La toile d’araignée

Vincente Minnelli

Avec Richard Widmark (Doc Stewart McIver, le directeur), Lauren Bacall (Meg Rinehart, une thérapeute), Charles Boyer (Dr Douglas Devanal, le directeur en titre), Gloria Grahame (Mme McIver, la femme du directeur), Lilian Gish (Victoria Inch, directrice administrative), John Keer (Steven Holte, un jeune patient artiste), Susan Strasberg (Sue Brett, une jeune patiente)

Couleurs - 1955 - DVD

L'intrigue

Le docteur McIver pratique la « thérapie par l’environnement », technique originale et « douce » qui préconise la libre circulation des patients, vise à leur autonomie et repose sur l’échange et le respect de la personne humaine. Un événement inattendu perturbe la vie de la clinique, le changement des rideaux de la salle de réunion… Dans un but thérapeutique, les soignants et les patients décident de prendre en charge la fabrication du tissu et la confection des nouveaux rideaux, mais la directrice administrative estime que cette affaire est de sa compétence…La femme du directeur s’en mêle. Les tensions qui s’en suivent ne tardent pas à mettre la clinique en ébullition.

  • Lauren Bacall (Meg Rinehart, une thérapeute) et Richard Widmark (Doc Stewart McIver, le directeur de la clinique)

  • Lauren Bacall (Meg Rinehart, une thérapeute) et Richard Widmark (Doc Stewart McIver, le directeur)

  • Gloria Grahame (Mme McIver, la femme du directeur) et Richard Widmark (Doc Stewart McIver, le directeur)

  • Lauren Bacall (Meg Rinehart, une thérapeute)

  • Richard Widmark (Doc Stewart McIver, le directeur), Gloria Grahame (Mme McIver, la femme du directeur)

  • La toile d'araignée Affiche

  • Vincente Minnelli

  • Vincente Minnelli

La psychiatrie contemporaine est une psychiatrie « vintage » ?

« La toile d’araignée », film en couleurs et en cinémascope, est une production typique des studios hollywoodiens des années cinquante, une époque où « l’usine à rêve » de Hollywood tournait à plein régime. C’était bien avant la crise, l’élection de Reagan et Bush, la massification des soins psychiatriques et l’apparition du concept de « santé mentale ». A cette époque, les voitures étaient énormes, les fous étaient psychotiques, les médecins humanistes, les femmes aux foyers, les enfants jouaient aux échecs et les bonnes préparaient le potage en cuisine. Le film de Minnelli donne une idée assez précise des caractéristiques et des préoccupations de la psychiatrie américaine de cette période : une psychiatrie préoccupée de trouver une alternative à l’enfermement, à la recherche d’un modèle clinique plus humain, à visée adaptative et prenant pour modèle la psychanalyse. Les temps ont changé et le film de Minnelli peut sembler caricatural et truffé de clichés au spectateur d’aujourd’hui. Le regard que nous portons sur la folie change en fonction de l’époque et nul doute que la représentation spectaculaire et vériste, que nous nous faisons aujourd’hui de la folie, semblera tout aussi stéréotypée et désuète aux spectateurs de demain.
Minnelli, dont la mère était d’origine française, a débuté comme costumier et décorateur au cinéma et ses films en conservent la marque. Il apprécie les décors sophistiqués et les plans larges. Sans doute n’est-ce pas un hasard si l’intrigue de « La toile d’araignée » se développe à propos d’une affaire de rideaux. Les personnages de ses films sont l’objet de tensions et de conflits qui trouvent immédiatement une traduction dans l’action et à l’image. Chez Minnelli, la profondeur est affaire de surface.
Coursodon et Tavernier commencent ainsi la note qu’il rédige sur Minnelli dans leur ouvrage, « 50 ans de cinéma Américain » : « Certains le trouvent superficiel, mais cette impression elle-même n’est que superficielle. Pour peu qu’on interroge son œuvre, on y sent partout une âme inquiète, une sensibilité très vive qui se dissimule sous le masque de l’élégance, du raffinement esthétique, de la rêverie mélancolique. » (( JEAN-PIERRE COURSODON et BERTRAND TAVERNIER, « 50 ans de cinéma Américain », Paris, Nathan, Coll. Omnibus, 1995, Page 714 ))

