L’esclave libre

Raoul Walsh

Avec Clark Gable (Hamish Bond), Yvonne de Carlo (Amantha Star), Sydney Poitier (Rau Rau),

Couleurs - 1957 - DVD

L'intrigue

A la Nouvelle Orléans, au cours d’une vente aux enchères, Hamish Bond (Clark Gable) achète Amantha Star (Yvonne de Carlo), une jeune esclave noire à la peau blanche.

  • Clark Gable (Hamish Bond)

  • Clark Gable (Hamish Bond), Yvonne de Carlo (Amantha Star)

  • Sydney Poitier (Rau Rau) et Yvonne de Carlo (Amantha Star)

  • Clark Gable (Hamish Bond), Yvonne de Carlo (Amantha Star)

  • Clark Gable (Hamish Bond),

  • Sydney Poitier (Rau Rau)

  • Sydney Poitier (Rau Rau)

  • Clark Gable (Hamish Bond), Yvonne de Carlo (Amantha Star)

  • Yvonne de Carlo (Amantha Star)

  • Affiche "L'esclave libre"

  • Affiche "L'esclave libre"

Le "nouveau" monde

Un géant d’Hollywood
Raoul Walsh a commencé sa carrière de cinéaste à l’époque du cinéma muet. C’est un des géants d’Hollywood, il est le contemporain d’Howard Hawks et de John Ford. Il a tourné plus de soixante-dix films parlants. Son talent a été reconnu assez tardivement par la critique française, et c’est seulement à partir de « L’esclave libre » (1957) que l’ensemble de ses films a commencé à être regardé comme une oeuvre (( Dans le bonus du dvd « Les implacables » (1955), autre film remarquable de Raoul Walsh, Editions MEP vidéo, Col. western de légende, vous trouverez une interview passionnante Bertrand Tavernier sur l’œuvre de Walsh. Tavernier a contribué activement à la reconnaissance de Walsh )). Walsh a pratiqué tous les genres : films noirs, de guerre, de pirates, d’aventure, comédies, western, etc.

Des héros solitaires fuyant la société des hommes
Si les films de John Ford sont centrés l’appartenance, la communauté, le rapport à la loi et à l’autorité, sur la « métaphore paternel » pour le dire rapidement, Raoul Walsh est l’anti John Ford. Ses héros sont des aventuriers solitaires nostalgiques d’une « Amérique perdue », hantés par le passé, blessé par la société des hommes et qui se tournent vers les grands espaces et la nature à la recherche d’un rapport plus vrai, plus essentiel et plus « originaire » avec le monde (( Les deux biographies consacrées sur Walsh porte à cet égard, un titre explicite : « Michel MARMIN, « Raoul Walsh ou l’Amérique perdue », Paris, Dualpha, 2003 et Michael-Henry WILSON, « Raoul Walsh ou la saga du continent perdu », Paris, cinémathèque française, 2001 )).

Un roman et un film Sudiste
« L’esclave libre » réalisé en 1957, est un mélodrame en couleurs et en cinémascope, qui est tiré du roman éponyme de l’écrivain sudiste Robert Penn Warren, que l’on a parfois comparé à Faulkner. Si l’écriture de Faulkner torturée, erratique, complexe, caractérise son style au point que Jacques Hochmann, psychiatre et psychanalyste français, considère son roman « Le bruit et la fureur » (1929) comme tentative de mettre en mot l’autisme, le style de Robert Penn Warren est narratif, luxuriant et réaliste. Les personnages des romans de Penn Warren sont des losers qui se battent dans un monde qu’ils ne comprennent plus et purgent leur faute, « celle d’avoir bataillé pour rien » (( Robert PENN WARREN, « L’esclave libre », Paris, 1998, titre original « Band of Angels » (1955), Note de l’éditeur signé J.P.S. (?), Col. D’aujourd’hui, étranger, Phébus, p. 9 )).

Le monde du Sud recréé
Le film de Walsh recrée en studio à Hollywood et dans les années cinquante, l’univers du Sud des Etats-Unis au moment de la guerre de Secession. Il redonne vie à un monde heureusement disparu dont les valeurs sont fondées sur la ségrégation et le racisme. Clark Gable interprète Hamish Bond, un aventurier riche, mais fatigué et honteux d’avoir amassé sa fortune grâce à la traite des noirs. Il a usurpé jusqu’à son nom, emprunté au capitaine d’un navire piraté. Yvonne De Carlo incarne Amantha Starr dont le nom sonne comme un bijou de pacotille. C’est une femme séduisante à la peau blanche qui découvre que sa mère est Afro Américaine. Elle est alors vendue, humiliée et violée par ses compatriotes, puis subit la morgue, le mépris, le racisme et la violence de la part des Yankees à cause de sa négritude. Elle est contrainte de partager le sort des esclaves, loin des pensions huppés de la haute société blanche qu’elle fréquentait.
Walsh et ses scénaristes, (( John Twist, Ivan Goff et Ben Roberts )) sont restés fidèle à l’esprit du roman. Pour Jacques Lourcelles, critique français, grand admirateur de Walsh, « Esclave libre » est très supérieur au film de Flemming : « Autant en emporte le vent » (1939), il écrit : « Le déclassement secret des deux héros les renvoie puissamment, sans qu’ils en soient conscient, l’un vers l’autre et suscite l’une des plus riches et plus subtiles love stories du cinéma américain. » (( Jacques LOURCELLES, Dictionnaire du cinéma, Paris, Col. Bouquin, Robert Laffont, 1992, p. 493 et 494 ))

