La vérité sur bébé Donge

Henri Decoin

Avec Jean Gabin (François Donge), Danielle Darrieux (Elisabeth Donge dite « bébé »)

Noir et blanc - 1951 - DVD

L'intrigue

François Donge, un riche industriel de province, est empoisonné par sa femme Elisabeth. Entre la vie et la mort, François se souvient  de sa rencontre avec « Bébé », de leur mariage, de leur première dispute, de ses maîtresses.

  • Jean Gabin (Donge) et Danielle Darrieux (Bébé Donge)

  • Danielle Darrieux (Bébé)

  • Jean Gabin (Donge) et Danielle Darrieux (Bébé Donge)

  • Danielle Darrieux (Bébé Donge) et Jean Gabin (Donge)

  • Danielle Darrieux (Bébé Donge)

  • Affiche: La vérité sur bébé Donge

  • Affiche: La vérité sur bébé Donge

  • Henri Decoin

Le couple bourgeois

Henri Decoin est un cinéaste français qui a tourné en Allemagne et vécu à Hollywood  dans les années trente avant de réaliser quelques uns des grands classiques du cinéma français « Premier rendez-vous  » (1941), « Les inconnus dans la maison » (1942), « Entre onze heures et minuit » (1949). Il n’a pas choisi l’exil pendant l’occupation, comme Duvivier, Renoir ou Gabin et il a réalisé cinq films pour la Continental (( La Continental est une société de productions française dirigée par des français et créé pour servir les intérêts allemands. )) pendant cette période (( YVES DESRICHARD, Henri Decoin, Paris, Bifi/Durante, Col. Ciné-regard, 2003, page 35 )). En 1951, Henri Decoin tourne « La vérité sur bébé Donge » au Studio de la Victorine à Nice avec Jean Gabin, qui peine a retrouver sa place dans le cinéma français d’après-guerre et Danielle Darrieux jeune vedette qui fut la femme de Decoin de 1935 et 1941  (( En 1935, Henri Decoin épouse à 46 ans Danielle Darrieux qui en avait 18 )). Le scénariste, Maurice Aubergé, s’est librement inspiré  du roman éponyme de Simenon écrit en 1940, juste après la débâcle. Bien que basé sur l’intrigue du roman de Simenon, le scénario est conforme à l’esprit et à l’atmosphère de certains romans de la littérature française des années trente comme « Claire » de Chardonne (1931) ou « Climats » d’André Maurois (1928) qui décrivent les mœurs de la bourgeoisie française. On y retrouve la même description de femmes jeunes, belles et ignorantes qui épousent des hommes âgés et riches pour se faire une situation et se préserver du manque d’argent. Elles sont décrites comme des créatures imprévisibles mues par des pensées mièvres et stupides. Dans « La vérité sur bébé Donge » nous assistons à la destruction d’un couple, Bébé ne regarde que son mari en lui parlant sans cesse d’amour, tandis François traite sa femme comme ses affaires et ses maîtresses avec une avidité grossière et brutale. François Donge, est un sale type, un bourgeois vulgaire et imbu de lui-même qui n’est sauvé à l’écran que parce qu’il est interprété par Jean Gabin.
Decoin, qui était aviateur pendant la première guerre mondiale, a travaillé comme reporter sportif avant de devenir cinéaste (( Lire le récits de son fils: DECOIN Didier, Henri ou Henry, le roman de mon père, Paris, Editions Stock, Coll. Points, 2006 )), il en a conservé un style direct, efficace et un gout pour la vérité des situations. Ce qui caractérise sa manière, c’est sa virtuosité et son élégance ainsi que l’absence complète de psychologie dans le traitement des personnages. On pourrait par moment songer au héros des films de Cukor ou même à Lubitsch s’il n’y avait ce réalisme trivial et ce gout pour la flétrissure, caractéristique du cinéma français des années cinquante, qui finit toujours par rattraper et submerger ses personnages. Les héros des films de Decoin ne font pas de sous-entendu, ils ne mentent jamais. Ils sont entièrement présents au monde et rien d’eux n’existe en dehors de la conscience qu’ils ont de cette présence. « La vérité sur bébé Donge » est un film âpre, brillant, implacable, parfois violent et brutal (la scène du viol conjugal) qui n’eut aucun succès auprès du public et fut ignoré par la critique, ce qui tend à contredire l’image d’un Decoin « cinéaste faiseur » qui s’établira par la suite.
Pourquoi s’intéresser à un film des années cinquante, écrit à partir d’un roman des années quarante, qui décrit les aventures d’un couple bourgeois représentatif de la bourgeoisie des années trente ?
Parce que les films de Decoin et particulièrement « La vérité sur bébé Donge », sont des témoins de leur époque et des marqueurs de l’évolution des mœurs. Ils décrivent la situation des femmes avant le mouvement de libération des années 60. Simenon, Aubergé et Decoin sont des hommes et ils sont indiscutablement partis prenantes du monde qu’ils mettent en scène, mais ils s’attachent à l’observation de la souffrance des femmes et de la violence qu’elles subissent. Leur description nous est précieuse parce qu’ils nous donnent a voir une société qui n’est plus et nous fait entrevoir ce qu’ont été les conditions de vie de nos arrières-grands-mères ou de nos grands-mères.