Documents

Dans son ouvrage consacré à « L’histoire de l’Autisme », Jacques Hochmann psychiatre, psychanalyste, décrit ainsi le mouvement qui a traversé la pensée occidentale au moment de la création de la psychiatrie dynamique: « Au début du XXe siècle, une véritable révolution doctrinale a affecté la psychiatrie, d’abord celle des adultes puis celle des enfants. Dépassant une approche qui était jusque-là consacrée essentiellement à décrire et à classer les troubles mentaux, des tentatives d’explication se sont dessinées. Elles ne se sont plus contentées d’invoquer l’hérédité, créatrice toute-puissante de lésions organiques ou de désordres fonctionnels localisés. A contre-courant des idées reçues, répondant à un véritable défi, elles ont peu à peu cherché à percer l’énigme de la folie et à comprendre en écoutant mieux le discours des malades, les mécanismes psychologiques par lesquels l’organisme, dans sa globalité, réagissait à ces lésions ou à ces désordres. Elles ont envisagé, dans la production des symptômes, les rôles des relations actuelles ou passées entre le sujet souffrant et son environnement. Ainsi s’est constitué ce qui allait s’appeler la psychopathologie, par analogie avec la physiopathologie, cette branche de la médecine vouée à l’explication physiologique des phénomènes pathologiques. » (( JACQUES HOCHMANN, « Histoire de l’autisme », Paris, Odile Jacob, 2009, page 185 )). Cette manière inédite d’envisager la folie et le trouble psychique, a donné ses bases à la clinique psychiatrique. Plus qu’une vision ou une approche différente du trouble psychique, il s’est agi d’une véritable révolution de pensée, Jacques Hochmann : «  Comme Freud l’avait remarqué dans ses « Etudes sur l’hystérie » (…) publié avec Joseph Breuer, le fait de « tisser ensemble » des évènements de l’histoire du patient et d’établir un lien avec les souffrances endurées dans leur passé permettait de soigner des symptômes sur lesquels la neurologie, à court d’explication et de traitements, ne pouvait apposer son « sceau scientifique ». Au lieu de ne prendre en compte que les éléments négatifs de la personne, cette démarche nouvelle s’appuyait sur les dons et les ambitions des patients, sur leur combativité, sur leur demande d’amour, sur l’indépendance de leur nature, bref, sur des caractères positifs qu’on rencontre si souvent chez les hommes (…) Pour Freud, le psychisme des patients, comme celui des sujets normaux, fonctionnait selon des lois, ce qui amenait, lorsqu’une irrégularité surgissait dans le flux des pensées, du langage ou des actes, a supposer des motifs inconscients, un intentionnalité cachée. Freud s’élevait contre le préjugé théorique des adeptes de la dégénérescence (…). Au non de la cohérence de la vie psychique, il refusait qu’une quelconque idée, qu’un quelconque affect, un quelconque comportement puisse n’avoir aucun sens » (( JACQUES HOCHMANN, « Histoire de l’autisme », Paris, Odile Jacob, 2009, page 188)). C’est contre cette partie de leur propre histoire et contre cette conception de l’être humain héritée des Lumières et du positivisme du 19e que se dressent aujourd’hui les psychiatres tenants d’une vision organiciste de la folie. Elisabeth Roudinesco, universitaire, historienne et psychanalyste : « Héritière de Charcot, la deuxième psychiatrie dynamique prit son essor en revendiquant bien haut le geste inaugural de Pinel. Sans renoncer au modèle nosographique, (Def : Description et classification des maladies) elle réinventa un modèle psychothérapeutique en donnant la parole à l’homme malade comme le faisait Hippolyte Bernheim à Nancy et plus tard Eugène Bleuler à Zurich. Elle trouva alors sa forme accomplie dans les écoles modernes de la psychologie (Freud et Janet). A rebours de ce mouvement, on assiste aujourd’hui à la dislocation des quatre grands modèles et à la rupture de l’équilibre qui permettait d’organiser leur diversité.
Face à l’essor de la psychopharmacologie, la psychiatrie a délaissé le modèle nosographique au profit d’une classification des comportements.
En conséquence, elle a réduit la psychothérapie à une technique d’effacement des symptômes. D’où une valorisation empirique et athéorique des traitements d’urgence. Le médicament répond toujours, quelle que soit la durée de la prescription, à une situation de crise, à un état symptomatique. Qu’il s’agisse d’angoisse, d’agitation, de mélancolie, ou de simple anxiété, il faut traiter la trace visible du mal, puis l’effacer et enfin éviter d’en chercher la cause de manière à orienter le patient vers une position de moins en moins conflictuelle et donc de plus en plus dépressive. À la place des passions le calme, à la place du désir l’absence du désir, à la place du sujet le néant, à la place de l’histoire la fin de l’histoire. Le soignant moderne (psychologue, psychiatre, médecin) n’a plus le temps de s’occuper de la longue durée du psychisme car dans la société libérale dépressive, le temps lui est compté. » (( ELISABETH ROUDISNESCO, « Pourquoi la psychanalyse », Paris, Fayard, 1999, Pages 47 et 48 )).