Les héritiers

Marie Castille Mention Shaar

Avec Arianne Ascaride (Mme Gueguen), Ahmed Dramé (Malik), Néomie Merlant (Mélanie), Stephane Bak (Max), Wendi Nieto (Jamila), Aïmen Derriachi (Saïd)

Couleurs - 2014

L'intrigue

Une prof d’histoire du lycée Léon Blum à Créteil, décide de faire passer un concours national à la classe de seconde avec laquelle elle a le plus de difficultés. Les élèves hésitent et doutent, le directeur est dubitatif, mais la prof s’engage et croit en sa classe. Le film est le récit de cette aventure.

  • Ahmed Dramé (Malik) et Néomie Merlant (Mélanie)

  • La cour du lycée

  • Néomie Merlant (Mélanie)

  • Arianne Ascaride (Mme Gueguen)

  • Ahmed Dramé (Malik)

  • Ahmed Dramé (Malik)

  • Dans le lycée

  • Arianne Ascaride (Mme Gueguen)

  • Les lycéens

  • Néomie Merlant (Mélanie)

  • Marie Castille Mention Shaar

  • Stephane Bak (Max), Marie Castille Mention Shaar et Ahmed Dramé (Malik)

  • L'affiche

  • Affiche

L’école publique à l’épreuve du désir et de la Shoah

Laïcité et liberté d’expression
Les principes de l’école laïque sont-ils encore recevables face aux différences confessionnelles et ethniques des élèves qu’elle accueille ? Comment défendre en même temps la liberté d’expression et le principe de laïcité au sein de l’école publique ? Le modèle d’intégration à la française est-il « dépassé » face au défi de la mondialisation et l’irruption du multiculturalisme ? Ses principes sont-ils obsolètes ou simplement mal compris et mal appliqués ? Plus particulièrement à propos du film « Les héritiers », est-il possible de donner une représentation de ce qui se passe dans l’école publique en France et d’en proposer une analyse sans recourir à des raisonnements lénifiants, à la langue de bois ou à l’autodénigrement ?
On se souvient de la réponse « problématique » apportée à ces questions, en son temps, par Laurent Cantet dans son film : « Entre les murs ». Marie Castille Mention Shaar propose à son tour une réponse engagée, militante et « mélodramatique ». Le moins que l’on puisse dire est que son film est loin de faire l’unanimité auprès de la critique. ((http://www.allocine.fr/film/fichefilm-224589/critiques/presse/))

L’aventure du film
La réalisatrice du film a été contactée par Ahmed Dramé, un ancien élève de seconde du lycée Léon Blum de Créteil, qui souhaitait faire un film sur l’aventure qu’il avait vécue et ne savait comment s’y prendre : Mme Angles, sa prof d’histoire, avait fait passer le concours de la résistance et de la déportation à sa classe et avait réussi à intéresser et à motiver la plupart des élèves qui avaient remporté le concours. La vie de Ahmed en avait été transformée. Le film de Marie Castille Mention Shaar est devenu le récit romancé de la rencontre entre cette prof déterminée et combative et l’aventure exemplaire de cette classe pour le moins difficile. Les principales critiques faites au film, portent sur son côté « mélodramatique ». Marie Castille Mention Shaar s’explique : « Oui, c’est un film optimiste, et d’autant plus optimiste que cette histoire est vraie, et prouve qu’il est possible de passionner les plus rétifs. A condition qu’on les mette au cœur du processus pédagogique. Les élèves commencent à s’intéresser au concours, lorsqu’ils sont actifs. » (( Extrait du dossier de presse : téléchargable sur : http://www.ugcdistribution.fr/telechargement/les-heritiers_241 )). Il en est de l’émotion au cinéma comme du pouvoir en politique, son bien fondé dépend de l’usage qui en est fait, d’autant que Marie Castille Mention Shaar réfléchit aux moyens de sa mise en scène. Elle s’interroge sur le rôle des images, sur les mécanismes de la propagande et se demande comment montrer l’irreprésentable. Pour ce faire elle utilise les ressources et les moyens du cinéma pour rendre sa démonstration accessible et convaincante. Le film de Marie Castille Mention Shaar était attendu. Il donne enfin aux professeurs et à leurs élèves un outil de travail pédagogique et didactique qui pose clairement le débat sur les rôles et les missions de l’école de la République. Là encore, il n’est pas sûr que ce plaidoyer positif et engagé pour la défense du service public soit du goût de toute le monde…

