La vie à l’envers

Alain Jessua

Avec Charles Denner (Jacques Valin), Anna Gaylor (Vivianne Valin), Jean Yann (Kerbel)

Noir et blanc - 1964 - DVD

L'intrigue

Jacques Valin, employé dans une agence immobilière, mène une vie triste et sans relief. Il décide, sans conviction, d’épouser la jeune femme avec laquelle il partage sa vie. Conséquence inattendue, sa vie change, il quitte la morne routine dans laquelle il était enfermé et plonge dans le bonheur d’une folie heureuse et contemplative.

  • Anna Gaylor et Charles Denner

  • Charles Denner

  • Charles Denner et Anna Gaylor, le mariage Jacques Valin et Vivianne Valin

  • Charles Denner (Jacques Valin) et Anna Gaylor (Vivianne Valin)

  • Le livre

  • L'affiche: La vie à l'envers

  • Alain Jessua

  • Alain Jessua

La psychose à l‘endroit

La folie sans l’inconscient
Les éditions Léo Scheer ont eu la bonne idée d’éditer le roman d’Alain Jessua « La vie à l’envers » et d’y ajouter le dvd du film que l’écrivain a réalisé lui-même quelques années après l’écriture du livre. Le roman est un récit habile et original sur l’entrée dans la psychose. Jacques Valin, le héros du roman, ne devient pas fou dans d’atroces souffrances, comme Schreber (( Scherber est un des cas princeps de la psychanalyse commenté et analysé par Freud. Schreber était le président du tribunal de Dresde qui a sombré dans la folie a plus de cinquante ans dans d’atroces souffrances, il a fait la description minutieuse des phénomènes auxquels il a été confrontés (délires, effondrements…) dans un livre publié en 1903. )) et tant d’autres, mais plonge dans la folie en souriant, avec bonheur et ravissement. C’est l’entrée dans un monde de sensations nouvelles, de plénitude, un monde où le temps ne compte plus et la vie prend enfin un sens et une saveur que le quotidien n’a plus ou n’a jamais eu. Jessua ne nous montre rien des antécédents, des pensées, des désirs ou des fantasmes de son héros et c’est en pleine conscience et sans qu’on ne connaissance rien de ses antécédents que Jacques devient fou. Certaines scènes, comme celle de la contemplation jouissive d’un arbre dans le parc de Vincennes, font songer à un passage célèbre de « L’être et le néant » de Sartre.

Le regard d’une époque sur la folie… et les femmes
Si le roman est parfaitement réussi et correspond au regard d’une époque sur la folie, un regard « philosophique », où la folie est considérée comme l’abandon progressif du monde de la raison, le film est plus problématique. Pour des raisons esthétiques d’abord, la mise en scène de Jessua, qui a pu passer pour moderne dans les années soixante, paraît aujourd’hui scolaire, illustrative et conventionnelle. Reconnaissons que la tâche n’est pas aisée, il est sans doute, plus facile de décrire avec des mots, Valin qui s’abîme dans la contemplation du relief d’une tranche de pain pendant des heures que de le montrer à l’écran.
Deux aspects du roman supportent mal leur retranscription filmée : la description de la folie qui prend la forme d’une critique de la société de consommation, de ce point de vue, la psychose n’est envisagée que comme l’envers de la vacuité de l’époque post-moderne. C’est cette manière de penser la folie, qui sera reprise quelques années plus tard sous une forme plus radicale par les tenants de l’antipsychiatrie. Le fou n’est regardé que comme une production social, il sera celui qui détient un savoir et une connaissance sur l’existence vraie, celui qui goûte d’une liberté et possède un rapport à la jouissance auquel les personnes normales ou « aliénées » par la société n’ont pas accès. Cette conception de la folie est aujourd’hui remise en cause.
L’autre aspect problématique du film est l’insupportable machisme qui sert de toile de fond à la démonstration de Jessua et rend compte bien involontairement d’un des tabous les plus coriaces concernant le regard que nous portons sur les années soixante et soixante-dix. Les femmes y sont montrées comme des créatures idiotes, serviles, dans un monde où seuls les hommes savent et ont la parole. La prestation de la comédienne principale, Anna Gaylor, va dans ce sens. Il est étrange que peu de films, peu d’études et de travaux universitaires traitent de la violence faite aux femmes pendant cette période de libéralisation des mœurs et des esprits. Le monde était sans doute en devenir, mais il ne l’était pas pour tout le monde.