Post partum

Delphine Noels

Avec Mélanie Doutey (Luce), Jalil Lespert (Ulysse), Françoise Fabian (la mère d’Ulysse)

Couleurs - 2014 - DVD

L'intrigue

Luce et Ulysse vivent heureux en province et travaillent ensemble dans leur clinique vétérinaire. Luce est enceinte et le jeune couple se réjouit de « l’heureux événement ». L’avenir est radieux, mais Luce perd les eaux et rien ne se passe comme prévu.

  • Mélanie Doutey (Luce)

  • Jalil Lespert (Ulysse), et le bébé

  • Mélanie Doutey (Luce)

  • Le bébé, Françoise Fabian (la mère d’Ulysse), Mélanie Doutey (Luce)

  • Mélanie Doutey (Luce)

  • Françoise Fabian (la mère d’Ulysse)

  • Delphine Noels, la réalisatrice

  • Affiche Post partum

Est-il « naturel » de devenir mère ?

Un film « oublié »
Le film de Delphine Noels est passé quasiment inaperçu lors de sa sortie en salle en France en 2014, (( Aucun des grands médias nationaux ne lui a consacré une critique à sa sortie en France )). Ce film belge réalisé en Bretagne raconte l’histoire d’une femme jeune, vive, mais fragile qui « décompense » à la naissance de sa fille et sombre dans la folie. Le scénario du film se présente comme une vignette clinique et commence peu de temps avant le déclenchement d’une psychose puerpérale. Il décrit dans le détail ce trouble psychique particulier. Au-delà du cas clinique et du fait divers qui sert de fil rouge à l’intrigue, le film de Delphine Noels a une vertu ; celle de contrevenir à l’idée commune et répandue selon laquelle il serait « naturel » pour une femme de devenir mère et il s’oppose au lieu commun répandu sur la maternité. Pour Catherine Vanier, psychanalyste, « On est dans un monde où la maternité est le dernier bastion du refoulé » (( Entretien avec Catherine Vanier réalisé le 4 juillet 2015 pour cinepsy )).

La maternité comme on ne l’a jamais montrée
Le film de Noels montre la maternité, la naissance d’un enfant et ses effets sur une femme. Sans doute ne suit il pas tout à fait les codes du cinéma d’auteur germanopratin et on peut lui reprocher quelques facilités (La scène d’ouverture montre le vêlage d’une vache, l’utilisation de la marche arrière, le présence à l’image de la mère disparue de Luce, etc, ), mais le style réaliste, direct et clair de Noels sert parfaitement le propos de l’auteure et « Post Partum » méritait une meilleure réception.

La psychose puerpérale
D’après Catherine Vanier : « L’intérêt de ce film c’est de mettre l’accent sur la difficulté d’être mère. On dit, c’est formidable, mais ce n’est pas toujours vrai et cela peut ne pas être vrai. Etre mère et être femme sont deux choses antinomiques. La maternité n’est pas en lien direct avec la féminité, sauf si on fait un enfant pour un homme. » Contrairement à ce qui se passe dans le film, « les cas de psychoses puerpérales débouchent rarement sur l’infanticide, qui est le plus souvent la conséquence d’un déni de grossesses ». Dans le cas d’une psychose puerpérale, il est recommandé « de séparer provisoirement l’enfant de la mère pour les protéger tout les deux le temps de la crise et permettre à la mère de ne pas être seul avec l’enfant. La prise en charge de la mère avec son bébé, dans un lieu psychiatrique, est souhaitable. Mais pour ça, contrairement au pédiatre et au psychiatre du film, encore faut-il entendre que cette mère va mal et qu’elle est submergée par l’angoisse et la peur de faire mal à son enfant. Il existe des services de « maternologie » très pointus dans les hôpitaux français qui sont malheureusement trop peu nombreux et disposent de moyens insuffisants ». Catherine Vanier précise que ces femmes en grandes souffrance à la naissance de leur enfant peuvent se révéler être de très bonne mère par la suite. (( Entretien avec Catherine Vanier réalisé le 4 juillet 2015 pour cinepsy. )).