Le métier de professeur
Ariane Ascaride qui incarne à l’écran le rôle de Mme Angles, agrégée et prof d’histoire au lycée Léon Blum, parle du rôle des professeurs : « Je ne connais personne qui ne se souvienne pas de certains professeurs. Encore maintenant, en dépit de tout ce qu’on raconte sur la dévalorisation du métier, ce sont des personnes qui ont le pouvoir de changer la vie de ceux à qui ils s’adressent, pour le meilleur et pour le pire. Ils sont ceux et celles qui donnent la possibilité à des enfants de construire leur vie, et sur lesquels ils vont pouvoir s’appuyer tout au long de leur existence. (…) J’ai rencontré la professeur qui a inspiré mon personnage: Anne Angles. (…) Elle a une fermeté impressionnante, sans jamais tenir de discours « sécuritaire ». Elle leur montre que son métier ne consiste pas à les sanctionner. (…) Anne Angles arrive à leur redonner confiance et à faire qu’il se perçoive comme des personnalités entières, et non le jouet d’un conformisme de groupe. Ce que montre cette prof et le film (…) c’est qu’il est toujours possible de tirer les gens vers le haut. Encore fautil en avoir envie. Je crois qu’il y a beaucoup moins de professeurs découragés ou à distance qu’on ne le dit. Ce film m’a permis de rencontrer beaucoup d’enseignants, qui m’ont frappé par leur engagement et leur honnêteté. » (( Extrait du dossier de presse : téléchargeable sur : http://www.ugcdistribution.fr/telechargement/les-heritiers_241 ))

« Ecrire pour exister » un film américain de 2007
Un film américain réalisé en 2007 par Richard LaGravenese et intitulé « Ecrire pour exister », aborde un thème identique à celui des « Héritiers ». La comparaison entre le film américain et sa version française se révèle instructive et permet de comparer les deux systèmes éducatifs et les deux idéologies qu’ils sous-tendent. Aux Etats-Unis, le combat pour l’éducation passe par l’abandon du système des gangs et la prise de conscience personnelle et individuelle du rôle de chacun dans l’aventure collective, alors qu’en France il passe par la reconnaissance et l’adhésion aux principes de la République : Liberté, Egalité, Fraternité, qui donne des droits à tous, dans la limite du respect de ceux des autres, et permet de devenir citoyen quels que soit son origine et son histoire. C’est par la réalisation personnelle et individuelle que les Américains rejoignent le collectif alors que c’est par l’adhésion à des principes universels que le citoyen français acquiert des droits et s’inscrit dans le destin collectif.

La Shoah et sa représentation au cinéma
Les deux films ont en commun le thème de la Shoah comme élément déclencheur de la prise de conscience des élèves, C’est par le biais de la Shoah qu’ils découvrent leur rôle social et leur place dans l’histoire. Si pour les Etats-Unis, la Shoah est un événement qui ne concerne pas directement l’histoire des Américains, il n’en est pas de même pour notre pays qui a été parti prenante dans le sort des populations déportées et exterminées. Comment Marie Castille Mention Shaar met en scène cette question ?

La confrontation avec la Shoah est montrée par le biais de la rencontre des élèves de Créteil avec Léon Zygel, un survivant d’Auschwitz, qui parle à la première personne et fait le récit de ce que lui et les siens ont vécu. Certains on reproché l’utilisation de la musique dans quelques séquences jugées trop mélodramatiques.

