Dommage que tu sois une canaille

Alessandro Blasetti

Avec Sophia Loren (Lina), Marcello Mastroianni (Paolo), Vittorio De Sica (le père de Lina)

Noir et blanc - 1954 - DVD

L'intrigue

Lina est complice de la tentative de vol de la voiture de Paolo, un brave chauffeur de taxi simple et travailleur. Paolo conduit Lina chez son père pour obtenir réparation sans s’apercevoir que le père est encore plus voleur que sa fille.

  • Affiche italienne (2)

  • Jacquette dvd

  • Alessandro Blasseti

  • Victorio de Sica

  • Sophia Loren

  • Marcello Mastroianni et Victorio de Sica

  • Affiche italienne

Vérité, parole et mensonge

Le scénario de « Dommage que tu sois une canaille » est écrit par Suso Cecchi d’Amigo, scénariste de grands films italiens (« Le voleur de bicyclette », « Senso », « le Guépard », « Le pigeon »). Il s’inspire d’un court récit de Moravia intitulé « Fanatique », extrait de son passionnant recueil de nouvelles intitulé : « Nouvelles romaines ». (( ALBERTO MORAVIA, Nouvelles Romaines, Flammarion, Coll poche, n°389 ))
Le film de Blasetti, conçu dans les années cinquante tient bien le choc pourvu que le spectateur pressé d’aujourd’hui tolère un quart d’heure de mise en place plutôt conventionnelle. Le film est fluide, les scènes sont enlevées, les comédiens brillants, les dialogues vifs et bien écrits et l’on passe un agréable moment.
Le film de Blasetti et de sa scénariste Suso Cecchi d’Amigo est une apologie de la différence des sexes, un manifeste pour l’asymétrie des places entre homme et femme à une époque où, dans les années cinquante en Italie, la survie des femmes passe par la soumission à l’ordre des hommes. Lina, callipyge, exhibant les poils de ses aisselles et une poitrine plus que généreuse, incarne une féminité outrageusement agressive, décomplexée et scandaleuse qui joue de cette différence pour exister dans une société machiste et dominé par les hommes. Lina tombe sous le charme de son opposé le plus radical, Paolo, simple, terne et terriblement honnête. Elle en tombe amoureuse et joue de tous ses charmes pour emballer ce brave type, sans doute parce qu’elle sait que dans le monde qui l’entoure c’est de ce choix (par défaut) que dépend sa survie.
L’intérêt du film réside dans un certain rapport que les personnages entretiennent avec la langue et les mots. C’est la question de la vérité qui intéresse Suso Cecchi d’Amigo, une vérité toujours « fuyante, évanescente et pulsative », impossible à dire mais toujours sous jacente derrière les apparences et les énoncés. La vérité qui ne se révèle que dans l’acte de parole et qui est dans les dialogues de ce film, en contradiction avec le message.

Document

Dans la séance du 30 novembre 1955 du séminaire sur les psychoses, (( JACQUES LACAN, Chap 3, « l’autre et la psychose », Les psychoses, Paris, Seuil, coll. le champ freudien, p 39 )), Lacan s’interroge sur ce qui différencie le langage de la parole.

Résumé

Qu’est-ce qui différencie un enregistrement sonore de quelqu’un qui parle?
La parole, c’est avant tout parler à d’autres.
La structure de la parole, c’est que le sujet reçoit de l’autre son message sous une forme inversée.
La parole fonctionne sur cette structure fondatrice de la position des deux sujets.
Il existe deux formes de la parole :
La première forme de la parole est celle qui se donne où le sujet s’engage et engage l’autre.
Par exemple :  « Tu es ma femme. ».
Que je prononce cette phrase, j’en reçois le message inversé sous la forme de : « Tu es mon homme »
La parole est différente du message de la communication dans la mesure ou dans la communication le message est toujours le même.
Ce qui est en jeu dans la parole, c’est « fides », c’est à dire la parole qui se donne

(Déf du mot latin : «  Fides » :
1/ Foi, croyance, confiance, créance, crédit.
2/ Bonne foi, loyauté, droiture, conscience, franchise, sincérité, honnêteté.
3/ Promesse, serment, parole d’honneur, sauf-conduit, caution, assurance, garantie.
4/ Patronage, protection, assistance, aide.
5/ Preuve, conviction

La parole qui se donne, ça veut dire: « Tu es ce qui est dans ma parole et ceci je ne peux l’affirmer qu’en prenant la parole à ta place, cela vient de toi pour y trouver la certitude de ce que j’engage, cette parole est une parole qui t’engage, toi ». (( JACQUES LACAN, Chap 3, « l’autre et la psychose », Les psychoses, Paris, Seuil, coll. le champ freudien, p 47 ))
L’unité de la parole se manifeste comme fondatrice pour la position des deux sujets.
Mais il s’agit que « J’appréhende ce qui est vrai » de ce que je reçois du message que j’émets et que je reçois sous une forme inversée.
Ce peut être perçu comme le contraire du vrai. « Tu es ma femme, mais, après tout, qu’en savez-vous ? Rien n’est sûr ».
On voit que, la parole, c’est faire parler l’autre comme tel.

La deuxième forme de la parole, c’est la feinte.
La feinte est le signe auquel se reconnaît la relation « sujet à sujet » différent du rapport de « sujet à objet ».
Ce n’est que l’envers de « fidès ».
C’est une dialectique qui peut aller jusqu’à ce que ce sujet vous dise la vérité pour que vous croyiez le contraire.
Vous connaissez l’histoire juive racontée par Freud : Deux marchands se croisent à la gare:
–       Où vas tu ?
–       Je vais à Cracovie
–       Pourquoi me dis-tu que tu vas à Cracovie puisque tu y vas tous les jours ? Tu me le dis pour me faire croire que tu vas ailleurs. (Espèce de menteur)…
Ce que le sujet me dit est dans une relation fondamentale à une feinte possible

Extrait de la séance suivante du 7 décembre 1955. (( JACQUES LACAN, « Je viens de chez le charcutier », Chap 4, Les psychoses, Paris, Seuil, Coll. le champ freudien, p 62 et 63 ))
« La réciprocité est cette dimension supplémentaire nécessaire pour que vale cette parole dont je vous ai donné des exemples typiques : « Tu es mon maître » ou « Tu es ma femme ». Comme la parole mensongère qui en est, tout en étant le contraire, l’équivalent, suppose précisément ce « quelque chose » qui est reconnu comme un Autre absolu, visé au-delà de tout ce que vous pourrez connaître et pour qui la reconnaissance n’a justement à valoir que parce qu’il est au-delà du connu. C’est dans la reconnaissance que vous l’instituez, non pas comme un élément pur et simple de la réalité, un pion, une marionnette, mais un absolu irréductible, de l’existence duquel comme sujet dépend la valeur même de la parole dans laquelle vous vous faites reconnaître. Il y a là quelque chose qui naît. En disant à quelqu’un « Tu es ma femme. » vous lui dites implicitement « Je suis ton homme. », mais vous lui dites d’abord « Tu es ma femme. », c’est-à-dire que vous l’instituez dans la position d’être par vous reconnue, moyennant quoi elle pourra vous reconnaître. Cette parole est toujours un au-delà du langage. »