Les différents troubles psychiques de la mère liés à une naissance
Il importe de faire la différence entre trois entités psychique différentes:

  • Le « baby-blues » qui est un trouble psychique lié aux bouleversements survenues pendant et après la naissance, qui concerne 50% des accouchées et cesse 10 jours après l’accouchement.
  • La « dépression post-partum » qui touche environ 13% des accouchées et survient dans le premier trimestre qui suit l’accouchement, aggravé par la peur de la nuit, les difficultés d’endormissement, la perte d’estime du maternage et une anxiété centrée sur le bébé. Cette dépression « post natal » se guérit spontanément dans l’année.
  • La psychose puerpérale, qui est une psychose déclenchée à l’occasion de la naissance d’un enfant. Elle concerne 0,2% des accouchées et s’apparente souvent à « une dépression grave délirante centrée sur le bébé ». Le thème du délire est centré sur la grossesse ou le bébé (persécutions). (( Ces informations proviennent de l’article des Docteurs H. Keita et C. Dubertret intitulé « Troubles psychiatrique en post-partum » sur le site : http://www.sfar.org/article/443/troubles-psychiatriques-en-postpartum. ))

« La part de haine dans l’amour maternel »
Catherine Vanier : « L’accouchement est une effraction qui concerne le réel. Il peut avoir des effets dévastateurs sur certaines mères. Dans le film on assiste aux efforts de Luce pour se faire reconnaître par son enfant. Le bébé est en couveuse et la mère éprouve des difficultés pour aimer ce bébé. Elle dit : « Il faudrait qu’il meurt ». Le film révèle et montre la part de haine dans l’amour maternel, et c’est ce que l’on veut nier, mais bien sur la haine est là. »

Documents

Que faire de la haine ?
Dans un article de 1947, intitulé « La haine dans le contretransfert » Winnicott analyse les sentiments de haine que peut éprouver le psychanalyste à l’égard de son patient et la manière d’interpréter cet « affect ». Il met en rapport cette haine avec celle qu’éprouve la mère vis à vis de son enfant. Il émet l’hypothèse que « la mère hait son petit enfant dès le début » et donne les 12 raisons qu’une mère a de haïr son enfant.

  • L’enfant n’est pas sa propre conception (mentale).
  • L’enfant n’est pas celui du jeu de l’enfance (l’enfant du père, l’enfant du frère, etc.)
  • L’enfant n’est pas produit par magie.
  • L’enfant est un danger pour son corps pendant la grossesse et à la naissance.
  • L’enfant représente une interférence dans sa vie privée, un défi à l’occupation intérieure. Dans une plus moins large mesure, une mère a le sentiment que sa mère à elle, exige un enfant, de sorte que son enfant est produit pour se concilier sa mère.
  • L’enfant blesse les mamelons, même en tétant, car téter c’est mâcher.
  • Il est cruel, la traite comme une moins que rien, une domestique sans gages, en esclave.
  • Elle doit l’aimer, ses excréments et tout, au moins au début, jusqu’à ce qu’il ait des doutes sur lui-même.
  • Il essaye de lui faire mal, il la mord de temps en temps, tout cela par amour.
  • Il montre la désillusion qu’il ressent à son égard.
  • Son amour brûlant est un amour de garde manger, de sorte que lorsqu’il a ce qu’il veut, il la rejette comme une pelure d’orange. » (( Donald W. WINNICOTT, « De la pédiatrie à la psychanalyse », Paris, Payot, 1969, p 80 )).

Winnicott à propos des effets de l’analyse sur le psychanalyste: « Je crois que dans l’analyse des psychotiques et dans les tout derniers stades de l’analyse, même celle d’une personne normale, l’analyste doit se trouver dans une position comparable à celle de la mère d’un nouveau-né. Lorsque sa régression a été profonde, le patient ne peut s’identifier à l’analyste, ni apprécier son point de vue, pas plus que le fœtus ou le nouveau né ne peuvent sympathiser avec la mère. 
Il faut qu’une mère puisse tolérer de haïr son enfant sans rien y faire. Elle ne peut lui exprimer sa haine (( Il y a un contresens et sans doute un problème de traduction de cette phrase. Voir le texte original. )). Si, par crainte de ce qu’elle peut faire, elle ne peut pas haïr comme il convient lorsque son enfant lui fait mal, elle a recours au masochisme et je pense que c’est à l’origine de la théorie erronée du masochisme naturel chez les femmes. Ce qu’il y a de plus remarquable chez une mère, c’est son aptitude à être tellement maltraitée par son enfant, et à haïr autant sans s’en prendre à l’enfant, ni attendre la récompense qui s’offrira ou ne s’offrira pas à une date ultérieure. (…) La sentimentalité est inutile pour les parents car elle nie la haine, et la sentimentalité chez une mère ne vaut rien du point de vue du petit enfant. Pour ma part je doute qu’un petit d’homme en se développant soit capable de tolérer toute l’étendue de sa propre haine dans un environnement sentimental. Il lui faut haine pour haine. » ((Donald W. WINNICOTT, « De la pédiatrie à la psychanalyse », Paris, Payot, 1969, p 81 ))