est la première fois de leur vie qu’ils s’essaient à la liberté ». Claire Simon se défend d’avoir fait un film de recherche ou un film a usage pédagogique. « Ce que je cherchais, (…) c’était d’arriver à voir les histoires… J’avais l’impression que Shakespeare était dans la cour, c’est très prétentieux de dire ça, mais que les drames, les grands drames de l’humanité, étaient là… Il y en avait en tout cas. C’est à dire des choses terribles, c’est à dire d’être soumis aux sentiments ». Ce qui se passe dans la cour de récréation nous marque à jamais, c’est aussi ce que l’on oublie en grandissant, ce que l’on refoule. « C’est l’âge de l’amnésie infantile… Il y avait aussi ça dont je ne me rendais pas compte en faisant le film et qui était très fort, c’est que je filmais des choses qui de toutes façons allaient se perdre ».
Le film de Claire Simon nous confronte à un passé oublié, refoulé. C’est une expérience si troublante et dérangeante qu’elle provoque souvent une réaction immédiate de la part du spectateur. Il éprouve le besoin d’interpréter ou de chercher le secours d’une construction théorique  pour « maîtriser » ce que le film fait surgir. Les interrogations que suscitent le film de Claire Simon dépassent de loin les questions que nous sommes à même de formuler. « Récréations » interroge de manière radicale notre manière de penser l’humanité, l’enfance et l’éducation, mais aussi l’altérité, la différence des sexes et le genre. Je n’ose pas dire que Claire Simon se montre très freudienne et qu’elle ruine toute conception d’un possible humanisme, ce serait déjà une interprétation excessive qu’elle réfuterait sans doute. Mais elle montre l’homme en proie au déchainement des pulsions, juste avant la période de latence et au moment ou les pulsions partielles sont en passe d’être « liées » pour former la pulsion sexuelle comme le dit joliment Freud. Chaque fois que, sous la contrainte extérieure d’un stade de son développement, d’une rencontre ou d’un bouleversement intérieur, l’équilibre précaire du moi est menacé, le déchaînement des pulsions menace. L’adolescence et la vieillesse sont deux moments dans la vie humaine ou cette instabilité structurelle se manifeste.
Cinepsy vous propose deux films sur ces moments significatifs ou les pulsions assaillent à l’individu : « Después de Lucia » de Michel Franco et « Le chat » de Granier-Deferre.

Documents

Dans le séminaire sur les Psychoses, Lacan commente le virage opéré par Freud à partir de 1915, virage qui a consisté à remettre le narcissisme au centre de sa théorie du psychisme. Lacan en tire les conséquences et notamment en ce qui concerne l’agressivité:
Extrait des psychoses de Jacques Lacan dans la version proposée par Jacques Alain Miller :

« C’est très exactement ce à quoi sert le stade du miroir. Il met en avance la nature de cette relation agressive et ce qu’elle signifie. Si la relation agressive intervient dans cette formation qui s’appelle le moi, c’est qu’elle en est constituante, c’est que le moi est d’ores et déjà par lui même un autre, qu’il s’instaure dans une dualité interne au sujet. Le moi est ce maître que le sujet trouve dans un autre, et qui s’instaure dans la fonction de maitrise au cœur de lui-même. Si dans tout rapport, même érotique avec l’autre, il y a quelque écho de cette relation d’exclusion : « c’est lui ou moi », c’est que sur le plan imaginaire, le sujet humain est ainsi constitué que l’autre est toujours près de reprendre sa place de maitrise par rapport à lui, qu’en lui il y a un moi qui lui est toujours en partie étranger, maître implanté en lui par dessus l’ensemble de ses tendances, de ses comportements, de ses instincts, de ses pulsions. Je ne fais rien d’autre que d’exprimer d’une façon un peu plus rigoureuse et qui met en évidence le paradoxe, le fait qu’il y a un conflit entre les pulsions et le moi, et qu’il faut faire un choix. Il y en a qu’on adopte, il y en a qu’il adopte pas. C’est ce qu’on appelle, on ne sait pourquoi, la fonction de synthèse du moi, puisque au contraire, cette synthèse ne se fait jamais. On ferait mieux de dire fonctions de maîtrise. Et ce maître, où est-il ? A l’intérieur ou à l’extérieur ? Il est toujours à la fois à l’intérieur et à l’extérieur, c’est pourquoi tout équilibre purement imaginaire à l’autre est toujours frappé d’une instabilité fondamentale ». (( JACQUES LACAN, « La dissolution imaginaire », Les psychoses, le séminaire livre III, Paris, Seuil, Col. Le champ freudien, 1975, page 107 et 108 ))