Documents

Elisabeth Roudinesco, dans son dictionnaire de la psychanalyse, dresse  un portrait un sévère et nuancé de Freud: « Peu soucieux de féminisme, Freud se montra parfois misogyne et souvent conservateur. Si l’on s’en tient aux apparences, on peut voir en lui un savant étriqué, un bon bourgeois, un mari jaloux, un père incestueux: en bref un représentant de l’autorité patriarcale traditionnelle. Cependant, (…) il faut sans doute dépasser ce type d’évidence et conclure qu’il est peut être tout aussi vain de traiter Freud de « phallocrate », sous prétexte s’il ne fut point féministe, que de faire du combat en faveur de l’égalité des sexes le domaine réservé des femmes sous prétexte que ce combat a pour visée leur émancipation. (…) Malgré les aberrations de sa doctrine originelle, il fut un penseur de l’émancipation et de la liberté, et l’auteur d’une théorie de la sexualité qui, tout en débarrassant l’homme du poids de ses racines héréditaires, ne prétendait pas le libérer des chaînes de son désir » ((ROUDINESCO Elisabeth et PLON Michel, « la sexualité féminine », dans Le dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Fayard, 1997, page 996 )).  

Dans un article de 1908, Freud aborde le thème de l’éducation des femmes et plus précisément de l’éducation sexuelle de ses contemporaines:
« L’éducation interdit aux femmes de s’occuper intellectuellement des problèmes sexuels pour lesquels elles ont pourtant la plus vive curiosité, l’éducation les effraie en leur enseignant que cette curiosité est antiféminine et le signe d’une disposition au péché. Par là, on leur communique la peur de penser et le savoir perd de la valeur à leurs yeux; l’interdiction de penser au-delà de la sphère sexuelle s’étend, en partie par suite d’associations inévitables, en partie automatiquement, tout comme l’interdiction de penser, d’origine religieuse, faite à l’homme (
s’étend et fait de) la loyauté aveugle de braves sujets. Je ne crois pas que, comme l’a affirmé Moebius dans une travail très discuté, (que) la « débilité mentale et physiologique » de  la femme s’explique par l’opposition entre le travail intellectuel et l’activité sexuelle. Je pense qu’au contraire que l’infériorité intellectuelle de tant de femmes, qui est une réalité indiscutable, doit être attribuée à l’inhibition de la pensée, inhibition requise pour la repression sexuelle ». (( On peut remarquer que les problèmes de traductions en français de la plupart des textes de Freud sont encore loin d’être résolus: FREUD Sigmund, « la morale sexuelle civilisée et la maladie nerveuse des temps modernes » (1908) dans La vie sexuelle, PUF, coll. Bibliothèque de psychanalyse, 1969, page 44 ))

Françoise Dolto, à la demande de Lacan, a préparé une intervention sur la sexualité féminine pour le congrès international qui s’est tenu à Amsterdam en 1960. Elle revient sur les raisons qui ont rendu plus difficile l’étude du comportement sexuel féminin par Freud, les premières et les premiers psychanalystes.
« La pruderie, pour ne pas dire la pudibonderie du monde bourgeois de l’époque victorienne marquait l’éducation des filles, au sortir du romantisme, d’un style où le beau sexe ; chez les gens aisés, se devait d’avoir les yeux baissés. La chlorose (langueur et le teint de lait) des jeunes filles sévissait, les rendant émouvantes, alors que les mièvreries infantiles devaient les rendre séduisantes. Cette éducation, d’ailleurs, ne s’imposait qu’à partir de la séparation des nourrices campagnardes ou roturières, beaucoup plus libres dans leurs émois et stimulantes de la libido, à l’âge de la sexualité prégénitale (avant 4 ans).
Dans ces conditions sociales, la répression à l’époque oedipienne (Environ 5 ans), de la fille bien élevée, n’en était que plus traumatisante : elle tombait sur un terrain déjà fragilisé par l’abandon du premier objet d’identification (la ou les nourrices) non couplé avec le père. L’introjection de ce premier objet  (le rapport avec la nourrice) destinait la fillette à devenir active, manuellement industrieuse et verbalement osée, dans les propos direct de la vie mixte, comme dans les propos de l’office, auxquels elle avait été mêlée. Mais son milieu de grande enfance, ses parents et les éducatrices, ne lui assuraient protection qu’au prix du renoncement à cette première identification. Ajoutons à cela des lectures stupides où rien de sexuel ne devait transparaître, afin que la virginité fût soi-disant préservée confondue avec le retard de maturité émotionnelle et l’ignorance »  (( DOLTO Françoise, Sexualité féminine, la libido génitale et son destin féminin, Paris, Gallimard, 1996. page 63 )).