Identification à la victime ou au bourreau
Daniel Lemler, psychanalyste de Strasbourg » se demandait au cours d’un débat public organisé à Strasbourg après la projection du film « Les Héritiers », si « l’émotion ne venait pas faire écran à la possible rencontre de chacun avec la question de la Shoah ». Il ajoutait à propos des Héritiers : « La question que pose ce film, n’est pas l’identification aux victimes, tout le monde d’identifie aux victimes, c’est l’impossible identification au bourreaux. Autrement dit : Qu’est-ce qui des bourreaux subsiste en nous ? »

Documents

L’impossible représentation de la Shoah dans le cinéma français
Dans un article des cahiers du cinéma daté de juin 1961 intitulé « De l’abjection », Rivette propose une critique virulente de « Kapo » un film de Gillo Pontecorco sur les camps de concentration, et cite une phrase attribuée à Luc Moullet ou à Jean-Luc Godard : « La morale est affaire de travelling » à propos de la séquence de fin du film. (( La citation exacte de Godard est: « Le travelling est une affaire de morale », citation moins moralisante de celle de Rivette. )). Le plan de fin du film de Pontecorvo est constitué d’un travelling sur le corps supplicié d’une déportée, interprétée par Emmanuelle Riva, qui se suicide en se jetant sur des barbelés électrifiés. Rivette juge la scène obscène et critique la mise en scène de Pontecorvo. La polémique a enflé et n’a toujours pas perdu de sa virulence. (( Lire l’article de Rivette sur le site de « L’observatoire » : http://simpleappareil.free.fr/lobservatoire/index.php?2009/02/24/62-de-l-abjection-jacques-rivette et le compte rendu de cette affaire sur : http://www.dvdclassik.com/critique/kapo-pontecorvo )).
Une des conséquences, sans doute involontaire de l’article de Rivette et de la polémique qui s’en suivi, fut l’absence quasi complète de films sur le thème de la déportation et de la question des juifs, réalisés en France par la génération de la nouvelle vague et la suivante, et ce jusque dans les année quatre-vingt, ((à l’exception notable de Resnais)). La mise en garde de Rivette, qui aurait pu être prise comme une invitation à la réflexion et à l’invention: « Comment mettre en scène l’irreprésentable » à été prise dans un sens littéral et fonctionne comme un tabou : « Il est interdit de mettre en scène un déporté et impossible de montrer la déportation ».
Pourtant la génération précédente (Cayatte, Lampin Clouzot et Dréville) avait abordé le thème de la déportation dans un film à sketches certe problématique, mais qui a le mérite d’exister  : « Retour à la vie » (1949) (( Un des sketchs, celui de André Cayatte, montre une femme de retour de Dachau, mutique face à Bernard Blier qui l’interroge à propos d’une sordide affaire d’argent. Dans l’ensemble, « Retour à la vie » fait l’amalgame entre la déportation et à la question des prisonniers de guerre et ne fait aucune référence à la déportation des juifs.)) A l’exception remarquable de Resnais : « Nuit et Brouillard  (1955), il fallut attendre plus de 10 ans pour qu’enfin il soit possible d’aborder à nouveau le thème de déportation au cinéma en France avec « Paris-brule-t-il » de René Clément (1966), (dans une séquence sans doute aussi problématique de celle du film de Pontecorvo), puis la question des juifs de France avec « Le vieil homme et l’enfant » (1967) de Claude Berri, « Les guichets du Louvre » (1974) de Michel Mitrani  Jacques Doillon, « Un sac de billes » (1975) de Doillon et enfin « Mr Klein » (1976) de Joseph Losey. Entre temps le « Chagrin et la Pitié » de Marcel Ophuls (1969-1971) avait ouvert les esprits.
Ce n’est que tardivement, en 1980 que Truffaut réussit a faire un film grand public récompensé de plusieurs césars sur un thème proche, avec « Le dernier métro » (1980).

En 1985, Claude Lanzman réalise le monumental « Shoah » qui témoigne de ce qui s’est passé dans les camps et de la Shoah en faisant uniquement parler des survivants et sans recours à des images d’archives ou de fiction. Dans un article du Monde daté du 3mars 1994 : Lanzman écrit : «  La fiction est une transgression, je pense profondément qu’il y a un interdit de la représentation ».  » (( Lire un extrait de l’article de Lanzman sur : http://www.univ-conventionnelle.com/Une-representation-impossible_a213.html )) En sera-t-il toujours ainsi?