Un film raciste ou un film sur le racisme ?
Le point de vue de Raoul Walsh sur cette période troublée de l’histoire américaine est à l’opposé de celui porté par Steve Mac Queen dans son film récent « Twelve years a slave » (2013). Steve Mac Queen met en scène le Sud des Etats-Unis avec un regard actuel sur cette époque. Il donne forme à un « présent-passé » selon l’expression utilisée par Joël Pommerat, à propos de sa pièce « Ca ira » sur la Révolution Française, à la limite de l’anachronisme.
Waren, Walsh et ses scénaristes ont fait un choix différent. Plutôt qu’un réquisitoire contre le discours raciste vu d’aujourd’hui, ils l’ont incarné dans chacun des personnages et jouent sur l’ambiguïté de leurs positions. Tous, esclaves et maitres, en sont victimes, impossible dès lors de diviser le monde en bons et méchants. Le discours raciste est subjectivé et dialectisé. Chaque spectateur est contraint de s’immerger dans cette reconstitution du passé, de faire sienne l’idéologie de l’époque et d’en soupeser l’ambiguïté. Cette plongée dans un passé « passé », ne vient-elle pas ressusciter et redonner une actualité à une idéologie raciste et datée ? Au lieu de dénoncer le racisme Waren et Walsh ne font-il pas un film raciste ? Si tel est le cas comment rendre compte d’une époque révolue et des incertitudes qui l’ont traversées avant qu’elle ne soit recouverte par nos vérités actuelles ?

En finir avec le racisme ?
Les Américains des Etats-Unis sont majoritairement des descendants d’émigrés que la nécessité ou la pauvreté ont poussé loin de l’Europe dans des conditions souvent tragiques. Les populations indigènes ont presque été totalement décimées pendant la conquête vers l’Ouest. Les Afro-Américains, sont les descendants d’Africains qui ont été capturés et été déportés aux Etats-Unis pour y être maintenu en esclavage. La guerre de sécession, terrible guerre civile dont est issu l’Amérique contemporaine, s’est déroulé entre 1861 et 1862, c’est à dire il y a peine quelques générations. Difficile dans ces conditions de ne pas lier son identité à l’histoire de son pays et de ses ancêtres. Si les Etats Unis ont élu un président afro-américain, plus de 38% des détenus dans les prisons américaines sont afro-américains, alors qu’ils ne représentent qu’un peu plus de 12% de la population des Etats-Unis. L’Amérique n’a pas fini d’en terminer avec le racisme.

Document

Amantha est maintenue prisonnière dans la maison de Hamish Bond, l’homme qui l’a achetée au cours d’une vente aux enchères d’esclaves. Bond n’a jamais tenté d’abuser d’elle. Elle a tenté de s’enfuir sans succès et reste cloîtrée dans la maison de Bond. Elle brode les initiales de son maître sur des serviettes en compagnie de Michèle, une autre esclave noire.

Extrait du roman de Robert Penn Warren : « Esclave libre »:
– Oh ! Qu’adviendra-t-il de moi ? Demandai-je un jour à Michèle. Elle pose sa broderie et me regarda.
– Ma petite dit-elle, vous vivrez !
Il n’y avait pas de moquerie dans sa voix, mais ce n’était pas une réponse.
– Oh ! Pourquoi a-t-il fait ça ? M’écriai-je.
– Qui
– Lui, dis-je.
Et du bout de mon aiguille, je piquais le grand « B » de la serviette.
– Il a fait quoi dit Michèle ?
– Pourquoi m’a-t-il acheté ? Répliquai-je. Pourquoi m’a-t-il achetée ?
Puis, tandis que je prononçais le mot « achetée », que je répétais, une étrange sensation me gagna – quelque chose qui ressemblait à la colère. Puis vint une faible nausée accompagnée d’une agitation indescriptible – enfin j’eu l’impression qu’on m’avait meurtri les seins et qu’ils étaient plein de fourmillements.
– Pourquoi donc m’a-t-il achetée ? demandai-je encore.
– Je ne sais pas, on pourrait trouver tant de raisons, et je ne sais pas quelle serait la bonne. D’ailleurs, ajouta-t-elle, il se peut qu’il ne sache pas lui-même.
– Alors pourquoi ? Pourquoi ?
– Je ne sais pas, dit-elle patiemment. Mais il est bon, et vous avez assez de chance. Pourtant sa bonté est bizarre. Elle ne ressemble pas à la bonté qu’ont les gens d’habitude, car cette bonté là, on peut la comprendre. Sa bonté à lui… Elle hésita, réfléchit. Sa bonté ressemble plutôt à une grave maladie. Il est bon comme on est malade (( Robert PENN WARREN, « L’esclave libre », Paris, 1998, titre original « Band of Angels » (1955), Col. D’aujourd’hui, étranger, Phébus, p. 146 )).